Légende d’un dormeur éveillé – Gaëlle Nohant
« Tu vois, mon secret de bonheur consiste à vivre l’instant sans chercher à maîtriser mon destin ni le redouter. Être un homme et aimer la vie : ça a l’air d’aller de soi, et pourtant… ».
Ainsi s’exprime Robert Desnos sous la plume de Gaëlle Nohant dans ce magnifique roman. Une vie riche, engagée et passionnante, que Desnos a dédiée à sa poésie, à ses amis et à Youki.
Éditeur : Éditions Héloïse d’Ormesson ; Nombre de pages : 544
Parution : août 2017
Prix : 23 € ; Versions ebook et poche disponibles
« Une fourmi de dix-huit mètres
Avec un chapeau sur la tête,
Ça n’existe pas, ça n’existe pas (…) ».
Qui d’entre nous n’a pas appris cette jolie poésie à l’école ? Nos enfants à notre suite, achevant la récitation du texte par un « Robert Desnos » en mettant le ton ! Vision pourtant très réductrice de l’œuvre du poète que Gaëlle Nohant vient heureusement combler. Car Robert Desnos était réellement un homme extraordinaire, un héros au destin tragique. Au prétexte de nous faire approcher la réalité de cet artiste dont on ne peut que tomber sous le charme à la lecture de cette « Légende d’un dormeur éveillé », l’auteur nous invite à une traversée de la première moitié du XXe dans ce roman très documenté et nous plonge dans le Paris agité de cette époque : un pur délice ! Au gré de ces déambulations nocturnes, de ses soirées et expériences de sommeil éveillé, le poète croise la route de tous les grands noms de son époque : André Breton, bien sûr, chef de file des surréalistes, mais aussi Prévert, Man Ray, Picasso, Fujita, Cocteau, Jean-Louis Barrault, Paul Eluard… et tant d’autres ! Avec talent, Gaëlle Nohant parvient à faire ressentir aux lecteurs ce qu’on pu vivre ces artistes lors de l’avènement du Front populaire, du Franquisme en Espagne et, enfin, de la guerre, dans un Paris occupé.
« Quand je vois ce qui se passe dans le monde – dit l’un d’entre eux – je me demande pourquoi j’écris, à quoi ça sert. Une pièce de théâtre n’arrête pas les balles, un poème ne retient pas le bras d’un assassin (…) La culture est un enjeu. Quand on permet à ceux qui en sont exclus d’accéder à l’art et à la connaissance, on sème une graine de liberté qui peut les soustraire à la toute puissance des tyrans ».
Mais la partie du livre qui m’a le plus touchée est sans conteste la dernière. Robert Desnos, résistant dès 1942, fut arrêté par la Gestapo en février 1944 et déporté à Buchenwald, avant de s’éteindre en juin 1945 vaincu par le typhus alors même que le camp venait d’être libéré par les Russes. Gaëlle Nohant parvient au tour de force de partager avec nous, lecteurs, cette horreur des camps de la mort par le prisme de Youki. De son vrai nom Lucie Badoud, elle était la femme dont Desnos était éperdument amoureux et qu’il acceptait même de partager pour la garder auprès de lui.
Lucie Badoud, dite Youki, et Robert Desnos
Son conjoint arrêté par la Gestapo, Youki qui apparaissait dans le roman jusqu’ici comme une femme frivole et légère, se révèle entièrement, à nos yeux mais aussi aux siens. Pour ne pas devenir folle, pour raconter à Robert dès son retour de camp qu’elle espère tout ce qu’elle aura entrepris, Youki a tenu un journal. À la manière d’une enquête, elle a avancé pas à pas pour suivre son poète, lui envoyer des colis et lui montrer son amour dont elle aura malheureusement pris conscience tardivement. Après sa mort, ses investigations se sont poursuivies auprès de tous les hommes, de retour des camps, qui ont partagé des moments avec le poète. Des témoignages difficiles que nombre d’entre eux hésitaient à faire, de peur de choquer, de ne pas être crus, mais que Youki a sollicités pour demeurer au plus près de l’homme de sa vie.
© David Ignaszewski / Koboy
À propos de l’auteur
Née à Paris en 1973, Gaëlle Nohant se consacre à l’écriture depuis un peu plus de dix ans, inspirée notamment par Dickens et par les écrivains victoriens. Son deuxième roman, La Part des flammes paru aux Editions Héloïse d’Ormesson en 2015, après L’Ancre des rêves, en 2007 chez Robert Laffont, a connu un grand succès et a été récompensé par le Prix des Lecteurs du Livre de Poche 2016, et par le Prix du Livre France Bleu / Page des Libraires 2015. Légende d’un dormeur éveillé a quant à lui été primé par le Prix des libraires 2018.
Quelques pages en extrait du livre…