Hygiène de l’assassin – Amélie Nothomb
« Au fond, les gens ne lisent pas ; ou, s’ils lisent, ils ne comprennent pas ; ou s’ils comprennent, ils oublient ». Ainsi s’exprime le héros du premier livre de la célèbre romancière belge où sens du dialogue, cynisme et intensité de l’intrigue sont de mise. Un style incontournable même si je n’adhère pas totalement.
Éditeur : Albin Michel ; Nombre de pages : 200 ; Parution : Août 1992
Prix : 15,20 € ; Versions ebook et poche disponibles
Ma première lecture de 2019 ! Commencer l’année avec un classique n’était pas forcément le plus réjouissant au regard de toutes les parutions de cette rentrée littéraire mais la perspective de partager cette lecture avec ma fille m’a ravie ! Lecture proposée par son enseignante de français visiblement passionnée d’Amélie Nothomb puisque, grâce à elle, nous avions déjà lu il y a quelques mois « Acide sulfurique », mon premier de cet auteur à succès.
Au programme cette fois-ci, son premier roman écrit à l’âge de 25 ans. Et franchement, même si je n’ai pas totalement adhéré ni à l’intrigue ni au style, je lui reconnais un talent certain, très impressionnant pour une primo romancière.
« Hygiène de l’assassin », constitué presque exclusivement de dialogues, conte l’histoire d’un écrivain de génie, universellement reconnu, Nobel de littérature, sur le point de mourir d’un cancer. Il accepte alors de répondre pour la première fois aux questions de journalistes triés sur le volet par son secrétaire, des français, blancs, ne travaillant ni pour la télévision, ni pour de la presse féminine et encore moins médicale…L’occasion pour Amélie Nothomb de dresser le portrait particulièrement peu reluisant de Prétextat Tach, vieillard obèse et imberbe qui se décrit ainsi : « Quatre mentons, des yeux de cochon, un nez comme une patate, pas plus de poil sur le crâne que sur les joues, la nuque plissée de bourrelets, les joues qui pendent (…). Ma tête ressemble à une belle paire de fesses ».
Un être d’autant plus repoussant dans les rapports qu’il entretient avec ses interlocuteurs. Ainsi, la première partie du livre est consacrée aux interviews qu’il accorde à quatre journalistes, quatre pauvres hommes qui se retrouvent humiliés et congédiés, lorsque survient une cinquième et dernière journaliste, Nina. L’entretien que l’écrivain lui accorde constitue la seconde partie de l’ouvrage, la plus intéressante à mes yeux, celle où Prétextat est enfin percé à jour.
Difficile de décrire davantage l’intrigue de ce livre au risque de trop en dire pour ceux qui seraient tentés par cette lecture… Je peux simplement mettre en lumière quelques thèmes du roman, qui reviennent eux aussi pour certains dans l’œuvre d’Amélie Nothomb.
Hygiène de l’assassin met ainsi en œuvre une critique sociale acerbe, qui vise en premier lieu les journalistes littéraires. Si le vieil écrivain se montre particulièrement odieux avec eux, force est de constater qu’ils ne s’y prennent pas le mieux possible avec lui, à commencer par le fait qu’aucun ne connaît l’œuvre de Tach composée de 22 livres dont le dernier inachevé. L’un n’a rien lu, l’autre en a à peine commencé un… Cette critique s’étend en réalité bien au-delà des journalistes puisque pour cet écrivain nobélisé, la majorité des lecteurs humains sont des « lecteurs grenouilles » : ils traversent les livres sans prendre une goutte d’eau !
« Si je suis si célèbre, cher monsieur, c’est parce que personne ne me lit (…). Le sommet du raffinement, c’est de vendre des millions d’exemplaires et de ne pas être lu (…). Au fond, les gens ne lisent pas ; ou, s’ils lisent, ils ne comprennent pas ; ou s’ils comprennent, ils oublient ».
Une détestation exprimée à plusieurs reprises et qui s’étend aux femmes pour cet écrivain totalement misogyne : dès lors qu’elles entrent dans la puberté, il les déteste, les trouve toutes laides : « La condition féminine est devenue le théâtre des mauvaises fois les plus écœurantes ».
Amélie Nothomb interroge également dans ce livre le métier même d’écrivain, « le plus impudique qui soit ». Elle établit un parallèle tout à fait intéressant, sous forme de métaphore, entre le corps et l’écriture, en particulier la main, ou le cartilage : « le texte est un gigantesque cartilage verbal ».
Elle livre aussi dans son premier roman une réflexion originale sur la mort, qui permet tout à la fois de demeurer éternellement en enfance ou de devenir un écrivain pour l’éternité, classique.
Enfin, j’ai trouvé dans ce livre un lien tout à fait original avec une lecture qui m’a particulièrement plu, celle de « La Pythie » de Mélanie Chappuis. Si dans ce dernier roman, l’extase atteinte par l’héroïne modifiait sensiblement son état de conscience, la faisant basculer dans un état de transe, ici, c’est le fait de donner la mort ou de la recevoir qui procure ce type d’extase et qui fait dire à Tach :
« Je dis des choses qui s’accomplissent sous mes yeux à mesure que je les formule. Me voici devenu la pythie du présent, non du futur, du présent ».
« Passer de la vie à la mort en pleine extase, c’est une simple formalité. Pourquoi ? Parce qu’en de pareils moments, on ne sait même pas si l’on est mort ou si l’on est vivant ».
À propos de l’auteur
Fille de diplomate belge, Amélie Nothomb est née le 13 août 1967 à Kobé, au Japon. Elle publie en 1992 son premier roman Hygiène de l’assassin, unanimement salué par la critique et le public. En vingt ans de carrière, Amélie Nothomb a notamment été récompensée par le Grand Prix du Roman de l’Académie française 1999, le Grand Prix Jean Giono pour l’ensemble de son œuvre et le Prix de Flore 2007.
Le site d’Amélie Nothomb.
Quelques pages en extrait du livre….