Et boire ma vie jusqu’à l’oubli –

Cathy Galliègue

Dire que j’ai aimé ce livre est bien faible au regard de toutes les émotions ressenties à sa lecture ! Une pépite littéraire à découvrir pour son style et pour l’universalité des thèmes qu’il aborde : le deuil, la mémoire, la filiation, la résilience. Et l’addiction.

Éditeur : Éditions Emmanuelle Collas ; Nombre de pages : 240

Parution : octobre 2018 ; Prix : 16 € ; Pas d’ebook disponible

Cathy Galliègue  a accepté pour mon plus grand plaisir de répondre à quelques questions à l’occasion de la sortie de son deuxième roman : c’est ici !

« Elle est où Maman ? »

Quatre mots. Quatre tout petits mots. Et une vie qui part à vau-l’eau. Celle de Betty qui n’a eu de cesse, depuis l’âge de 10 ans, de tourner autour d’eux. Quatre mots auxquels son père répond tout simplement qu’elle est partie. Alors Betty a grandi, tant bien que mal, choyée par son père et ses grands-parents, les étés en colonie de vacances à Saint-Malo jusqu’à celui de ses 13 ans où elle tombe sous le charme du moniteur, Simon, sans l’intéresser pour autant…

« Saint-Malo avait désormais un prénom, comme une empreinte indélébile greffée à sa digue dans le soleil couchant, au-dessus de la plage du Sillon ». (Et boire ma vie jusqu’à l’oubli)
Simon qu’elle retrouve pourtant à 25 ans. Vont s’ensuivre dix années d’amour partagé et de bonheur quotidien, un mariage, une maison et un petit Raphaël, jusqu’au drame, un nouveau pour Betty qui perd cette fois-ci l’homme de sa vie dans un accident de la route. « Et boire ma vie jusqu’à l’oubli » débute cinq ans après, alors que Betty sombre totalement.

La silhouette de sa mère telle que Betty se la figure.

 

Si la journée elle parvient à donner le change et à s’occuper de son petit garçon, la nuit, Betty boit. Beaucoup. Trop. Suffisamment pour lui permettre d’endurer l’absence de ceux qui lui sont chers : « je ne trouve l’apaisement que dans mes nuits d’ivresse ». Et paradoxalement, pour se souvenir d’eux aussi : « Je bois pour me souvenir du goût du bonheur qui m’a été arraché un matin d’hiver sur une plaque de verglas ». L’alcool pour endormir ou stimuler une mémoire défaillante, construite sur des non-dits. Car Betty sent pertinemment que quelque chose de tragique lui échappe en dépit de séances chez une psychologue qui ne semblent pas l’aider.

La situation aurait pu durer des années encore puisque son entourage ignorait son addiction mais, un matin, son père débarque chez elle à l’improviste et ne peut que constater, impuissant, l’état de délabrement de sa fille. Sorte d’électrochoc pour Betty, le sentiment de honte qui l’envahit alors lui donne le courage de trouver la réponse à sa question : « Elle est où Maman ? ».

Dire que j’ai aimé ce livre est bien faible au regard de toutes les émotions ressenties à sa lecture ! Rarement je ne me suis autant identifiée aux personnages d’un roman sans pour autant que l’alcool soit ma tasse de thé ! En revanche, le sentiment de manque viscéral ressenti par Betty, son enfance auprès de grands-parents aimants, la recherche de ce qui l’a construite, et même l’attitude protectrice du petit garçon envers sa mère… autant de thèmes qui me touchent directement.

 

Et pour les aborder, une écriture magistrale et bouleversante, celle de Cathy Galliègue qui confirme, après « La Nuit, je mens », son grand talent d’écrivain.

Rares sont les romans qui abordent avec autant de pertinence ce drame vécu par beaucoup : celui de l’addiction à l’alcool. L’un des mérites de ce livre est de mettre en lumière de manière audacieuse ces femmes totalement dépendantes, qui mènent une vie sobre jusqu’au jour où un événement les fait basculer sans qu’une issue n’apparaisse possible, des personnes qui s’évertuent à cacher à leurs proches leur maladie. Et elles sont nombreuses (sur le sujet, je vous invite à lire ou écouter la si pertinente chronique de Baptiste Beaulieu en bas de ce billet).
« Pendant quelques heures, je n’avais plus de passé, pas d’avenir, et c’est ainsi qu’enfin je respirais ».
Ainsi s’exprime Betty. La dépendance à l’alcool ici, comme souvent, n’est que le résultat d’un mal-être profond, lié chez Betty au fait qu’une pièce maîtresse manque au puzzle de sa vie : abandonnée par sa mère à l’âge de 10 ans sans aucune explication, elle n’a jamais pu faire le deuil de cette absence. Alors, quand l’homme qu’elle s’est autorisée à aimer malgré la peur d’être à nouveau abandonnée disparaît brutalement, c’est l’implosion. Comment en aurait-il pu être autrement ?

Si un enfant orphelin de l’un de ses parents peut néanmoins parvenir à se construire, il en est toutefois incapable lorsque la vérité lui est tue, lorsque l’imagination prend le pas sur une mémoire traumatisée. Et c’est justement le thème de la mémoire traumatique et de ses rapports avec l’imagination qui est extrêmement bien saisi par la fine écriture de Cathy Galliègue. Le lecteur avance pas à pas dans l’histoire de Betty, au rythme où elle recouvre sa mémoire et sort des vapeurs embuées de l’alcool.

« La mémoire est aussi menteuse que l’imagination, et bien plus dangereuse avec ses petits airs studieux ».
Cette citation de Françoise Sagan, placée fort à propos en exergue de l’une des parties du livre, se révèle particulièrement vraie : ce dont on ne se souvient pas, on l’imagine et bien plus encore, notre esprit façonne souvent ce dont on se rappelle, nous permettant de composer et d’avancer au mieux dans nos vies. Betty en fait douloureusement l’expérience, comblant autant que faire se peut les trous de son histoire, s’inventant des images, cherchant à évoquer des souvenirs grâce à des lieux, des odeurs, et des souliers rouges…
Un magnifique dessin réalisé par Karine Michenet-Meynar.
Personne n’est programmé – j’en suis persuadée –, pour encaisser les coups du sort. Chacun d’entre nous se coltine à la vie de manière plus ou moins brutale, plus ou moins jeune… et avance. La vie est ainsi faite. Mais se construire sur des non-dits ou sur l’absence d’amour est tout simplement impossible et conduit nécessairement à une impasse. Comment Betty aurait-elle pu échapper à cette autodestruction alors que celle qui lui a donné la vie l’a abandonnée sans qu’elle en sache la raison, après avoir pu lui dire des atrocités telles « heureusement que t’es intelligente parce que t’es pas belle »… ?

 

Pourquoi faut-il absolument lire « Et boire ma vie jusqu’à l’oubli », véritable pépite littéraire ? Parce qu’elle nous secoue drôlement, et c’est assez rare. Parce que les thèmes qu’elle aborde sont universels : le deuil, la mémoire, la filiation, la résilience. Et l’addiction.

Il en est une à laquelle il vous sera difficile de résister après la lecture de ce roman, celle au style si fort et si juste de Cathy Galliègue qui me séduit tant, elle qui fait dire à son héroïne « Je veux de l’écriture balancée comme Fanny Ardant dans son trench couleur sable, ceinturée serrée, la voix si grave que sa féminité fait sauter les braguettes. De l’allure folle, du défi dans le menton au perché, et la détermination du talon aiguille qui écrase le pavé. Ça, j’en veux ! ».

Et pour terminer, quelques paroles de Barbara, extraites de sa chanson « Mémoire mémoire » d’où est tiré le si joli titre du roman :

« Écrire mes mémoires
Avec de l’encre noire
Sur un papier lilas
Que je n’enverrai pas,
Parler des jours de gloire,
Des soirs de désespoir
Et boire ma vie
Jusqu’à l’oubli.
 »

©Francesco Gattoni

À propos de l’auteur

Après une carrière dans l’industrie pharmaceutique en Suisse, Cathy Galliègue est partie vivre en Guyane, où elle a animé pendant une saison une émission quotidienne littéraire sur la chaîne Guyane 1re et où elle se consacre désormais à l’écriture. Son premier roman, « La nuit, je mens » (Albin Michel, 2017) a remporté un succès d’estime, il est dans la sélection du Prix Senghor 2018. « Et boire ma vie jusqu’à l’oubli » est son deuxième roman.

La chronique de Baptiste Beaulieu dans l’émission Grand bien vous fasse de France Inter : #les500000marie
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