Entretien avec Cristina de Amorim

Peut-on se remettre d’une relation toxique qui nous a empoisonné au point de nous faire sombrer totalement ? La réponse est positive, sans hésitation, et Cristina De Amorim en est la preuve tangible ! Découvrez-la dans cet entretien : les coulisses de son histoire éclairés par sa passion pour la littérature. Une bien belle personne !

Auteur d’un premier roman très réussi, « Une carte postale du bonheur », elle y décrit avec une totale sincérité de quelle manière une femme sans prédispositions apparentes peut se laisser prendre dans les mailles du filet d’un pervers narcissique, et comment elle parvient à s’en sortir. Largement autobiographique, ce roman se dévore et Cristina précise dans cet entretien comment ses proches ont réagi à la lecture de ce livre, découvrant pour certains son calvaire. Elle dévoile également comment ses enfants ont vécu la situation et leur état d’esprit aujourd’hui. Rare et précieux…

Au-delà de son histoire, Cristina partage ici son rapport aux livres et aux auteurs qui la marquent. Passionnée de littérature, blogueuse littéraire depuis de nombreuses années, elle a sauté le pas en écrivant un roman, une démarche courageuse et franchement réussie ! Belle lecture !

Julie Vasa : L’expérience qui fait l’objet de ton livre – une relation toxique – est si finement analysée qu’on imagine aisément que tu l’as vécue… Quelle est la part de fiction dans « Une carte postale du bonheur » ?

Cristina de Amorim : Merci beaucoup, Julie. Et bien, de nombreuses personnes ont eu du mal à le croire, surtout celles qui me connaissaient depuis longtemps et qui jugeaient impossible que je me laisse embarquer dans un tel cataclysme. Ça ne pouvait m’être arrivé à moi, pas celle qu’ils pensaient connaître. Nombreux m’ont avoué avoir dû stopper leur lecture tant ils se sentaient mal à l’aise de me découvrir ainsi. Cela les touchait trop, ils s’en voulaient de ne pas avoir été là pour moi, alors que c’était moi qui leur avais fermé la porte.

« Juliette », était-ce vraiment moi ? Quelle était la part de vérité dans tout cela ? Tous m’ont posé des questions précises, ont tenté de disséquer chaque chapitre. Afin de préserver les miens, et surtout mes enfants, j’ai naturellement romancé l’histoire et modifié certains détails, détails secondaires pour la retranscription de ce que je souhaitais transmettre au lecteur et mettre en évidence : une relation destructrice.

Oui, j’ai bien été cette « Juliette », chétive, naïve et agaçante pour certains, qui en quelques mois s’est retrouvée aux portes de l’enfer, elle qui se rêvait plutôt Cendrillon. Minuit a très vite sonné.

J.V. : Pourquoi ce livre ? Un besoin de partager cette histoire ou l’envie irrépressible d’écrire, celui-ci puis d’autres par la suite ?

C. de A.  : Les deux, Mon Capitaine ! Depuis trop d’années déjà, la plume me chatouillait. Mais ce foutu manque de confiance en moi prenait le dessus et m’interdisait de me donner une chance. C’est pourquoi ouvrir un blog était un pas de géant pour celle qui doutait tant. Les échanges avec les lecteurs et les encouragements m’ont galvanisée. Le soutien sans limites de l’amoureux a fini de me convaincre de sauter dans le grand bain, cette fois-ci, sans brassards. L’écriture d’un grand format est évidemment très différente de celle d’un billet de blog. Avais-je envie de toucher le même lectorat ? Pour cela, quel style adopter ? J’avais lu pléthore de tribunes qui condamnaient ou critiquaient les blogueuses qui se prenaient soudainement pour des autrices. J’ai décidé de faire abstraction de tout cela et de rester fidèle à moi-même.

Je me souviens avoir lu une interview de David Foenkinos, dans laquelle il conseillait de ne pas chercher à plaire à tout prix, mais plutôt à être authentique. Cas contraire, le lecteur le verrait comme une imposture. C’est avec cette unique ligne conductrice que j’ai entamé l’écriture de mon premier livre. Un pari risqué. Si j’avais plusieurs histoires en tête, le squelette d’ « Une carte postale du bonheur » était déjà inscrit au plus profond de moi, les marques étaient trop visibles pour les ignorer. Il s’est imposé à moi comme une évidence, sans doute comme phase ultime d’un processus de guérison entamé quelques années plus tôt. Ouvrir enfin franchement les portes à la résilience. De cette façon, j’ai pu assouvir mon rêve et apposer le mot « F-I-N » à ce mal qui somnolait encore, malgré tout, en mon for intérieur. L’écriture de mon deuxième livre est en cours…

J.V. : Comment vas-tu aujourd’hui ?

C. de A. : Aujourd’hui, j’ai un peu mal au dos… à part ça, je vais très bien ! Impossible de ne pas ressortir grandie d’un tel choc émotionnel, d’une telle chute. Je n’aurais jamais imaginé dire cela il y a sept ou huit ans. J’étais persuadée que j’allais en crever. Cela paraît tellement bateau de dire que les épreuves de la vie nous rendent plus forts et nous offrent un nouveau regard sur la vie et ses événements. Et c’est pourtant si vrai. Ne plus faire semblant d’être une autre, obéir uniquement à mes principes, ne plus chercher à plaire au détriment de mes convictions. Être moi, enfin, imparfaite, mais moi. Après la descente aux enfers, la reconstruction. Je me suis également réconciliée avec le miroir, avec ce corps qui ne m’appartenait pas. J’ai repris le contrôle.

« Oui, j’ai bien été cette « Juliette », chétive, naïve et agaçante pour certains, qui en quelques mois s’est retrouvée aux portes de l’enfer, elle qui se rêvait plutôt Cendrillon. Minuit a très vite sonné ».

Aujourd’hui, vêtue d’une solide carapace (et je ne dis pas ça uniquement à cause des kilos pris depuis !), je suis beaucoup plus forte et j’aborde plus sereinement les difficultés, parfois à la limite de la désinvolture. Mes priorités ont changé, j’ai laissé la haine et la colère derrière moi, et même l’envie de vengeance, oui je peux le dire. La vengeance a hanté mon sommeil de nombreuses nuits durant. Pas pour la douleur que j’ai pu ressentir mais celle de mes enfants, plus particulièrement mon fils aîné.

Aujourd’hui, je suis en paix, et heureuse.

J.V. Ces événements traumatisants que tu as traversés ont-ils des répercussions sur ton quotidien ?

C. de A. : Aujourd’hui guérie, je ne peux pourtant larguer définitivement les amarres puisque je suis liée à cette personne à vie. Il est le père de mon enfant. C’est immuable. Devoir le voir, lui parler, se révèle toujours pénible malgré tout. J’aimerais pouvoir le rayer définitivement de mon quotidien et cela est pour l’instant impossible. Si cela fait très longtemps qu’il ne m’atteint plus, je me passerais volontiers de lui claquer la bise. Je plaisante, évidemment. Je serais incapable d’avoir un quelconque contact physique avec lui. Je dirais que c’est ce qui perturbe le plus mon quotidien. Je ne pourrai jamais avoir une relation « normale » avec lui et cela peut de temps en temps compliquer les questions relatives à notre fils.

Il y a un trauma que je n’ai pas réussi à surmonter et qui aurait pu impacter la relation actuelle avec mon compagnon, mais ce n’est pas le cas : je ne pourrai plus être maman, j’en serai totalement incapable, mon ventre ne sait plus recevoir. J’associe toujours la grossesse à l’abandon. Dommage, quand on est enfin tombée sur le bon. Mais la vie est ainsi faite et il faut savoir en apprécier chaque moment.

Pour le reste, je pourrais presque le remercier de m’avoir permis de vivre ce que je vis actuellement. Mais je ne le ferai pas, évidemment.

J. V. : Comment se portent tes deux garçons ?

C. de A. : Mon grand est un adolescent assez torturé. Je ne lui ai pas offert la sérénité à laquelle aspirait un enfant de son âge. Il a grandi au gré de mes fragilités. Il me reproche souvent d’avoir été aussi faible. Je sais que le petit garçon qu’il était a eu peur de me perdre. Me voir allongée à même le sol, baignée de larmes, dans un état de vulnérabilité lancinant, est une image qu’il ne parvient toujours pas à effacer. Je lui ai peint une vision erronée de l’amour. Je fais tout ce que je peux pour panser tout cela du mieux possible. Mais je ne peux le nier, ses blessures sont encore vives et font de lui un jeune garçon en colère, qui a du mal à se livrer, imperméable à toute démonstration d’affection. Pour lui, amour se conjugue obligatoirement avec souffrance et cynisme.

Le petit a été beaucoup plus préservé, car il était bébé quand tout cela est arrivé, et va plutôt bien.

J.V. : Ont-ils eux aussi gardé des séquelles ?

C. de A. : Comme je le disais juste avant, oui, c’est indéniable pour mon aîné. Il a encore aujourd’hui en tête des souvenirs très précis, d’épisodes particulièrement dévastateurs et les évoque parfois avec violence. Il s’est fait aider par plusieurs professionnels qui ont tenté de lui faire comprendre que nous étions sortis vainqueurs de cette épreuve, ensemble, que c’était ce qu’il fallait retenir. Ce qui me peine beaucoup est le ressentiment qu’il peut exprimer à l’égard de son frère, simplement parce qu’il est le fils de « l’autre ». Il dit reconnaitre les traits du visage de son père en lui et cela lui est encore insupportable.

Son petit frère a du mal à comprendre l’hostilité que son grand frère, qu’il adore, ressent vis-à-vis de son père. Il lui manque une pièce du puzzle.

J.V. : Comment se passe la relation entre « Maxence » et son père ?

C. de A. : « Maxence » est très proche de son père. Leur relation est fusionnelle. Elle n’est pas sans me rappeler celle que son paternel entretient avec sa propre mère. Et évidemment, cela me fait un peu peur. Peur de voir le schéma se reproduire, peur de me réveiller un jour et de découvrir un clone.

Mais son père s’occupe très bien de lui, son fils est sa vie et je ne peux lui reprocher de faire mal son job.

J.V. : Quelles ont été les réactions de ton entourage à la sortie de ton livre ?

C. de A. : Beaucoup de stupeur. Beaucoup de larmes. Mes plus proches ont été directement impactés. Cela n’a pas été facile. Le livre a néanmoins apporté des réponses à des zones d’ombres sur lesquelles je me sentais incapable de lever le voile. L’écriture, en cela, a été un véritable exutoire. Certains amis de qui je m’étais éloignée ont enfin pu comprendre pourquoi il m’a fallu plusieurs années pour revenir vers eux. Ils n’avaient pas idée. J’étais devenue experte en l’art de la dissimulation. D’une manière générale, tous estiment que j’ai été courageuse d’écrire ce livre. Je ne sais pas si c’est du courage mais j’en suis plutôt fière. Je ne vais pas faire Causette toute ma vie !

 

J.V. : Aurais-tu des conseils à donner aux lecteurs pour éviter de tomber dans cette spirale infernale ? Et d’autres conseils pour celles prisonnière d’une telle relation toxique ?

C. de A. : La clef est la confiance en soi, ou plutôt son manque. C’est cette faille qui est souvent pénétrée. Écoutez vos proches, ne vous laissez pas enfermer dans une cage, ne vous éloignez pas de ceux qui vous aiment. Fuyez aux premiers signaux d’alerte. Fuyez toute relation de dépendance affective. Croyez en vous et en votre valeur.

J’ai pu, depuis la sortie de mon livre, échanger avec beaucoup de lectrices qui me confiaient justement être prisonnières, ne pas avoir la force de s’en sortir. Je leur ai dit de partir avant que les dégâts soient trop importants. Je suis la première à savoir que ce n’est pas facile. Elles ne pourront éviter la souffrance et la douleur qui découlent de la désintoxication. Elles éprouveront peut-être même un manque les premiers temps, comme dans toutes les situations de dépendance. Mais il faut regarder vers l’horizon, même s’il paraît lointain et noir. L’avenir ne peut être que meilleur. Je les invite à relire le dernier chapitre de mon livre. Et à y croire.

« Écoutez vos proches, ne vous laissez pas enfermer dans une cage, ne vous éloignez pas de ceux qui vous aiment. Fuyez aux premiers signaux d’alerte. Fuyez toute relation de dépendance affective. Croyez en vous et en votre valeur ».

J.V. : Quel est ton rapport aux livres?

C. de A. : Je lis énormément, ce, depuis mon plus jeune âge. Très tôt, la lecture s’est révélée être la fenêtre vers un autre monde qui n’était pas le mien. Je considérais recevoir une éducation plutôt stricte par rapport à mes petits copains de classe et ne comprenais pas pourquoi on m’interdisait de faire certaines choses. Au moins, la lecture ne m’était pas interdite, elle.

Je plongeais dans ces univers colorés, je me rêvais Fantômette, faisant partie du Club des 5 ou étais Martine. Vers 14 ans, je lisais tout Stendhal et ne jurais  que par lui. Je passais des week-ends entiers, enfermée dans ma chambre, à lire. À dix-huit ans, je découvrais Albert Cohen et « Belle du Seigneur », œuvre qui m’a bouleversée. Je la relis depuis, chaque année, toujours avec le même plaisir et la même lumière qui dilate mes pupilles. 

Je n’ai pas le temps de lire tous les livres qui me donnent envie mais malgré cela, je continue à acheter de façon compulsive, au grand désespoir de l’amoureux qui voit chaque recoin de la maison habité d’une nouvelle pile de livres !

Je suis très éclectique dans mes choix. J’aime les livres qui me font rire et pleurer, les auteurs qui se livrent sans compter, qui me remuent les tripes, qui bousculent mes convictions. Ce que j’aime par-dessus tout, c’est découvrir un petit bout de l’auteur derrière ses mots, sa personnalité, son esprit.

J.V. : Quels sont tes trois derniers coups de cœur littéraires ?

C. de A. : C’est très difficile, il y en a beaucoup trop ! Mais s’il faut faire un choix…

Valérie Perrin est mon plus gros coup de cœur de ces derniers mois. Ses deux livres sont de véritables pépites. Si j’ai adoré « Les oubliés du dimanche », « Changer l’eau des fleurs » est absolument magique. Je me suis sentie envoutée par l’écriture poétique, la sensibilité qui s’en dégageait, cette odeur de poudre et de rose. Je trouve qu’ils correspondent parfaitement à l’image que dégage Valérie Perrin : bienveillance, simplicité, émotion, lyrisme, beauté, générosité.

 

J’ai découvert également il y a quelques mois l’autrice américaine Joyce Maynard, avec « Un jour, tu raconteras cette histoire ». J’ai 

terminé les derniers chapitres en pleurs, que je n’ai pu arrêter pendant de longues minutes, une fois le livre refermé. J’aime son franc-parler, sa plume empreinte de réalisme, son talent de conteuse, la femme qu’elle est, sa force, son courage.

« Éparse », de Lisa Balavoine a longtemps résonné en moi après le clap de fin. Ce fut un touché-coulé. Une écriture coup de poing, une manière poétique et musicale de raconter l’inexplicable, l’incompréhension, la douleur, tout en délicatesse et franchise.

Je sais qu’on avait dit trois, mais je ne peux pas passer outre les livres de Mathieu Menegaux, véritables page-turner, qui m’ont tenue en haleine jusqu’à la dernière page. Mention spéciale pour « Je me suis tue », son premier roman, qui ne peut vous laisser insensible.

Je dois également réserver une place de taille à Margaux Gilquin, dont j’admire la ténacité et la persévérance. Son dernier roman, « Apprendre à danser sous la pluie », m’a beaucoup émue.

Je crois que j’ai dépassé mon temps de parole. J’en profite pour te remercier, Julie, de ta gentillesse et ta générosité, de partager ton amour pour les livres avec autant de passion.

J.V. :  Je t’en prie ! Merci Cristina ! Comme je suis très curieuse et que nous partageons de nombreux coups de cœur littéraires, pourrais-tu me dire les lectures qui t’ont marquée au deuxième semestre 2018 ?

C. de A. : J’ajouterais alors trois livres : « Avec toutes mes sympathies » d’Olivia de Lamberterie : un hommage à son frère qui le rend éternel dans toutes les mémoires. Beauté à l’état brut.

Je pense aussi bien sûr à  « Einstein, le sexe et moi », d’Olivier Liron : brillant, touchant, une intelligence émotionnelle hors du commun, une lecture essentielle !

 

Enfin, « Sujet Inconnu » de Loulou Robert : un uppercut ! Quelle écriture poignante et incisive ! Impossible de lâcher ce livre dont les pages me brûlaient parfois les doigts ! ◾️
 
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