Entretien avec Frédéric Perrot

© Amélie Chopinet

Grand Corps Malade, Ben Mazué et Gaël Faye ont uni leurs talents dans un mini-album intitulé « Ephémère » composé de sept pépites envoutantes, drôles, émouvantes… magnifiées par un carnet de bord qui nous permet d’accéder aux coulisses de leur création. Entretien précieux avec son directeur artistique, Frédéric Perrot.

Prenez trois artistes talentueux, trois belles personnes aux parcours artistiques  atypiques qui décident de passer un moment ensemble. Laissez-les quelques jours dans un studio, le temps de mêler leurs talents. Et vous obtenez un EP formidable, « Ephémère », qui présente une autre originalité : être accompagné d’un carnet de bord dont la direction artistique a été confiée à Frédéric Perrot.

« Le condé ». C’est le surnom dont il est affublé dans les remerciements de ce mini-album dans les bacs depuis le 16 septembre. Frédéric Perrot aurait dû commencer par se retrouver dans la rubrique « Chroniques littéraires » de L’Apostrophée (c’est désormais chose faite !). Scénariste et réalisateur au sein du duo Najar & Perrot, il est aussi écrivain et auteur de deux romans : « Pour une heure oubliée (2021) et « Cette nuit qui m’a donné le jour » (2022) parus chez Mialet Barrault. Pourtant, il intervient ici avec une autre casquette : celle de directeur artistique d’un carnet de bord tout à fait original.

Gaël Faye, Grand Corps Malade et Ben Mazué sont trois artistes que j’apprécie particulièrement et que j’ai eu le bonheur de voir sur scène cette année.

 

© Karine Bauzin

Paléo-Juill.2022

© Martin Lagardere

 

© Karine Bauzin

Paléo-Juill.2022

 

Fabien – Grand corps malade – a eu l’idée d’une « dinguerie » : se réunir avec ses amis, prendre le temps d’échanger et voir ce qui en résultait. La réunion des trois a donné lieu à sept titres, sans surprise excellents, à tous les niveaux. Qui en doutait vraiment … ? Non seulement on retrouve dans ce mini-album ce que l’on apprécie chez chacun d’entre eux et qu’ils ont eu l’intelligence et la générosité les uns vis-à-vis des autres de conserver mais, plus encore, il émane de cette écoute une sorte d’évidence. À eux trois, ils ont trouvé une quatrième voix ! Ainsi, « Ephémère », c’est tout ce que l’on aime chez ces trois artistes, puissance 10 ! Une multiplication des talents, magnifiée par tous ceux dont ils se sont entourés. Leurs échanges ont été observés six jours durant par un écrivain et une illustratrice. Il en résulte un carnet de bord incroyable, nous permettant d’approcher au plus près du processus créatif qui s’est mis en œuvre entre eux trois. Original et précieux.

Frédéric Perrot a eu la gentillesse de répondre à quelques questions et nous faire ainsi entrer dans les coulisses des coulisses…

 

Julie Vasa. Quels étaient vos liens avec les trois artistes avant cette aventure ?

Frédéric Perrot. Je ne connaissais aucun des trois artistes personnellement et les ai rencontrés sur place le premier soir, en arrivant avec eux au studio à Saint-Rémy de Provence.

J.V. Cette « quête » d’émotions communes entre eux vous a-t-elle surpris, voire ravi ?

F.P. J’aime les trois artistes, j’étais donc enthousiaste à l’idée de travailler sur ce projet, et très curieux de voir comment ils allaient collaborer ensemble.

J.V. Imaginiez-vous ce qu’elle pourrait donner et le résultat vous surprend-il ?

F.P. Je n’avais aucune idée du résultat, eux non plus d’ailleurs. Le résultat me surprend en ce sens qu’ils ont réussi à mélanger leurs trois univers en gardant chacun leur singularité, c’est un tour de force.

J.V. L’idée de rendre compte de cette aventure via un carnet de bord, des dessins, un film… est-elle née dès le départ dans l’esprit des trois artistes ?

F.P.  Non, elle est née dans la tête de Jean-Rachid (producteur de l’album) et Fabrice Martinez (le manageur de Ben Mazué). Ils avaient dans l’idée de faire une BD au départ ; je leur ai proposé de faire plutôt un carnet de bord, ça me semblait être un format intéressant pour le projet. Ils ont accepté et on est donc parti sur ce format.

J.V. Avez-vous hésité à dire oui  ?

F.P. Je n’ai absolument pas hésité. Quand Fabrice Martinez m’a appelé pour me dire que c’était une « idée » , j’ai immédiatemment travaillé sur un dossier avec des références et des propositions, et je lui ai envoyé par mail dès le lendemain pour que l’idée se transforme en concret ! Il fallait à tout prix que ça se fasse, l’idée était trop bonne.

J.V. Tous les trois sont connus et très appréciés du public pour leurs plumes notamment. Pour quelles raisons avoir confié la rédaction du carnet de bord à un écrivain ?

F.P. Parce qu’ils voulaient un œil extérieur, un observateur qui puisse imposer son regard sur leur semaine. Fabrice Martinez a pensé à moi parce qu’il a lu mes romans, et on avait déjà travaillé ensemble (j’avais mis en scène la tournée de la chanteuse Luce dont il s’occupe, réalisé des vidéos pour elle, et j’avais écrit des textes pour un chanteur qu’il manageait). Je crois que c’est ce pont entre musique et littérature qui lui a fait penser à moi pour ce projet.

J.V. Pour quelles raisons vous être lancé dans cet exercice de storytelling alors même que vous écrivez des romans, des scenarios…? 

F.P.  Je n’avais jamais été dans cette position d’observateur, à devoir retranscrire du réel, et rien que du réel. Toutes les formes d’écriture m’intéressent, j’ai écrit des textes de chansons, de théâtre, des scénarios, donc m’essayer à ce nouvel exercice m’excitait beaucoup, surtout face à ces trois artistes.

J.V. Selon vous, quel est l’intérêt pour le public d’avoir, en plus des chansons, le carnet de bord et les croquis qui les accompagnent ?

F.P.  On a toujours envie de savoir comment les artistes qu’on aime travaillent, comment sont nées les chansons qu’on écoute. Là, c’est carrément un accès complet aux coulisses de la semaine que propose le carnet de bord, jusque dans l’intimité des déjeuners et des discussions personnelles qu’ils ont eues.

J.V. Dans quel état d’esprit avez-vous appréhendé ces jours ensemble ?

F.P. Joie, excitation et… concentration ! Parce que je devais en permanence être aux aguets pour tout noter, ne rien louper, car je ne savais pas sur le moment ce que j’allais garder ou non dans le carnet de bord.

« Je crois que c’est ce pont entre musique et littérature qui lui a fait penser à moi pour ce projet. »

J.V. Avez-vous reçu des consignes des artistes, de l’équipe en général ou bien aviez-vous carte blanche ?

F.P. Absolument aucune consigne, j’avais carte blanche de bout en bout, et cette liberté qu’ils m’ont accordée est très rare et précieuse, c’était même assez jouissif.

J.V. Vous ont-ils demandé expressément de ne pas rapporter certains échanges ou anecdotes ?

F.P. Absolument pas, j’étais autorisé à tout raconter.

J.V. Avez-vous facilement trouvé la meilleure manière de raconter l’histoire ?

F.P.  À partir du moment où j’ai pensé à ce format de « carnet de bord », tout était assez clair dans ma tête. Mon idée était de donner une impression de jour le jour, et retranscrire en restant dans un style assez réel et brut, très « prise de notes » mais en donnant quand même un certain décalage au récit.

J.V. « Condé »… est-ce une désignation qui vous va bien selon vous ?

F.P. Ils m’ont surnommé « le Condé » parce que je les suivais comme leurs ombres, écoutais et notais tout, je passais derrière eux pour récupérer les feuilles de leurs cahiers, même les sets de table (l’un d’eux apparait dans le carnet d’ailleurs) ! Ils étaient en filature permanente, rien ne devait m’échapper. Donc oui, c’était un surnom (et une vanne) adéquate !

J.V. Comment avez-vous vécu le fait d’être perçu comme le « flic » de l’aventure, d’être dans l’ombre ?

F.P. J’ai pris ce rôle avec le sourire évidemment, travailler à leurs côtés se fait dans une ambiance très bon enfant, toujours dans la vanne, normal que je n’ai pas échappé à ça !

J.V. Comment avez-vous travaillé avec Charlotte Mo ? En parallèle ou l’un a-t-il précédé l’autre ?

F.P. Charlotte est venue faire des croquis sur place et, ensuite, c’est le texte qui a guidé les illustrations. Comme j’étais en charge de la direction artistique du carnet, j’avais une vision globale mais Charlotte apportait son inventivité et sa vision, qui parfois ont guidé certains passages du texte. Ça a été un ping-pong très enrichissant entre nous deux.

J.V. Rétrospectivement, qu’est-ce qui vous a le plus surpris ?

F.P. Juste d’être là, avoir la chance d’assister à cette semaine hors du temps sans consigne. Cette liberté m’a beaucoup étonné. Et puis ça m’a surpris de voir ces trois artistes installés travailler avec cette fougue de gosse, on avait l’impression que c’était leur première fois, c’était vraiment émouvant de les voir travailler ensemble.

J.V. Que retirez-vous de cette expérience ?

F.P. De la joie, de la joie et de la joie. Et peut-être un peu de joie aussi.

J.V. De quelle manière vos liens avec toute l’équipe ont-ils été modifiés ?

F.P. Il y a un côté très familial dans leur façon de travailler, l’impression de faire partie d’une bande. On se revoit pour des restos, je passe les voir en concert, et j’attends déjà les prochains projets à leurs côtés avec impatience.

J.V. Quel est votre meilleur souvenir de cette expérience ? 

F.P. Impossible d’en choisir un, mais l’arrivée là-bas m’a marqué, cette effervescence du premier jour. Et puis les repas (des chefs nous cuisinaient des plats incroyables) !

« Cette amitié qui les lie, cette admiration réciproque, et cette passion indéniable qu’ils partagent, a été un ciment primordial du projet. »

J.V. Vous évoquez les vannes entre chacun d’entre vous pendant ces six jours… Celle qui vous le plus amusé ?

F.P. Jean-Rachid, le producteur, est une des sources indéniables de la bonne humeur qui règne en permanence. Il n’était d’ailleurs pas prévu qu’il apparaisse dans le carnet, mais ça s’est imposé ! Certaines de ses vannes sont dans le carnet, je laisse le plaisir aux lecteurs de les découvrir par eux-mêmes.

J.V. Ne ressentez-vous aucune frustration du fait que cette expérience soit par essence éphémère ?

F.P. Je trouve qu’au contraire, ça lui donne encore plus de force. Quand on sait que quelque chose ne va pas durer, on en profite encore plus.

J.V. Selon vous, qu’a pu leur apporter ce projet réalisé à partir de leurs talents réunis (et de ceux qui les ont accompagnés) qu’ils n’avaient pas déjà ?

F.P. Il faudrait leur demander, mais il y avait cette fougue et cette ferveur entre eux. Cette émulation a été bénéfique à l’album je pense.

J.V. Pour les avoir finement observés tous les trois, qu’est-ce qui les distingue le plus dans leur manière de travailler, leurs émotions … et, inversement, que partagent-ils de plus notable selon vous ?

F.P. Ils ont tous les trois des manières très différentes de travailler, pourtant il n’y a eu aucun désaccord. Comme je le dis dans le carnet, parce que ça m’a sauté aux yeux, ils étaient d’accord jusque dans leurs désaccords. Cette amitié qui les lie, cette admiration réciproque, et cette passion indéniable qu’ils partagent, a été un ciment primordial du projet.

J.V. Dans quelle mesure cette aventure vous inspire-t-elle pour d’autres projets : écriture, chanson, romans graphiques, tout seul ou en collaboration… ?

F.P. Elle m’inspire dans le sens où elle m’a appris un certain lâcher prise peut-être, les délais étaient très courts pour la fabrication du carnet, il a donc fallu me libérer de ces doutes qui peuvent facilement m’assaillir et sont habituellement un moteur pour moi.

J.V. Quel titre de l’EP vous touche-t-il le plus et pour quelles raisons ?

F.P. J’aime beaucoup « Sous mes paupières », parce qu’il touche à l’intime de chacun des trois chanteurs, on perçoit ce qu’ils sont dans la vie.

J.V. Si quelques concerts « Ephémère » ont lieu – ce que l’on espère – pourriez-vous être amené à les raconter ?

F.P. C’est une très bonne idée que je vais m’empresser de souffler au producteur !◾️

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