Madame de X – David von Grafenberg
Une superbe couverture, un titre mystérieux, teintés d’interdit et d’une sensualité irrésistibles… Un livre est toujours la promesse d’une rencontre. J’ai beaucoup aimé celle de « Madame de X » esquissée d’une plume délicate et sensible, à l’image de son auteur.
Éditeur : Éditions Héloïse d’Ormesson
Nombre de pages : 240
Parution : mars 2018
Prix : 18 €
Version ebook disponible
Photo couverture : ©Charlotte Jolly de Rosnay
« Et si je n’avais pas dit oui ce jour-là ? Et si c’en avait été un autre ? Qu’aurait été ma vie si j’avais choisi de le garder ? »… Quelle femme ne s’est pas sentie, un beau jour, perdue, pétrie de doutes quant aux choix de vie qu’elle a pu faire ? Quels qu’aient été notre éducation et notre parcours, impossible de ne pas nous questionner à un moment donné sur les options que nous avons retenues et qui nous façonnent.
Anne en est précisément à un tel carrefour de sa vie. Quarante ans, divorcée, deux enfants, elle s’interroge sur ce qu’elle souhaite désormais profondément. Et le constat auquel elle parvient est assez sinistre : elle vit son échec amoureux de manière résignée après avoir passé sa vie à se sacrifier, au point de s’effacer et faire totalement disparaître en elle l’enfant ensoleillée qu’elle était. Il émane ainsi de son portrait une certaine mélancolie :
« Je n’ai j’aimais su ce que je voulais faire de ma vie. Mes rêves s’étaient évaporés en grandissant et rien n’était venu les remplacer. C’était comme si j’étais restée sur le quai d’une gare sans savoir quel train prendre. J’avais fini par monter à bord de celui du mariage parce qu’il me paraissait familier, et sa destination convenable ».
Si elle ressent intensément le besoin de reprendre en mains son destin, Anne hésite néanmoins sur le chemin à emprunter. C’est alors qu’elle découvre une petite annonce : un emploi est à pourvoir dans une librairie française située en Toscane. L’occasion rêvée de s’extirper de la léthargie dans laquelle elle s’abimait ! Contre toute attente, elle obtient le poste. Anne décide de se lancer et se déleste alors de tout ce qui l’encombrait de sa vie « d’avant », y compris de son image au profit d’un style plus simple et davantage authentique, inspirée par une certaine actrice …
Catherine Deneuve Rive gauche – Émission diffusée sur Paris Première le 15 septembre 2012 – Une actrice dont Anne admire l’élégance
Elle s’installe alors en Italie avec ses enfants et, pour tout bagage, un dessin de Sonia Rykiel intitulée « Désarçonnée ». Tout un programme…
Et c’est une rencontre qui va profondément la transformer : Ale, sa voisine, une jeune femme délurée d’une vingtaine d’années, va petit à petit entrer dans sa vie et la faire passer par une toute une palette d’émotions incroyables.
Après quelques mois de convalescence où Anne se reconstruit doucement grâce au soutien indéfectible de sa nouvelle amie, elles scellent ensemble un pacte endiablé, fondé sur une légende sarde : « toute femme qui s’adonne à cinq hommes différents entre deux pleines lunes voit son rêve le plus cher exaucé ». Ale propose à Anne de tenter l’expérience et de l’aider dans sa réalisation. Confiante en son amie et sans doute légèrement désinhibée, Anne accepte ce projet fou. C’est ainsi qu’elle rencontre plusieurs hommes avec lesquels elle s’autorise à réaliser ses fantasmes, à l’écoute de ses désirs les plus intimes, chacun d’entre eux la révélant davantage à elle-même, enfin épanouie. Nous la suivons, nuit après nuit, en quête de son plaisir dans des scènes sensuelles d’autant plus remarquables qu’elles émanent de la plume d’un homme.
Mais jusqu’à quel point la réalisation de ses fantasmes n’aura pas été totalement artificielle ? Dans quelle mesure Anne n’a-t-elle pas été complètement manipulée ? Sa liberté, si chèrement acquise, est-elle bien réelle ?
« Je n’ai pas été éduquée à l’amitié, et ma vulnérabilité fondamentale venait de là » souligne-t-elle.
La lecture de « Madame de X » m’a beaucoup touchée. D’abord pour l’intrigue savamment mise en place. David von Grafenberg prend le temps d’installer son personnage, de distiller les éléments constitutifs d’une longue et nécessaire introspection pour ensuite accélérer le rythme de son livre à l’image du tournant de la vie pris par Anne. Un livre tout à la fois sulfureux et libérateur pour toutes les femmes enfermées dans une routine qu’elles ne soupçonnent peut-être même pas, mais qui souligne l’importance de s’écouter et porter attention à leurs désirs. J’ai trouvé cette héroïne touchante dans sa manière de tout mettre en œuvre pour SE reconquérir en dépit de son éducation et de la vie dans laquelle elle s’était installée.
« Devenir soi-même implique de d’abord de devenir orpheline » pense Anne. « Madame de X » parle aussi en effet d’éducation sous une forme qui m’a séduite, évoquant l’insoumission parfois nécessaire pour prendre son envol et la distance impérative à instaurer vis-à-vis du regard que les autres portent sur nous : « il était hors de question que les enfants grandissent, comme ce fut mon cas, avec l’idée que le regard de l’autre prévaut » : une prise de conscience tardive chez Anne mais à laquelle elle parvient finalement, heureusement. J’omets volontairement de parler davantage ici de la relation d’Anne à ses deux enfants afin de ne pas trop en dévoiler mais elle aussi fait l’objet d’une analyse sensible qui m’a émue.
Une terrasse d’un village de Toscane, qui pourrait être celui d’Anne. ©️moimessouliers
La lecture de « Madame de X » m’a aussi transportée au cœur d’un voyage sensoriel, dans cette Toscane que j’apprécie tant, un côté « dolce vita » très séduisant, empli de chaleur, senteurs et musiques enivrantes. Ajoutées à cela de nombreuses références au milieu de la photo, de la mode et du cinéma dont le livre est parsemé, ont fait de cette lecture un doux moment.
Un livre est toujours la promesse d’une rencontre… J’imaginais l’auteur de « Madame de X » sophistiqué et distant, en dépit du « parrainage » de Tatiana de Rosnay qui a soutenu ce livre dès sa sortie, gage de qualité incontestable ! C’est en réalité tout l’inverse ! J’ai eu la chance de rencontrer David lors de la soirée du Grand Prix des Blogueurs Littéraires le 1er février 2019, un homme chaleureux et délicat dont il me tarde désormais de découvrir les premiers romans !
©️_abin_
L’un des livres qui accompagne Anne durant son cheminement : « Nos baisers sont des adieux » de Nina Bouraoui (Stock)
« Parce que je sais que l’on désire comme l’on a été désiré, j’ai dressé la liste des hommes, des femmes, des images, des sensations, des oeuvres d’art qui ont construit la personne que je suis.
C’est un livre de portraits, traversant les années (de 1972 à 2009). Traversant les villes (Alger, Paris, Berlin, Zurich, Abu Dhabi…).
Portraits reliés les uns aux autres par la recherche sans fin de l’amour. C’est un livre sur la vie, un livre en vie, un livre qui bat, un livre dont on pourrait aussi entendre le son et percevoir les reliefs d’une géographie intime, la géographie des sentiments.J’ai voulu restituer ce que la mémoire garde. Ce qui fait ce que nous sommes ou ce que nous ne sommes pas. Éclairer une vie d’adulte par les débuts de l’enfance, les démons de la jeunesse. Chaque temps répondant à l’autre. Chaque temps expliquant l’autre. Comme si le désir était une identité. Comme s’il était notre seul pays. Territoire sauvage et illimité.
C’est aussi un livre sur la liberté. La liberté d’aimer ou de ne plus aimer. » Nina Bouraoui
©️Karine Couëdel – <www.inkitchenwith.com>
À propos de l’auteur
David von Grafenberg vit à Paris et travaille dans la mode. Son premier roman, Prostitué, est paru en 2007, suivi de Surveillant en 2009, tous deux publiés aux Éditions Anne Carrière.
Quelques pages en extrait du livre….