Dans le ventre du loup – Heloïse Guay de Bellissen

Une histoire des plus surprenantes mais, surtout, une écriture qui m’a enthousiasmée à plus d’un titre…

Éditeur : Flammarion ; Nombre de pages : 336

Parution : février 2018

Prix : 19,90 € ; Version ebook disponible

La mémoire est décidément un phénomène bien mystérieux dont le dernier livre d’Héloïse Guay de Bellissen vient à son tour témoigner.

Un livre qui avait attiré mon attention pour avoir été retenu par quelques jolies plumes averties que je suis et dont, face au présentoir d’une librairie, j’ai lu la quatrième de couverture pour découvrir avec stupeur qu’il avait pour sujet un crime ayant eu lieu à deux pas de chez moi ! Le Monstre d’Annemasse, l’assassin aux cordelettes… Pour l’amatrice de littérature s’emparant de faits divers que je suis, il n’en fallait pas moins pour que je le lise… J’ai non seulement découvert une histoire des plus surprenantes mais, surtout, une écriture qui m’a enthousiasmée à plus d’un titre. C’est au détour d’une conversation anodine avec son père qu’à l’âge de 19 ans, Héloïse découvre par hasard l’existence d’une cousine, Sophie, qui fut assassinée à dix ans alors qu’elle même en avait cinq.

Un drame familial qu’on lui a caché de peur de ne pas savoir trouver les mots et la traumatiser. N’ayant plus aucun souvenir de cette époque, Héloïse a donc essayé d’en savoir plus et s’est heurtée à un mutisme général. Seul son père lui a transmis une enveloppe contenant un certain nombre de coupures de presse relatant le procès de Gilles de Vallière en 1993. Quelques années plus tard, alors qu’elle était tranquillement chez elle, la télévision en bruit de fond, c’est toute sa famille qu’elle a vu défiler à l’écran ! Un « Faites entrer l’accusé » consacré à l’affaire ! Alors, pour enfin éclaircir cette histoire qui n’est autre que la sienne, Héloïse s’est rendue au Palais de justice d’Annecy où l’assassin fut jugé et a eu la chance de rencontrer le procureur Éric Maillaud, qui a bien voulu mettre à sa disposition l’ensemble des archives de l’affaire, lesquelles ont permis l’écriture du présent roman, « Dans le ventre du loup ».

Palais de justice – Annecy

Bien sûr, l’un des intérêts du livre est ce fait divers, ce fameux Monstre d’Annemasse dont je n’avais jamais entendu parler bien qu’habitant à Genève, à deux pas d’Annemasse et pour cause, l’affaire remontant à 1986 et le procès à 1993, soit bien des années avant mon installation récente dans la région. En quelques mots, un jeune homme, 18 ans au moment des faits, a agressé plusieurs jeunes filles fin des années 80’, jusqu’à commettre l’irréparable sur une petite fille. Véritable prédateur, il repérait ses victimes depuis chez lui, les prenait en photos qu’il collectionnait (plus de 4 000 ont été retrouvées chez lui), les pistait, pour finir par les agresser. C’est à la faveur d’une interpellation lors d’un cambriolage dans lequel il n’était pourtant pas impliqué qu’il fut arrêté et qu’il a tout avoué.

Autre intérêt majeur du roman d’Héloïse Guay de Bellissen, la fine analyse faite de la personne du criminel pour lequel elle n’affiche évidemment aucune empathie mais qu’elle présente intelligemment non comme un monstre mais comme une personne presque banale ayant subi elle aussi des traumatismes importants pouvant expliquer en partie sa perversité et les gestes monstrueux pour le coup qu’il a commis.

Je fais le choix ici de ne pas développer davantage ce point, au risque de vous perdre dès maintenant avant même d’avoir abordé ce qui m’a le plus impressionnée dans ce livre (!), mais le ferai très certainement bientôt, en mettant en perspective deux autres livres parus récemment : « La barbarie des hommes ordinaires » de Daniel Zagury (Éditions de l’Observatoire, février 2018) et « Les monstres n’existent pas – Au-delà du fait divers » d’Ondine Millot (Stock, mars 2018).

« Dans le ventre du loup » relate donc ce qui arriva à cette petite Sophie, un jour de mars 1986. Mauvaise rencontre, mauvais endroit, mauvais moment… tous les ingrédients du Petit Chaperon rouge et nombre contes de fées. Un parallèle mis en valeur avec brio par Héloïse Guay de Bellissen qui parvient à retracer les éléments constitutifs de ce drame en ponctuant son récit de références à ces contes illustrant très habilement les événements. Bien loin de l’image des Disney qui nous ont façonnés, les contes de fées sont souvent des histoires affreuses à l’origine, de véritables faits divers…

Pourquoi avoir souhaité faire la lumière sur ce drame pourtant soigneusement étouffé au sein de sa famille ? Pourquoi avoir évoqué un crime dont on devine les terribles répercussions sur une famille dévastée (à tel point que la mère de la victime a refusé tout contact avec l’auteur – sa propre nièce – alors même qu’elle avait témoigné dans une émission de télévision) ? Pour une raison essentielle dépassant largement l’intérêt légitime d’un auteur en quête de matière romanesque : la nécessité de retracer sa propre histoire grâce à ce qu’elle nomme une enquête émotionnelle, une recherche de ce qui la constitue elle-même, profondément.

« Là, devant moi, à chercher l’intérieur d’un corps que je ne veux pas voir et qui est coincé dans un dossier, un corps archivé, il ignore que c’est mon intérieur que je suis venue sonder, les entrailles familiales ».

Aussi étonnant que cela puisse paraître, les traumatismes vécus directement ou indirectement dans la petite enfance, si petite soit-elle, nous marquent de manière indélébile. En cela, le livre d’Héloïse Guay de Bellissen m’a immédiatement fait penser à un autre que j’avais lu il y a longtemps et qui m’avait suffisamment troublée pour me convaincre, à vie, qu’aucun événement, même dramatique, ne doit être tu aux enfants. Ce livre a été écrit par Caroline Eliacheff, psychanalyste et pédopsychiatre (fille de Françoise Giroud), « À corps et à cris – Être psychanalyste avec les tout-petits » (Odile Jacob, 2000).

Les enfants dont il est question dans ce livre ont été placés dès leur plus jeune âge à l’Aide sociale à l’enfance en raison de drames familiaux ou sociaux et présentent des troubles fonctionnels importants, qu’on ne peut faire disparaître par des médicaments. L’auteur du livre raconte son expérience auprès de ces enfants.

Étrangement, le fait de verbaliser leur histoire, de s’adresser à eux même bébés pour leur expliquer la raison pour laquelle ils se retrouvent coupés de leurs familles, permet de réduire et bien souvent supprimer tous les troubles dont ils souffrent et sur lesquels il leur est impossible de poser des mots puisqu’ils ne savent pas encore parler.

Héloïse raconte à son tour dans ce livre de manière extrêmement touchante, le soulagement ressenti à la fin de son écriture, le deuil enfin possible, le sentiment de pouvoir accepter un drame dont elle a été partie prenante, sans nécessairement le comprendre. Elle dit aussi la récompense de pouvoir enfin s’expliquer des peurs du loup viscérales et un certain nombre d’écrits particulièrement glauques auxquels elle s’était livrée jusqu’alors. Il a dû lui en falloir du courage pour affronter de tels démons…

« Le ventre du loup » est enfin une réelle réussite littéraire. Au-delà du sujet passionnant qui le constitue, l’auteur a mis en place une magnifique construction au service de l’enquête menée, entraînant avec elle ses lecteurs qui ne peuvent qu’embarquer dans son récit et peut-être percer des secrets enfouis au plus profond d’eux-mêmes. Quand l’intime rejoint l’universel…

©Opale/Leemage/Â.Rougemont

À propos de l’auteur

 

Héloïse Guay de Bellissen a été libraire avant de se consacrer à l’écriture. Le roman de Boddah (Fayard, 2013) – prix Méditerrannée des lycéens –, est suivi des Enfants de chœur de l’Amérique (Anne Carrière, 2015). Dans le ventre du loup est son troisième roman.

 

Quelques pages en extrait du livre…

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