Est-ce ainsi que les hommes jugent ? – Mathieu Menegaux

Mathieu Menegaux excelle à observer et décrypter la manière dont un drame se met en place sans qu’aucun garde-fou ne vienne arrêter l’emballement d’une folle machine : redoutable !

Éditeur : Grasset

Nombre de pages : 234

Parution : mai 2018

Prix : 18 €

Version ebook disponible

 

 

Il est de ces auteurs dont on attend le dernier ouvrage avec impatience, tant on a apprécié les précédents ! Mathieu Menegaux fait désormais partie de ceux-ci : j’ai découvert récemment ses deux premiers romans, Je me suis tue et Un fils parfait, que j’avais beaucoup aimés et ce troisième confirme à mes yeux le talent de l’écrivain.

Il y avait dans ces deux premiers livres la même tension, le même procédé littéraire – une lettre-confession écrite par une femme, avec une fin surprenante pour le lecteur –, sous fond d’affaire de justice qui fonctionne plus ou moins bien, et quelques notes de musique… « Est-ce ainsi que les hommes jugent ? » s’inscrit clairement dans la droite ligne des précédents écrits de l’auteur : redoutable ! Une fois ouvert, on ne le lâche plus pressé de savoir quel en sera son dénouement. Mais ce troisième opus, même s’il est clairement signé, diffère des précédents livres de l’auteur.

Ici, pas de lettre écrite par une femme a posteriori pour expliquer un geste, une situation : Mathieu Menegaux se glisse habilement dans la peau de tous les protagonistes du livre afin d’approcher au plus près leur psychologie et tenter de comprendre l’enchaînement d’un engrenage judiciaire et social encore une fois infernal. Un sentiment d’urgence exacerbé par l’utilisation du temps présent qui nous plonge dans les événements en même temps que les personnages.

Gustavo est brutalement éveillé un matin par une horde de policiers qui débarquent chez lui et le placent en garde à vue pour homicide volontaire en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. La confusion est totale pour ce directeur financier qui menait jusqu’alors, en toutes apparences, une vie très rangée auprès de sa femme et de ses deux fils. La hargne des policiers se comprend elle aussi, pour ceux qui pensent tenir l’homme traqué depuis trois ans : celui qui après avoir échoué dans le kidnapping d’une enfant, avait volontairement percuté et tué son père au volant d’une voiture. Un crime odieux pour le policier en charge de l’enquête qui, touché par la petite fille orpheline, lui avait fait la folle promesse de retrouver le meurtrier.

Mathieu Menegaux excelle une fois encore à observer et décrypter la manière dont un drame se met en place sans qu’aucun garde-fou ne vienne arrêter l’emballement d’une folle machine : on a évoqué la jeune orpheline en quête de l’assassin de son père, soutenu par un policier empathique, un homme que tout accuse d’un coup. Ajoutés à cela les réseaux sociaux et il n’en faut pas plus pour que tous les éléments du drame se nouent inéluctablement.

« Est-ce ainsi que les hommes jugent ? » est la question que l’on se pose tout le temps que dure l’arrestation : des policiers qui font irruption dans votre vie sans prévenir, dévastent votre intimité, passent rapidement du vouvoiement au tutoiement, vous traitent plus bas que terre sans que, véritablement, vous ne puissiez donner la moindre explication au risque de vous accabler davantage. Au point que Gustavo en vient à comparer sa situation à celle des citoyens d’Argentine que sa mère avait réussi à quitter en 1980 pour leur permettre de vivre dans un État de droit et échapper aux décisions arbitraires et aux actes de torture…

On se dit que mieux vaut être informé de ses droits pour faire face à chaque instant à toute situation – réflexion que l’on s’était faite à propos de Daphné, l’héroïne d’ « Un fils parfait » – et je ne peux m’empêcher de penser à mon ancienne vie d’éditrice juridique et, en particulier, à ce petit ouvrage pratique sur « La garde à vue, mode d’emploi » que j’avais édité (Ayela C., Kross J.C., Many D., Lamy Axe Droit, 2011) !

Au-delà de la question du fonctionnement de la justice, récurrente dans les livres de Mathieu Menegaux, se pose celle de l’influence des réseaux sociaux sur cette même justice et sur la société en général. Et là encore, la plume de l’auteur se fait particulièrement pertinente pour esquisser de quelle manière un buzz se met en place, décuplant les effets que peut engendrer la médiatisation d’une situation, dans un sens positif ou négatif.

Alors, on retiendra de ce livre, outre une vision différente de nos tickets de carte bleue dont on se sépare en général sans hésitation, et l’envie irrésistible de revoir le film de Claude Miller « Garde à vue », les paroles d’un poème d’Aragon chanté par Léo Ferré, puis repris notamment par Bernard Lavilliers :

Bernard Lavilliers interprète « Est-ce ainsi que les hommes vivent » avec l’Orchestre national de Lyon.

À propos de l’auteur

Mathieu Menegaux est né en 1967. Il est l’auteur de Je me suis tue (Grasset, 2015, Points 2017), primé aux Journées du Livre de Sablet, et de Un fils parfait (Grasset, 2017, Points 2018), prix Claude Chabrol du roman noir, en cours d’adaptation pour la télévision.

Garde à vue, un film de Claude Miller, dialogues Michel Audiard, avec Michel Serrault, Lino Ventura et Romy Schneider, 1981.

Quelques pages en extrait du livre…

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