Nouvelle revue littéraire : Aventures

 

Nouvelle venue dans le paysage littéraire : la Revue Aventures fondée et dirigée par Yannick Haenel et publiée chez Gallimard. S’inscrivant à la suite de son ami Philippe Sollers, disparu récemment et qui était à la tête de la Revue L’infini, il se lance donc dans un projet littéraire ambitieux : une revue pour se poser, deux fois par an, s’interroger et « remettre en liberté le langage », où la poésie a toute sa place. Une aventure « osée » quand notre temps de lecture est souvent compté, parfois menacé… J’ai donc mis en attente quelques lectures afin de découvrir « Aventures » : beaucoup de plaisir avec ce premier aperçu qui appelle à y retourner et surtout, l’envie de lire certains auteurs vers lesquels je ne m’étais jamais arrêtée et en relire d’autres à l’aune de ce qu’ils disent ici.

Pour son lancement, Yannick Haenel a enquêté auprès d’un panel d’auteurs très divers auxquels il a posé cette question sans y répondre lui-même : « Ecrivez-vous des scènes de sexe ? ». Une provocation ? En aucun cas et il l’explique dans l’éditorial de ce numéro : il ne s’agit pas de s’interroger sur leur libido mais « sur la nature de ce qui anime l’écriture (…) Comment s’exprime en vous la liberté du langage ? ». Particulièrement pertinent dans cette ère post #MeToo, à l’heure d’un certain puritanisme et d’une censure parfois aussi comme l’été dernier avec le livre de Manuel Causse qui s’exprime d’ailleurs ici en se demandant « comment ne pas écrire de scène de sexe » (sur cette censure, voir #WHENIWAS15).

Deux tiers de la Revue sont consacrés aux réponses de ces 65 auteurs. Si certains évoquent un embarras, comme par exemple Monica Sabolo ou encore Marie-Hélène Lafon qui précise « on écrit les livres qu’on peut », d’autres en revanche apportent un éclairage sur leur manière d’aborder ces passages. Exercice périlleux : « Le sexe, c’est casse-gueule » selon Jakuta Alikavazocic. « Trop clinique, il n’y a rien, trop lyrique, c’est raté » observe Pierre Ducrozet.

Et si l’une des clés pouvait résider dans une certaine dose d’humour dont l’auteur userait ? C’est le point de vue de François-Henri Désérable qui n’en est pas dénué, « peut-être encore le meilleur moyen de ne pas se planter complètement », à condition d’employer les mots justes. Et là n’est pas chose aisée tant certains ont été répétés à l’envie.

Plusieurs s’accordent sur la nécessité de ces scènes pour la narration (Léonor de Récondo, Camille Laurens…) : elles ne s’imposent et ne sont susceptibles de sonner juste que si elles permettent à l’histoire d’avancer, aux personnages de prendre corps. Ainsi, Maria Pourchet analyse n’avoir « rien trouvé de mieux en somme pour approcher le tremblement humain de [ses] personnages… que leur sexualité ».

Au-delà des expressions et du besoin de ces scènes, leur justesse résiderait peut-être également dans le point de vue adopté par l’auteur. Nicolas Mathieu évoque à cet égard son souci de représenter le désir des personnages féminins qu’il restitue sous la forme d’ « une sorte de roulement, un courant constant mais alternatif, avec une continuelle inversion des pôles (et parfois des rôles) ». Une préoccupation dont s’éloigne Leila Slimani. Pour elle, « les scènes de sexe peuvent être un espace de brouillage des genres mais aussi des identités. »

Et les lecteurs dans tout ça ? Que pensent-ils des scènes de sexe ? Certains ici l’évoquent et disent écrire le sexe comme ils aiment le lire, telle Clémentine Haenel : « je veux me gorger d’intimités nouvelles, que l’on fasse exploser les frontières de mon monde et qu’on m’abreuve de sensualités déroutantes ».

Une enquête qui donne à voir des intentions des auteurs sollicités lorsqu’ils se lancent dans l’écriture de ces scènes en particulier. Les coulisses de l’écriture un peu à la manière du podcast Bookmakers que j’apprécie tant. La deuxième partie de ce numéro est composée de textes inédits et d’auteurs invités : Pierre Michon, Frédéric Berthet, Rainer Maria Rilke, Laura Wasquez, Fany Wallendorf… Une revue passionnante et très riche qui emprunte son titre à une citation de Flaubert « Les phrases sont des aventures ». A découvrir !

➡️Le site de la Revue Aventures

 
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