#WHENIWAS15 – une idée de Nicolas Mathieu
« À 15 ans, on aime et on désire comme des dingues. La littérature a quelque chose à dire de ces états. Le fait de permettre l’émergence de textes qui irriguent cette libido, et l’accompagnent, ne peut en aucun cas être confondu avec un abus. La protection des mineurs, évidemment nécessaire, ne peut sombrer dans cette sorte de puritanisme imbécile et opportuniste » – Nicolas Mathieu
Ainsi s’exprime l’écrivain à propos de l’interdiction de vente aux mineurs d’un livre destiné aux jeunes de plus de 15 ans.
En réaction, il a eu l’idée formidable de solliciter sa communauté sur les réseaux en lui proposant de raconter ses quinze ans et ce que la littérature avait pu représenter à cette époque dans la découverte de ses premiers émois. Succès immédiat ! Les textes affluent sous le hashtag #wheniwas15, très souvent touchants, et reflètent parfaitement de nombreuses vertus de la littérature telles accompagner les lecteurs, les faire grandir, s’émanciper, les rassurer…
Tentée par cette expérience littéraire et émue d’une telle entrave à la liberté de création, je me suis prêtée à ce jeu littéraire.
J’ai 15 ans et je vis chez mes grands-parents l’été et le reste de l’année dans une petite ville de campagne située sur les bords de Marne. Pas grand-chose à faire aux alentours, un horizon limité quand toute activité nécessite d’être conduite. Alors, je passe la majeure partie de mes journées entre les murs de ma chambre. Ado discrète, élève sage, effacée et plongée dans mes pensées, je m’ennuie, souvent. Les journées filent et s’enchaînent au gré de films sur cassettes VHS maintes fois regardées, de 33 tours divers et variés joués sur une chaîne hi-fi récupérée de mes parents, de morceaux captés à la radio sur cassettes pour les réécouter à volonté, de pages tournées de livres trouvés dans le grenier, de lignes noircies dans mon journal intime complice de mes états d’âme … Et parfois, des parenthèses enchantées lors de soirées pyjamas avec ma copine Kate. Plus tout à fait enfants mais pas encore adultes, nous partageons nos secrets tout en testant tenues et maquillages improbables, et papotons sous la couette jusqu’à pas d’heure.
J’ai 15 ans et un jour, mon amie me révèle avoir veillé toute une nuit, en cachette afin d’éviter de se faire repérer par ses parents, incapable de s’arrêter de lire un ouvrage à peine commencé. Quel bonheur de dégoter alors parmi les romans dormant sur des étagères chez moi un exemplaire du même livre que je pouvais à mon tour découvrir ! Une couverture mauve en tissu et au milieu, un médaillon représentant le profil d’une jeune femme en ombre chinoise. Je passe évidemment la nuit suivante à dévorer moi aussi ce livre, à la rencontre de la jeune Jane, employée comme préceptrice d’une enfant résidant chez un homme ténébreux et mystérieux, avare de paroles, Edward Rochester ! Rien de cru dans « Jane Eyre » de Charlotte Brontë et pourtant, une explosion de sensations jusque-là insoupçonnées ! Un véritable éveil à la sensualité, avant de me plonger dans bien d’autres lectures aux vertus érotiques puissantes comme « Les liaisons dangereuses » de Choderlos de Laclos, « L’insoupçonnable légèreté de l’être » de Milan Kundera… Quel bonheur de pouvoir imaginer, à travers ces fictions, rêver, avant d’expérimenter !
« Quel bonheur de pouvoir imaginer, à travers ces fictions, rêver, avant d’expérimenter ! »
Quel bonheur et surtout quelle chance à l’heure de la censure de « Bien trop petit » de Manu Causse, publié par Thierry Magnier dans sa collection L’ardeur, livre destiné aux adolescents et jugé « à caractère pornographique », désormais interdit à la vente aux mineurs. Quelle hypocrisie surtout alors que la romance ne s’est jamais aussi bien portée, dans toutes ses déclinaisons – new romance, dark romance notamment – librement (et souvent gratuitement grâce à des plateformes du type Whattpad) accessible pour tous, sans compter les contenus visuels véritablement pornographiques qui le sont tout autant, sans parfois même avoir été du tout souhaités ni sollicités.
Merci à Nicolas Mathieu pour sa formidable idée de réunir ces témoignages de nos 15 ans si marquants et réagir ainsi de la plus belle des manières littéraires à cette absurdité.