Ta vie ou la mienne – Guillaume Para

« L’arbre suit la racine » selon un proverbe berbère qui irradie tout ce livre. Ainsi, tout serait écrit dès notre venue au monde… Mais nos choix et les rencontres que nous faisons pourraient-ils néanmoins influer le cours de nos vies ?

Éditeur : Éditions Anne Carrière

Nombre de pages : 250

Parution :  février 2018

Prix : 18 € ; pas de version epub

Une question complexe, sujet du premier roman de Guillaume Para dont je ressors bouleversée : un gros coup de cœur littéraire, tant pour l’histoire que l’écriture si délicate de l’auteur, qui sera même parvenu à me faire vibrer pour quelques passes de football ! Une prouesse !

Hamed Boutaleb est né en Seine-Saint-Denis. Une mère morte en couches, un frère happé par le trafic de drogues, un père alcoolique et violent, une cité bétonnée… tous les ingrédients d’un cocktail explosif réunis pour faire de cet enfant des rues un garçon perdu. Aussi, lorsqu’il est recueilli à 13 ans par une tante et un oncle aimants vivant à Saint-Cloud, un espoir est permis, très vite incarné par le ballon rond. Car si Hamed n’a jamais connu la tendresse durant sa petite enfance, il s’est en revanche chaque jour évadé grâce au foot de rue, entre les murs qui l’enfermaient.

 

C’est ainsi qu’au contact d’une famille et d’un ami bienveillant, François dont le père, personnage truculent, est un ancien joueur de foot professionnel, Hamed se détend peu à peu, baisse la garde et tombe éperdument amoureux de Léa à 16 ans, une jeune fille née sous les lustres de la haute bourgeoisie. Pour autant, Léa ne mène pas une vie simple et heureuse et connaît elle aussi une part d’ombre, affectée par des périodes de profondes dépression. Si Léa voit dans Hamed non pas une autre vie possible, plutôt une « respiration », lui, à l’inverse, se montre très réticent à céder à son attirance :

« Ca ne sert à rien d’essayer tous les deux. Les “jeunes de banlieue” leur vie pue (…) moi-même, je pue la défaite (…) Être pauvre, ça pue, et ça a un goût, celui du sang dans ma bouche quand mon père me tabassait ».

Pourtant, impossible de résister bien longtemps à ces sentiments intenses et la rencontre assez improbable entre les deux recèle rapidement des effets ultra bénéfiques, chassant réciproquement leurs côtés sombres, à la découverte de l’amour, de Fès et ses milles senteurs, de Quiberon, de Paris, de son théâtre de l’Odéon et de sa place Dauphine et de plein d’autres bonheurs. Quelques années heureuses pour tous les deux, jusqu’au jour où tout bascule.

Son oncle avait dit à Hamed lorsqu’il était petit, « La violence n’est jamais une solution. C’est comme un virus (…). Si tu l’attrapes, tu n’en guéris pas, et il se répand (…) ». Une violence apprivoisée dans sa tendre enfance qu’Hamed avait donc tenue à distance mais qui rejaillit d’un coup.

Et ce sont alors pour lui quatre années de prison dans un univers carcéral à nouveau extrêmement dur, féroce, qui n’est pas sans évoquer celui décrit avec brio par Olivier Norek dans « Surtensions » et que Guillaume Para restitue si bien que nous tremblons pour Hamed à chaque instant. Si l’auteur nous avait autorisés à croire avec Hamed qu’une autre vie était possible, ce retour dans un monde gouverné par les poings et les trafics en tous genres nous conduit à douter, sincèrement, et à se dire qu’il existerait une sorte de prédestination. Finalement, on a beau y faire, il est bien difficile de sortir de sa condition. Gagné par le renoncement au point de s’isoler de tous ceux qu’il aime, Hamed redevient cette « kaïra » et la réinsertion apparaît alors inenvisageable. Définitivement ? Rien n’est moins sûr…

Guillaume Para signe un premier roman réaliste, extrêmement réussi, où aucun mot n’est en trop, un récit rythmé, débordant d’émotions, où les relations humaines sont décryptées avec beaucoup de finesse et qui parvient en plus à nous questionner. Une lecture qui m’a emportée et des personnages que j’ai eu du mal à lâcher le livre terminé, au point de l’ouvrir à nouveau et relire, ce qui m’arrive assez rarement ! Pour terminer ces quelques lignes, je citerais à nouveau le sage oncle d’Hamed : « Le proverbe dit “l’arbre suit sa racine” mais je crois que quelles que soient tes racines, tu es libre d’aller vers le soleil ». Quitte à s’y brûler parfois les ailes…

À propos de l’auteur

 

Guillaume Para, né en 1982, est un journaliste politique passionné de culture et de football. Ta vie ou la mienne est son premier roman.

Pour en savoir plus sur Guillaume Para, lisez l’entretien qu’il m’a accordé, croisé avec celui de Sophie De Baere : passionnant !

????ALIOSE????

Découverte après la lecture de « Ta vie ou la mienne », cette chanson du groupe suisse intitulée « P.S. » m’y fait immanquablement penser : attention aux âmes sensibles, elle est bouleversante, à l’image du livre. Elle a été écrite en 2006 par les deux artistes, leur chanson porte-bonheur…

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