Entretien avec Fabrice Midal
Photo Roberto Frankenberg © Flammarion
« Reste zen », « calme-toi », « respire »… autant de poncifs entendus à longueur de journée et qui ne manquent jamais de produire l’effet inverse de celui recherché ! Et si la méditation offrait une alternative ? Loin des clichés et des idées reçues sur cette pratique, Fabrice Midal dénote ! Entretien pour le ELLE Suisse.
Julie Vasa : De quelle manière avez-vous été initié à la pratique de la méditation ?
Fabrice Midal : J’étais étudiant en philo, – il y a plus de 30 ans – et, par hasard, j’ai entendu parler de méditation. Je me suis renseigné et ce fut le coup de foudre ! J’ai trouvé que la méditation me correspondait totalement. La personne qui m’a parlé de méditation s’appelait Francisco Varela, c’était un grand neuro scientifique. Et cela m’a aussi plu que ce soit un tel spécialiste qui enseigne la méditation. Je trouvais que c’était clair, logique, simple.
J.V. : Que vous apporte la méditation au quotidien et parvenez-vous à méditer régulièrement ?
F. M. : Oui, absolument, très régulièrement. Je crois que ça transforme profondément l’existence. Cela permet de faire plus attention à tout ce que l’on néglige régulièrement dans la vie et qui est pourtant essentiel : qualité des relations, qualité de l’écoute, les parfums. Je trouve que la méditation apporte une profonde ouverture.
J.V. : Avez-vous des moments privilégiés pour méditer ?
F.M. : Non, pas vraiment. Quand j’ai un peu de temps, j’en fais.
J.V. : Tout le monde peut-il méditer ?
F. M. : Tout à fait. Comme je le dis souvent, méditer c’est aussi naturel que lorsque ma grand-mère s’asseyait un petit moment simplement pour regarder le feu de cheminée. C’est tellement basique !
Pourtant, aujourd’hui, il est très rare que l’on s’autorise à se « foutre la paix » quelques minutes. Méditer c’est exactement cela : « se foutre la paix quelques minutes ». Avant de commencer à pratiquer la méditation, je me sentais toujours en faute : j’avais l’impression d’être un mauvais élève, de décevoir mes parents… En méditant, je m’octroyais le droit d’être comme j’étais, une vraie libération ! Sentir que j’ai le droit d’être, fondamentalement, c’est important. Et à partir de là, c’est beaucoup plus facile de relever les défis de la vie.
« Sentir que j’ai le droit d’être, fondamentalement, c’est important. Et à partir de là, c’est beaucoup plus facile de relever les défis de la vie. »
J. V. : Pourquoi avoir fondé une école de méditation ?
F.M. : Je l’ai fondée il y a une quinzaine d’années avec le souci de transmettre l’apprentissage de la méditation de manière vraiment laïque, en la libérant de tout un fatras religieux qui ne me semblait pas forcément juste. Il m’a paru important de pouvoir parler de cœur à cœur et de créer une communauté de gens qui s’intéresserait à la méditation et qui puisse partager cet émerveillement devant la vie. Une antenne importante de mon école occidentale de méditation existe maintenant à Genève. Je viens d’ailleurs à Genève très régulièrement depuis une quinzaine d’années, avant même d’y ouvrir l’école. J’y ai formé de nombreuses personnes et c’est l’une des antennes les plus dynamiques de l’école.
J.V. : À qui cette école est-elle ouverte ? Comment fonctionne-t-elle ?
F.M. : L’école est ouverte à tous. Néanmoins, les enfants nécessitant une approche spécifique, ces stages ne sont pas pour eux. En revanche, tous les adultes à partir d’une quinzaine d’années sont les bienvenus. Que les gens aient déjà médité ou pas, quel que soit leur âge, leur niveau de culture. Il y a une soirée portes ouvertes où l’on aide des gens. On organise aussi des stages, des journées. Mais je ne suis pas le seul à enseigner dans l’école : plein d’autres personnes tout aussi compétentes forment à la méditation ; il existe toutes sortes d’approches.
J.V. : Comment vous distinguez-vous parmi les différents courants de méditation ?
F.M. : Il existe plein de courants dans la méditation. La singularité de notre école est d’être laïque. Nous portons fortement l’accent sur la bienveillance, mais aussi sur la poésie, la philosophie, les questions sociales… Nous n’avons pas envie que la méditation soit une manière de nous enfermer. Il existe d’autres écoles de méditation, davantage techniques. La méditation telle que nous la pratiquons, c’est s’autoriser à être, faire l’expérience des choses, développer un plus grand rapport de bienveillance.
De temps en temps, je fais des journées pour apprendre à méditer. Je viens donc une fois par an à Genève, je choisis un thème – jamais le même – et j’expose ce qu’est la méditation aux personnes qui n’ont jamais médité, qui ont l’impression que ce n’est pas pour eux. Je me suis rendu compte au fil des années qu’une journée était vraiment le format idéal. Les gens ont le temps de comprendre. C’est complètement démythifié et cela permet de bien appréhender la notion de méditation.
J.V. : Comment les journées de formation que vous proposez se passent-elles ? Une mise en pratique est-elle envisageable après seulement une journée de formation ?
F.M. : Tout à fait ! Une journée est suffisante. Mais rien n’empêche de souhaiter aller plus loin, avec un stage par exemple. Je présente d’abord de nombreux exercices de méditation différents. J’essaie de varier les approches car certains exercices parlent davantage à certaines personnes qu’à d’autres. Ensuite, j’essaie de tout expliquer : pourquoi procède-t-on ainsi, par exemple, pourquoi on doit être assis, sur une chaise ou pas… Mon but est que les gens comprennent bien comment tout cela fonctionne sans que cela paraisse abstrait ou religieux. Il faut que les choses soient concrètes et que tous puissent comprendre. Ces journées sont extrêmement vivantes : les gens posent toutes sortes de questions.
J.V. : Les stagiaires vous font-ils des retours d’expérience ? Que ressentent-ils à l’issue des formations ?
F.M. : Si les motivations des personnes qui viennent participer à ces formations sont diverses – certaines ne parviennent pas à dormir, d’autres veulent apprendre à méditer dans l’absolu ou encore souhaitent modifier leurs rapports avec leurs conjoints… – elles disent quasiment toutes que la formation a profondément changé leurs vies, c’est clair. La méditation permet de retrouver des ressources qui sont en nous et elle aide ainsi les gens en fonction de leurs besoins.
J.V. : Votre dernier livre propose un traité de morale pour triompher des emmerdes. Peut-on à votre avis éviter les emmerdes ?
F.M. : Ah non, impossible de les éviter ! Mais on peut en triompher. C’est complètement différent. Étant des êtres humains, il est inévitable que nous nous confrontions à des emmerdes, des difficultés quotidiennes : de temps en temps il pleut, parfois nous parviennent des factures que l’on n’attendait pas, des gens que l’on aime tombent malades, on rencontre des soucis au boulot, les avions n’arrivent pas à l’heure, les voitures ne démarrent pas, l’ordinateur plante…. Tout cela fait partie de la vie. La question est de savoir si l’on s’en plaint tout le temps ou si l’on essaie de s’en sortir.
La méditation peut nous aider à condition qu’elle nous permette de mieux voir le réel. Il faut arrêter de penser, face aux emmerdes, que l’on est impuissant et que l’on n’y peut rien. Au fond, on est beaucoup plus capable qu’on ne le croit, il faut avoir confiance, ne pas craindre les emmerdes. Rien ne sert de faire l’autruche. Il faut accepter de se confronter au réel.
J.V. : La morale revêt une image assez négative. Que représente-t-elle pour vous et en quoi vous semble-t-elle positive au quotidien ?
F.M. : La morale revêt en effet une image ringarde, passéiste. Mais on ne peut vivre sans morale. Si c’était le cas, il n’y aurait plus que des salauds et ce serait intenable. On peut triompher des emmerdes tout en étant respectueux des autres. La morale est essentiellement liée au respect de l’autre qu’il ne faut pas instrumentaliser. Attention, la morale se distingue du moralisme qui comprend tout un tas de règles nous écrasant. La morale, c’est développer une sorte de curiosité devant le réel, comprendre une situation pour la gérer le mieux possible. Le tout n’est pas d’avoir raison, ce n’est pas aidant.
La morale a traversé toute l’histoire de la philosophie, elle est au cœur de la littérature : elle nous aide à penser le monde. La plupart des romanciers essaient de voir comment être un peu plus justes. Ils ne sont pas moralistes mais nous aident à mieux voir le réel, à penser plus justement.
J.V. : Que représente le renard sur la couverture de votre livre ?
F.M. : Pour moi, il est l’exemple de comment triompher des emmerdes. Il est rusé mais pas manipulateur. Or, dans notre monde, on nous a très peu appris à être rusé. On confond la ruse et la manipulation. Être rusé est être bienveillant. Mon livre est une réhabilitation de la ruse.
J.V. : Qu’est-ce qui vous rend heureux ?
F.M. : Ce qui me rend heureux aujourd’hui, c’est d’être libéré de l’idée que le bonheur ce serait d’être toujours bien, détendu, serein. On est heureux lorsque l’on est engagé dans sa vie, que l’on vit des choses vraies. Je pense que le bonheur est d’être libéré de cette fausse idée si paralysante, qui nous fait culpabiliser de ne pas être calme. Il faut juste épouser sa propre vie. ■