Le dernier hiver du Cid – Jérôme Garcin

Gérard Philipe, acteur flamboyant, succomba à une maladie foudroyante à seulement 36 ans. Toute la prouesse de Jérôme Garcin réside dans le fait de parvenir paradoxalement à ressusciter l’acteur iconique tout en relatant ses derniers jours, dressant alors de lui un portrait personnel très touchant.

Éditeur : Gallimard ; Nombre de pages : 208

Parution : Octobre 2019 ; Prix : 17,50 €

Versions ebook et audio disponibles (lue par Anne-Marie Philipe)

Jérôme Garcin revient sur l’écriture de ce livre particulier à plus d’un titre, et plus largement sur son rapport aux livres, son métier, dans l’entretien qu’il m’a accordé et que je vous laisse découvrir ici !

Une voix. C’était l’empreinte que Gérard Philipe avait laissée en moi depuis ma tendre enfance où j’écoutais en boucle « Le Petit Prince » et « Pierre et le loup ». Quelques bribes de « Fanfan la Tulipe » probablement, mais point de Cid ou d’autres formidables héros interprétés par ce grand acteur.

Un timbre unique et des lectures si incarnées qu’elles demeurent toujours gravées en ma mémoire. C’est aujourd’hui bien davantage, une fois la dernière page tournée du très bel hommage que Jérôme Garcin vient de lui rendre avec cet ouvrage, « Le dernier hiver du Cid ».

Toute la prouesse de ce livre réside dans le fait d’être paradoxalement parvenu à ressusciter l’acteur iconique et engagé que fut Gérard Philipe tout en relatant ses derniers jours ! C’est en effet au sommet de sa gloire en 1959 que l’acteur, seulement âgé de 36 ans, se sentit brutalement diminué, accablé par une fatigue de plus en plus tenace et un mal de ventre lancinant.

Une consultation et le grand médecin des stars de l’époque posa un diagnostic rassurant : un abcès amibien au foie qu’une simple opération parviendrait à régler sans difficulté. « Trois fois rien ». L’opération ne dura en réalité pas plus que le temps d’ouvrir et refermer ce corps condamné, quelques minutes ayant permis au médecin de simplement constater l’étendue du cancer incurable et renoncer à tout soin. Il l’annonça alors à Anne, l’épouse de Gérard Philipe, celui-ci encore endormi.
« Elle a le courage de n’avoir plus aucun espoir ; aura-t-elle celui de lui dire la vérité ? ».

Sa réaction spontanée fut sidérante : taire à son mari la vérité, lui cacher que sa vie était sur le point de s’éteindre alors que lui se penserait en convalescence. « Nous essaierons d’être élégants si un jour nous sommes malheureux » s’étaient-ils jurés… Une promesse honorée. Point de jugement de la part de l’auteur ici, ni même l’ébauche d’une discussion sur ce choix qui paraît assez improbable aujourd’hui.

Juste un fait, la volonté farouche d’une femme de préserver jusqu’au bout son homme et il lui permettre de tenir ainsi son dernier rôle le mieux possible, « le temps d’un soupir », titre du livre qu’elle a publié en 1963.

Jérôme Garcin, d’une plume sensible, tout en émotion retenue, revient sur l’immense carrière que fut celle de Gérard Philipe, celui-ci, sur son lit d’hôpital ou de retour chez lui rue de Tournon à Paris, se remémorant non seulement tous les rôles mythiques déjà endossés mais également tous ceux qu’il envisageait de jouer. Car si le comédien a succombé en quelques jours, c’est entouré de ses livres et de tous les personnages qu’il rêvait d’interpréter soulignant ici ou là des répliques, des mots ou des extraits, révélant sans doute au plus près sa personnalité.

Ainsi, renaissent Lorenzaccio, Ruis Blas, Perdican, ou encore Octave… et on regrette tellement la décision de Jean Vilar d’avoir refusé que soient filmées les représentations au TNP, au point qu’aujourd’hui, les plus jeunes ignorent qui était Gérard Philipe et que l’anniversaire de son décès 60 ans après, n’émeut personne.

Anne et Gérard Philipe

Grâce à ce livre et à cette mémoire restaurée, le voici qui vibre à nouveau dans nos esprits, et plus encore grâce au portrait intime qu’en dresse Jérôme Garcin, celui d’un mari et d’un père aimant, d’un ami loyal et fidèle.

On est saisi par la simplicité de cet homme adulé dans le monde entier, bouillonnant de projets, qui n’aspire, outre qu’à défendre des personnages, à rester auprès des siens, raconter des histoires à ses enfants et partager des moments de bonheur avec eux, de Paris à Cergy, en passant par Ramatuelle. L’amour fou que lui porte sa femme éclaire aussi cette personnalité de manière éblouissante. Une authenticité touchante que l’auteur semble avoir su saisir au plus juste.

Une prouesse sans aucun doute facilitée par la proximité existant entre les deux hommes, l’auteur étant devenu le gendre posthume de l’immense artiste, ayant épousé sa fille, tout juste âgée de cinq ans quand son père est décédé. On imagine aisément le challenge littéraire et moral qu’a dû constituer l’écriture de ce livre…

Anne-Marie Philipe ©️ Hannah

Une voix. Celle de Gérard Philipe. Mais également celle de Jérôme Garcin, qui rythme nos rendez-vous dominicaux avec le Masque et la Plume et que je n’écouterai désormais plus exactement comme avant.

LP © Frédéric Dugit

À propos de l’auteur

Jérôme Garcin, né le 4 octobre 1956 à Paris, est un journaliste et écrivain français. Il dirige le service culturel du Nouvel Observateur, produit et anime l’émission Le Masque et la Plume sur France Inter, et est membre du comité de lecture de la Comédie-Française.

Il a publié de nombreux romans et récits, en particulier consacrés aux personnalités dont les vies furent très brèves. Il a notamment reçu le prix Médicis essai en 1994 pour « Pour Jean Prévost », le Grand prix de littérature Henri-Gal de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre en 2013, le Prix des romancières 2014 pour « Bleus horizons » ou encore le Prix du Parisien magazine pour « Le Voyant ».

 

Quelques pages en extrait du livre….
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