Les Fleurs de l’ombre – Tatiana de Rosnay

Un roman haletant où Tatiana de Rosnay nous entraîne dans un futur proche et assez angoissant, empruntant aux genres du thriller et de la dystopie, tout en explorant des thèmes qui lui sont chers comme ceux de la mémoire des lieux, des relations familiales et des secrets. Un très bon cru !

 

Éditeur : Robert Laffont – Editions Héloïse d’Ormesson

Nombre de pages : 336 ; Parution : mars 2020

Prix : 21,50 € ; Version ebook disponible

Et si, d’un claquement de doigts, le ménage de votre maison se faisait sans la moindre intervention de votre part ? Et si, d’un bref acquiescement, un drone vous livrait deux fois par semaine vos courses dans un endroit dédié de votre balcon ? Et que diriez-vous de voir, sur le plafond de votre chambre, le film que vous souhaitez juste avant de vous endormir, d’un simple mot ? Et un check up médical automatisé tous les jours depuis votre salle de bain pour vous assurer de votre bonne santé ? Tentés par cette expérience ?

Bienvenue chez CASA ! Vous ne connaissez pas ? Rien de plus normal : c’est le nom d’une résidence d’artistes entièrement connectée et… totalement inventée par Tatiana de Rosnay, dans son dernier roman.

Un lieu tout neuf, hyper moderne, qui prend place dans un quartier rénové de Paris après une vague d’attentats terribles où la Tour s’est effondrée. CASA accueille des artistes pour leur permettre de créer en toute sérénité, les déchargeant des tâches quotidiennes pouvant être réalisées par leur assistant virtuel et personnel entièrement dédié à leur service. Bien sûr, nombreux sont les candidats à vouloir y habiter et la sélection est rude.

Aussi, lorsque Clarissa Katsev, écrivain, postule et voit son dossier retenu, elle éprouve un soulagement énorme, heureuse d’avoir enfin trouvé un lieu à elle. Après des années de mariage, elle vient de quitter brutalement son deuxième mari et se retrouve donc seule et vulnérable. Traumatisée par cette récente rupture, elle savoure le bonheur d’avoir enfin déniché l’endroit où se réfugier et écrire à nouveau. Un repos qui sera malheureusement de courte durée…

Résidence d’artiste UNTITLED I983 – Genève – Quartier des Eaux vives. 

Sans être entièrement connectée, cette splendide bâtisse pourrait bien ressembler à l’atelier de Clarissa chez CASA, sans les caméras !

Très vite, un sentiment de malaise va naître chez Clarissa, au point de l’empêcher de dormir. Elle a en effet le sentiment d’être en permanence surveillée. Son assistante virtuelle qu’elle a surnommée Mrs Dalloway, répond au moindre de ses désirs mais, en contrepartie, garde sans cesse l’œil sur elle. Qui se cache derrière cette voix et surtout, pour quelles raisons ? Les jours passent et l’inconfort de Clarissa grandit, d’autant plus lorsque ses doutes exprimés, elle se sent directement menacée par le médecin en charge du projet chez CASA, l’effrayante Dr Dewinter… S’agit-il d’une simple paranoïa résultant d’une dépression ou bien d’une terrible prise de conscience ?

Une fois encore, et c’est l’une des raisons qui me font me précipiter sur ses nouveaux romans, Tatiana de Rosnay parvient à nous surprendre avec ces Fleurs de l’ombre. Après avoir rasé et rebâti Paris en compagnie du Baron Haussmann dans l’excellent Rose, ou l’avoir inondé en faisant déborder la Seine dans Sentinelle de la pluie , voilà qu’elle met en scène ici le Paris d’un futur suffisamment proche pour paraître tout à fait crédible, où le climat s’est totalement déréglé au point que légumes, fruits, fleurs ont perdu toute saveur et senteur naturelles, où les canicules s’enchainent et où de terribles attentats ont détruit une bonne partie de la ville reconstruite désormais. Un futur proche où l’intelligence artificielle règne en maître, en particulier chez CASA. Voici pour le décor.

Quant à l’héroïne de ce livre, Clarissa, elle vit donc de sa plume après avoir été longtemps géomètre et s’être mise à l’écriture vers l’âge de 50 ans. Elle a écrit quelques romans dont « Géométrie de l’intime » (qu’en tant que lectrice, j’aurais grand plaisir à découvrir !) qui lui permet d’interroger l’un de ses sujets de prédilection : l’influence des lieux sur l’écriture, en particulier chez ses deux auteurs favoris que sont Romain Gary et Virginia Woolf et dont les écrits parsèment et structurent tout ce livre, au point de donner sérieusement envie de nous replonger dans leurs écrits !

Elle ambitionne d’écrire son nouveau roman dans ses deux langues à la fois, l’anglais et le français, et a besoin de retrouver un peu de sérénité après le choc émotionnel qu’elle a subi en découvrant une face cachée de son mari.

C’est sans doute son état de vulnérabilité extrême qui la conduit à signer son bail de manière précipitée sans s’interroger au préalable sur les réelles motivations de CASA pour offrir ce type de logement à des artistes. Elle qui se montre si sensible à l’influence de la mémoire des lieux n’hésite pourtant pas un instant à s’installer dans une bâtisse neuve, sans âme, construite là où des centaines de personnes ont disparu à la suite de l’attentat et ne tarde pas à le regretter. Ce sont au départ des petites choses qui l’alertent et suscitent toute une série d’interrogations et qui, mises bout à bout, déclenchent une angoisse profonde. L’occasion pour Tatiana de Rosnay de questionner la manière dont une paranoïa peut s’installer chez chacun d’entre nous…

J’ai aimé ce roman pour son histoire, pour son écriture, pour ce qu’il dit et sans doute encore davantage pour ce qu’il ne dit pas… J’ai savouré les liens familiaux et amoureux présents dans ce roman, les réflexions autour du métier d’écrivain et de la littérature aujourd’hui qui surgissent au détour d’une page, ou encore les rapports qu’entretiennent intelligence artificielle, création et imagination. Et une autre chose m’a émue dans la publication de ce livre…

Paru le 12 mars 2020, « Les Fleurs de l’ombre » s’est retrouvé prisonnier, comme nombre de livres, dans des cartons, ou tout juste mis sur le devant des librairies, avant que celles-ci ne baissent leurs rideaux pour plusieurs semaines, en raison de la crise sanitaire que nous avons vécue. Tout écrivain à succès qu’elle soit avec des millions de ses livres vendus à travers le monde, Tatiana de Rosnay n’en a pas moins souffert de ne pouvoir parler de son livre à sa sortie et s’en est profondément émue.

Une frustration et une réelle tristesse qui ont déclenché l’envie chez Frédérique Deghelt d’offrir à tous les auteurs touchés de plein fouet par le confinement Un endroit où aller… Des rencontres littéraires en ligne où des dizaines d’auteurs ont déjà eu l’occasion de s’exprimer ! Et une amitié entre les deux écrivaines qui donne lieu à un échange épistolaire des plus inventifs et distrayants sur Ies réseaux sociaux, qu’aucune intelligence artificielle ne pourra créer !

©DavidIgnaszewski/Koboy

À propos de l’auteur

Franco-anglaise, Tatiana de Rosnay est l’auteur de onze romans, dont Elle s’appelait Sarah, best-seller international vendu à plus de sept millions d’exemplaires et adapté au cinéma par Gilles Paquet-Brenner. Grâce notamment au succès de Boomerang et de Rose, elle est l’auteur français le plus lu en Europe et aux États-Unis. Elle vit à Paris avec sa famille.

Le site de Tatiana de Rosnay : www.tatianaderosnay.com

Quelques pages en extrait du livre….
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