Vigile – Hyam Zaytoun

 

Sait-on, d’instinct, que notre vie est sur le point de basculer ? « Vigile » est le récit du combat mené par une femme, une mère, mue par une force incroyable pour ramener à la vie celui qu’elle aime. Une merveille d’écriture qui a réveillé en moi nombre de sentiments.

 

Éditeur : Le Tripode

Nombre de pages : 128

Parution : janvier 2019

Prix : 13 €

Version ebook disponible

Serai-je capable, moi aussi, de l’identifier cette pulsation qu’évoque Hyam Zaytoun, annonciatrice du drame à venir ? Une sensation l’ayant mise en état d’alerte au point d’être réveillée en pleine nuit par une sorte de bruit de moteur, « un vrombissement de bouche » émanant de son conjoint. Il est en réalité en arrêt cardiaque. Il aura fallu cinq ans après le cauchemar vécu cette nuit-là pour que l’auteur raconte le déroulement des faits et les jours qui ont suivi. Dépassant le simple récit, Hyam Zaytoun signe ici une puissante déclaration d’amour qui, au-delà de l’envie irrépressible de vite se former aux gestes de premiers secours si ce n’est déjà fait (!) saisit à de multiples égards.

Il y a d’abord cette force qui surprend, celle d’une femme qui dans l’urgence, procède aux gestes indispensables durant trente longues minutes, maintient en vie son amoureux du bout des doigts, dans une sorte de transe en attendant l’arrivée des secours, sans paniquer, alors même que débarquent les deux enfants dans la chambre du drame. Hyam Zaytoun relate avec pertinence la palette des sentiments éprouvés durant ce laps de temps où tout se joue, passant de celui d’abandon au découragement, puis à la colère et aussi à la culpabilité.

Ce qui étonne à la lecture de ce récit, c’est la détermination dont la narratrice fait preuve. Lucide quant à la faible probabilité que son conjoint survive après un aussi long arrêt de son cœur, elle ne baisse pourtant à aucun moment les bras et organise très vite, de manière incroyable, son séjour à l’hôpital. Sereine, alors même qu’il est sur la table d’opération, elle prend le temps de prévenir l’ensemble des personnes susceptibles de les soutenir tous les quatre, famille, amis, école, et convoque ainsi autour d’eux une force qui va totalement la porter.

Vigile déterminée et ignorant l’état de conscience exacte dans lequel est plongé son mari, elle s’installe auprès de son homme et lui joue leur vie, entre douces paroles et caresses : leur rencontre, leurs enfants, leur passion commune pour le théâtre. Une veille aux allures de renaissance à la vie et le parallèle apparaît d’ailleurs à plusieurs reprises au cours du récit : pour commencer au moment même du massage cardiaque où les mains d’Hyam tentent d’insuffler la vie et qui évoquent chez elle la première fois où elle a donné la vie : « Souffler, inspirer… », une histoire de rythme, celui qui nous lie à quelque chose de tangible alors même que tout apparaît incertain.

« De la nuit où tu es, je veux te ramener au jour, oui te remettre au monde. Mon Eurydice  ».

Et sans cesse la littérature venant ponctuer son récit. Paul Claudel, Racine, ou encore Du Guesclin s’invitent ainsi dans ce chant d’amour dont on ignore jusqu’aux toutes dernières pages quelle en sera l’issue, qui ne sera évidemment pas révélée ici !

 

Cette lecture m’en a aussi rappelé d’autres, en particulier « Camille, mon envolée » de Sophie Daull (Éditions Philippe Rey), un récit poignant qui m’a énormément touchée où l’auteur relate les derniers moments de la vie de sa fille unique, âgée de 16 ans, emportée par un virus en quelques jours. Là aussi elle a utilisé la deuxième personne du singulier pour décrire de manière quasi chirurgicale le déroulement des faits, à partir du moment où tout s’emballe.

Autre référence littéraire, « Palladium » de Boris Razon (Stock) où l’auteur, victime du syndrome de Guillain-Barré atypique, affection auto-immune touchant le système nerveux périphérique, évoque la période pendant laquelle il s’est retrouvé entièrement paralysé. Dans l’impossibilité de communiquer, son esprit n’était quant à lui pas totalement au repos. Ce livre évoque ses hallucinations et ses visions de manière étonnante. Une personne plongée dans le coma, artificiel ou pas, est tout de même susceptible d’entendre, de ressentir ce qui se passe autour d’elle. Et la démarche d’Hyam Zaytoun prend évidemment tout son sens dans cette perspective.

Vous l’aurez compris, ce livre ne reflète en aucun cas un travail de deuil, même si nous n’en sommes jamais loin. En effet, la narratrice dit se préparer au pire, depuis toute petite. Et tout comme elle, je l’imagine aussi parfois pour l’avoir expérimenté, la vie est ainsi faite : des moments de bonheur intenses, alternant avec des périodes nettement plus sombres contre lesquelles nous ne pouvons rien, à part peut-être les anticiper, sans pour autant tomber dans le morbide. Que ferai-je s’il ne revenait pas entier d’une énième randonnée au milieu des montagnes ? Quelles seraient mes priorités ? Comment m’y prendrai-je pour préserver le bonheur de mes enfants ? Sur qui pourrai-je réellement compter ? Serai-je capable d’être cette « Vigile », trouver en moi les ressources indispensables pour faire face ?

J’ai été bouleversée par ce récit de Hyam Zaytoun pour la force qui s’en dégage, et pour cette qualité que recèlent certains bons livres et à laquelle je suis très sensible : évoquer une histoire personnelle d’une manière si intense qu’ils rejoignent des préoccupations plus universelles. Un livre que je recommande vivement.

À propos de l’auteur

 

 

Comédienne, Hyam Zaytoun joue régulièrement pour le théâtre, le cinéma et la télévision. Elle collabore par ailleurs à l’écriture de scénarios. Elle est aussi l’auteur d’un feuilleton radiophonique – « J’apprends l’arabe » – diffusé sur France Culture en 2017. Vigile est son premier texte. 

Quelques pages en extrait du livre….

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