Quelques brèves de Julie
S18 – 3 au 9 mai 2021
Un peu de culture dans ce monde de brutes.
???? « Réveil sur mars », film documentaire de Dea Gjinovci , 2020
La famille Demeri, persécutée pendant la guerre qui sévit au Kosovo, fuit le pays et s’exile au centre de la Suède où des proches sont déjà venus se réfugier. Mais ses demandes d’asile sont rejetées. Alors qu’un ordre d’expulsion de leur maison est prononcé, la fille ainée de la famille tombe malade : ses jambes ne la portent plus et elle perd l’usage de la parole. Peu de temps après, sa sœur se trouve atteinte des mêmes symptomes. Ibadeta et Djeneta sont victimes d’une énigme médicale appelée le « syndrome de résignation », une apathie profonde les plongeant dans un très long coma, une sorte d’hibernation. Les refus de carte de résident génèrent souvent cette maladie : traumatisés dans leur pays d’origine, les enfants exilés retrouvent une certaine sérénité dans leur pays d’accueil, laquelle vole en éclat lorsqu’ils se voient contraints de repartir. Une souffrance si intense qu’elle les propulse dans une détresse où tout leur être se met en veille. La famille organise alors sa vie autour d’elles et des soins leurs sont prodigués à domicile : leurs parents les alimentent par sonde gastrique, les lavent, les massent, les promènent dans des fauteuils roulants, leur parlent, sans cesse. Le petit dernier de la famille, Furkan, est quant à lui passionné d’astronomie et poursuit le doux rêve d’emmener ses deux sœurs sur Mars, loin des atrocités vécues, un monde meilleur. Il se lance alors dans la construction d’un vaisseau spatial aussi étonnant qu’improbable. Ce faisant, il apporte la touche poétique salutaire à ce film documentaire extrêmement poignant où à l’horreur de la migration nécessaire s’ajoute la maladie de deux des quatre enfants de la famille, encore largement méconnue, mais dont il est possible guérir. C’est lorsque le père obtient finalement des cartes de résidents temporaires qu’il implore l’une de ses filles : « À partir de maintenant, ta vie et ton avenir sont en Suède. Tu dois être heureuse, tu dois être joyeuse. Tu dois te réveiller ma fille ». Un film saisissant réalisé par la suissesse Deo Gjinovci, qui parle d’émigration, d’intégration, de traumatisme… Extrêmement touchant et à voir en Suisse romande dès le 26 mai 2021. Un documentaire que l’on peut utilement compléter par un autre, disponible sur Netflix…
???? « Des vies en suspens » de Kristine Samuelson et John Haptas, Netflix, 2019
Ce sont des histoires qui pourraient ressembler à des contes de fées où de belles jeunes filles endormies pendant des mois, des années, se réveillent enfin. Sauf que la cause de leur endormissement n’a rien de magique et révèle une terrible réalité : celle d’enfants traumatisés, contraints de s’exiler de leur pays d’origine pour leur sécurité, qui retrouvent alors une possibilité de se reconstruire, laquelle leur est refusée par le pays d’accueil. Un traumatisme qui refait alors puissamment surface puisque ces enfants sombrent dans un monde à part, un sommeil profond dont ils n’émergent qu’une fois leur famille de nouveau en sécurité.
Ce court-métrage s’intéresse au parcours de quelques familles exilées en Suède et dont les enfants sont affectés par ce que l’on appelle le « syndrome de résignation ». Celui-ci a surtout été identifié en Suède à la fin des années 90’. Il frappe les enfants des demandeurs d’asile, principalement ceux venus des pays de l’ex-URSS et de l’ancienne Yougoslavie. Plusieurs dizaines d’enfants sont ainsi diagnostiqués chaque année. Généralement, les symptômes commencent par un état dépressif et petit à petit, on constate une perte de conscience suivie d’un état catatonique qui peut durer des années. Tout espoir de guérison pour ces enfants n’est pas vain. Dès lors que les parents obtiennent un permis de séjour, les enfants commencent à aller mieux, attestant que seul le sentiment de sécurité peut les sauver. Pourquoi la Suède ? Sans doute parce que le diagnostic a été posé depuis longtemps sur ce syndrome et que de nombreux spécialistes – pédiatres, psychiatres… – s’y sont intéressés. Mais le phénomène a récemment été observé en Australie ainsi que sur l’île grecque de Lesbos.
« Certains cœurs lâchent pour trois fois rien », de Gilles Paris, Flammarion, janvier 2021
C’est à une danse que Gilles Paris nous invite dans son dernier livre au si joli titre « Certains cœurs lâchent pour trois fois rien », quelques pas qui vont vous emporter de la première à la dernière page et vous bousculer.
S’il ne s’agit pas à proprement parler d’une autobiographie, l’auteur du livre à l’origine du cultissime film animé « Ma vie de courgette » revient dans ce récit sur trente années de sa vie marquées par huit dépressions. Ne pensez surtout pas que le propos soit plombant, bien au contraire ! C’est un livre lumineux, chargé d’espoir : celui de sortir d’une situation a priori inextricable et encore largement taboue aujourd’hui. Si Gilles Paris s’est décidé à écrire ce livre, c’est d’abord pour lui, mais aussi pour ses proches, sa sœur, son mari Laurent envers lequel il se livre ici à une véritable déclaration d’amour, et toutes les personnes affectées par cette maladie psychique : leur montrer qu’il est possible de s’en sortir. Coup de et chronique complète ici.