La commode aux tiroirs de couleurs – Olivia Ruiz

Lorsque le temps d’une nuit, une commode se transforme en machine à remonter le temps et qu’Olivia Ruiz ouvre chacun de ses tiroirs, on voyage de l’Espagne à Marseille, dans une famille aussi colorée qu’elle et c’est un pur plaisir !

Éditeur : JC Lattès

Nombre de pages : 208 ; Parution : Juin 2020

Prix : 19,90 € ; Versions ebook et poche disponibles

De passage à Genève pour le Salon du livre en ligne en octobre 2020, Olivia Ruiz m’a accordé un entretien pour ELLE Suisse. C’est ici !

« Maman, un secret, c’est fait pour être tu, c’est son essence même. Le révéler, c’est rompre son existence, le faire partir en fumée, et là, la vengeance du secret peut devenir terrible (…) Moi, les secrets, je n’y touche pas. Je les laisse tranquilles dans leurs cachettes ».

C’est pourtant sans « traîner des pieds » que je me suis installée à ceux de la commode que sa grand-mère adorée a léguée à la narratrice, et que j’ai ouvert avec elle un à un les tiroirs de ce meuble emplis de secrets de famille.

J’avoue que ma curiosité avait été piquée au vif lorsque j’avais entendu, pendant le confinement et avant la parution de ce roman, la lettre d’intérieur signée d’Olivia Ruiz et lue par le si talentueux Augustin Trapenard dans laquelle elle s’adressait à son grand-père, emporté par le COVID19 : j’avais été saisie par la beauté de son texte, oscillant entre tristesse et colère. L’émotion était au rendez-vous et ces trois minutes avaient suffi à me happer.

J’ai aimé découvrir avec elle l’histoire de cette Abuela, grand-mère chérie, qui débute fin des années 30’ lorsque Rita est encore enfant. Cette petite qui avec ses deux sœurs, se retrouve un beau jour sur le quai d’une gare. Leurs parents, Républicains traqués par le régime de Franco auxquels ils sont farouchement opposés, ont en effet décidé d’envoyer leurs petites en sécurité en France avant de mettre fin à leurs jours…

Leur périple commence dans le camp d’Argelès par lequel ont transité nombre d’espagnols contraints à l’exil. C’est une terrible histoire, racontée par le prisme d’une enfant au départ. Il aura sans doute fallu ces deux générations pour lui permettre d’être révélée. Un chemin de vie parsemé de coups durs, de drames, découverts tiroir après tiroir, relatés ici de manière étonnement douce, cueillant le lecteur au détour d’un mot ou d’une phrase. Une écriture qui fait mouche.

Si la grand-mère de la narratrice n’a pas été épargnée par des périodes tragiques, elle a aussi connu de meilleurs moments avec notamment, la rencontre d’un amour passionné, qui offrent au lecteur des respirations rafraichissantes. Olivia Ruiz évoque dans ce roman – qui n’est pas son autobiographie, même si, l’on s’en doute, sa propre histoire recoupe celle du livre, – ses racines, leur transmission, le poids des secrets et des non-dits dans une famille où les femmes sont dotées de caractères aussi trempés que colorés, toutes extrêmement attachantes.

 

© Laura Gill

« La commode aux tiroirs de couleurs » traite ainsi de manière très subtile la question du déracinement et les moyens dont ces personnes, si semblables à celles dont elles rejoignent le pays, ont usé pour se fondre le plus possible dans cette nouvelle communauté, où la langue est évidemment de première importance, élément fort d’identité pour tous les réfugiés et… leurs descendants. Un livre qui fait donc œuvre de mémoire et libère une parole souvent enfouie génération après génération. « Savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va » avait écrit Olivia sur un carnet d’adolescence…

On connaissait les talents d’Olivia Ruiz sur scène, à travers ses textes et ses mélodies entêtantes. Il faudra désormais compter avec elle dans le paysage littéraire français, après ce premier roman à son image, affirmé et pétillant !

Marseillette, le 25 mai 2020

Lettre d’une jeune femme à son grand-père André, mort en avril 2020 du covid19

« Quand je pense comme on en avait rêvé de ces adieux… 

Tu avais dit : « ça va être dur d’en jeter autant que ta mère avec sa commode ! » J’avais dit : « ma grand-mère ! » Tu avais dit « Moi je ne te laisserai pas d’écrit, je te parlerai, je te raconterai quand je sentirai que ma fin s’approche à pas feutrés de notre vie. Tu pourras me demander ce que tu veux, j’oserai sûrement laisser aller les larmes que j’ai retenues une destinée entière afin de répondre sincèrement à toutes tes questions. Je m’en foutrais, puisque ce sera fini, c’est logique, non ? » Alors cette lettre pour toi papi, elle n’existera qu’une fois, le temps de naître et s’éteindre dans ma bouche, le temps de s’offrir à voix haute et de brûler l’instant suivant, comme tu l’aurais fait. Si on avait eu le choix. Puisque tu voulais finir en griot, c’est logique, non ? 

On avait tout imaginé: se saouler dans des sacs de couchages au creux des ruines de Peyrepertuse et que tu ne te réveilles pas, nous enfuir avec Lola et Nina pour voir s’endormir tes jours à Calella, là où maman et papa avaient passés leur lune de miel. Trois jours à 400 km de la maison parce que vous n’aviez pas mieux à leur offrir et ils étaient éblouis tu disais. Quand maman est morte tu disais que c’était insupportable parce que ce n’était pas dans l’ordre des choses. Parce que les choses se déroulent dans l’ordre d’habitude ? La peste en 2020 c’est dans l’ordre des choses ? Tous nos projets pour ta mort ruinés par mon diabète et l’asthme de Nina, c’est dans l’ordre des choses ça, Papi ?

Rien de ce qui ne nous arrive n’entre dans un putain d’ordre des choses. Nina qui ne dort plus parce qu’elle a peur d’entrer à l’école primaire et qu’elle avait encore tellement à te dire, ce n’est pas dans l’ordre des choses. Voir sa fille dans cet état pour quelque chose auquel on ne peut rien c’est encore pire que de se sentir coupable. On n’a rien à rattraper. Tout est trop tard et notre volonté la plus grande ne nous sauvera pas cette fois. C’est trop tard. Comme nos adieux sont passés. Sans nous. Notre seule chance on nous l’a volée. Et l’on n’a personne contre qui hurler, se déverser ou de qui se venger. Nous sommes seules sans toi et sans ennemi à haïr de tout notre être pour changer les idées de notre peine.

Nous t’avons regardé partir sans pouvoir te serrer, sans te dire merci, sans te dire au revoir et sans pouvoir t’entendre. Seules Leonor Carmen et Meritxell étaient près de toi. Nous étions à 30 mètres, Nina et moi. Privées. Punies. Pour l’éternité. Punies d’être à risques et de t’aimer trop pour t’infliger la responsabilité de nous contaminer. Papi, tu méritais mieux que ça. Tu avais réussi à me faire croire que ma persévérance et mon sens de la justice auraient raison de tout. Tu t’es trompé. Je m’en désole immensément. Aussi immensément que je t’aimerai toujours. »

Olivia Ruiz

© Getty / Tony Barson

À propos de l’auteur

Olivia Ruiz s’est fait connaître par l’émission de téléréalité Star Ac. Si elle s’était inclinée en finale, face à Jennifer, elle a par la suite enchaîné les succès musicaux, en vendant notamment plus d’un million d’exemplaires de son album « La femme chocolat » réalisé par Mathias Malzieu dont elle a partagé la vie pendant huit ans.
Auteur, compositrice et interprète d’origine espagnole, elle a grandi à Marseillette. Trois de ses grands-parents ont fui la guerre civile mais n’en ont jamais parlé. De ce silence est né son premier roman, La commode aux tiroirs de couleurs.

Olivia Ruiz parle de sa Commode aux tiroirs de couleurs dans les médias

 

Quelques pages en extrait du livre….

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