Entretien avec Cathy Galliègue
©Francesco Gattoni
La nuit, je mens (2017) ; Et boire ma vie jusqu’à l’oubli (2018)
Un premier roman qui m’avait séduite, suivi d’une chronique qui avait donné lieu à des échanges virtuels de plus en plus nourris, une amitié naissante, le suivi de l’écriture et de la publication du deuxième roman, un véritable coup de foudre ! Embarquez dans l’univers de Cathy Galliègue en 10 questions-réponses.
Julie Vasa : Les titres de tes deux romans sont empruntés au monde musical (Alain Bashung pour « La nuit, je mens » et Barbara pour ce livre avec la chanson « Mémoire mémoire »). Quelle influence la musique a-t-elle sur ton écriture ?
Cathy Galliègue : J’ai baigné dans la musique dès l’âge de quatre ans quand, pour la première fois, je me suis retrouvée dans un cours de danse.
Nous avions la chance d’être accompagnées au piano par une dame d’une grande patience, qui n’hésitait pas à reprendre encore et encore à chaque fois que nos corps sortaient du tempo, c’est-à-dire à peu près sans arrêt. À l’adolescence, mon répertoire est devenu plus rock, plus punk, plus rebelle mais il côtoyait aussi, à la maison, les grands interprètes à texte. Aujourd’hui, je fais le grand écart (toujours) entre toutes ces influences avec, dans ma playlist, entre autres, Beth Hart (la sublime), Ibrahim Maalouf, Arno, Bashung (bien sûr), Arthur H, Cesaria Evora, Barbara (évidemment)…
Je ne peux pas écouter de musique en écrivant, mais j’en écoute quand je prends des notes, à la main, quand je jette des idées sur mon carnet. Dès que je passe à l’écriture, j’ai besoin d’un certain silence, pour mieux entendre les mots qui prennent vie sur l’écran et se répondent.
J.V. : Peux-tu nous éclairer sur tes sources d’inspiration ? Quel a été le point de départ de ce nouveau roman et est-il une pure fiction ?
C.G. : Ce roman est une pure fiction. Évidemment, je me suis inspirée de sujets ou de personnes, de lieux qui ont trouvé leur place dans ce roman dont le point de départ fut une discussion avec mon père, à propos de la mémoire. Nous nous étonnions mutuellement de n’avoir que rarement les mêmes souvenirs de certains événements, ou de simples moments de la vie. Nous étions là, au même moment, au même endroit, mais la mémoire restitue sa propre histoire, quand elle n’a pas tout simplement enfoui des pans entiers de vie. Partant de cela, quelque chose a commencé prendre forme. Ce serait une femme, une femme qui s’est construite sur un trou de mémoire dans l’enfance et qui découvrira que, parfois, la mémoire, en débranchant la prise, fait un nécessaire travail de survie.
J.V. : Dans tes deux romans, la mémoire joue un rôle fondamental, que l’on cherche à la faire taire ou, au contraire, à la recouvrer. La tienne te joue-t-elle des tours ? Es-tu en accord avec elle ?
C.G. : Oui, comme je l’explique dans le question précédente, je suis assez fascinée par cette question du souvenir. Il suffit parfois de regarder des vieilles photos et de se demander « est-ce que je me souviens vraiment de l’instant où cette photo a été prise, ou est-ce que j’ai construit des souvenirs autour de cette photo ? ».
Ma mémoire me joue forcément des tours, elle est joueuse et parfois protectrice. J’ai par exemple complètement oublié des choses que l’on me dit importantes et je me souviens précisément (ou je crois me souvenir) de moments insignifiants. J’ai oublié une quantité folle de livres que j’ai pourtant adorés, j’oublie presque instantanément un film, dès le générique de fin, à quelques exceptions près, j’oublie les prénoms, beaucoup et c’est parfois embarrassant, j’ai oublié, comme Betty, les quelques années d’enfance pendant lesquelles ma mère vivait avec nous.
Mais je pense être en accord avec ma mémoire. J’accepte en tout cas de ne pas avoir de réponse à tout, de vivre dans le présent et un peu dans le futur.
J.V. : Tu as exercé plein de métiers différents et as publié ton premier roman récemment. Comment en es-tu arrivée à l’écriture ?
C.G. : Long, très long chemin… Je ne m’imaginais pas capable de « produire » un roman. J’ai une telle admiration pour les écrivains, ceux qui comptent dans une vie, que vraiment, je crois que l’idée ne m’effleurait pas, même si j’écrivais beaucoup. C’était une passion solitaire, presque secrète, qui se résumait à l’écriture de textes plus ou moins courts, qui, lorsque je les relisais, ne m’apportaient que la confirmation qu’écrire, écrire vraiment, c’est un métier, une vocation, et que quelques fulgurances ne suffisent pas à faire un texte.
Et puis j’ai créé un premier blog, une sorte de fourre-tout où, sans en avoir conscience sur le moment, je m’exerçais à travailler mon écriture et à être lue sans être vue.
Derrière l’écran protecteur. J’ai gagné en fluidité et en confiance, je crois et, petit à petit, l’idée d’un roman a germé. Passer de l’idée du roman à la réalisation m’a encore pris du temps, je ne me sentais pas légitime, j’avais peur de l’échec, j’ai toujours eu peur de l’échec, dans tous les domaines, et cette peur entrave, souvent. Plutôt ne rien faire que faire mal.
Mais j’ai eu un coach qui, lui, y croyait dur comme fer : mon mari. Et il possède un pouvoir persuasif énorme. Alors je l’ai écouté et j’ai commencé ce premier roman. Étonnamment, je l’ai écrit en neuf mois quand je pensais que ça me demanderait des années. Et ce roman terminé en a appelé un autre, et ainsi de suite…
J. V. : Tes romans sont très bien construits et on imagine que tu appartiens aux auteurs qui ont un cadre précis de l’histoire en tête avant de commencer la rédaction. Est-ce le cas ? Écris-tu ensuite l’histoire en commençant par le début ou bien par morceaux, comme le suggèrent tes publications d’extraits sur Facebook ?
C.G. : Dans la vie comme dans l’écriture, je suis désorganisée au possible. J’aimerais vraiment me structurer, avoir un mode de pensée qui part d’un point A pour aller à un point B, mais je n’y arrive pas. Quand une histoire s’élabore dans ma tête (je dis « s’élabore » parce que je crois qu’elle le fait sans que j’intervienne), je vois les contours, je commence à écrire, mais il est très fréquent que tout arrive dans le désordre, que je lâche le début pour m’attaquer à la fin, parce que c’est ainsi que ça se présente dans ma tête. C’est assez difficile à décrire, c’est bordélique, mais au final je m’y retrouve.
J.V. : Quel rôle l’écriture joue-t-elle dans ta vie et a-t-elle des vertus thérapeutiques ?
C.G. : L’écriture a toujours été là, dans ma vie, comme la lecture. Maintenant les choses sont un peu différentes. Elle est le centre de tout, j’organise ma vie en fonction d’elle, je n’ai plus beaucoup d’espace de « déconnexion » parce qu’elle me réveille même la nuit. Je décroche facilement de discussions entre amis parce que tel sujet abordé me fait penser à… et que je pourrais l’écrire. Elle me phagocyte et j’aime ça, je me laisse faire. Mais je ne pense pas l’utiliser dans un but thérapeutique, pas pour moi, mais si les thèmes que j’aborde peuvent aider des lecteurs à se sentir moins incompris, moins seuls, alors je crois que je n’écris pas pour rien.
J.V. : Tu vises explicitement ton éditrice Emmanuelle Collas dans tes remerciements à la fin de ton livre. Comment envisages-tu la relation auteur/éditeur ? Que t’apporte-t-elle ?
C.G. : La collaboration entre un éditeur et un auteur est avant tout une rencontre. Le texte est l’amorce de cette rencontre. L’éditeur aime le manuscrit, il a envie de le porter, il contacte l’auteur. C’est un bon début. Mais cette collaboration va durer dans le temps,
et il est important, il est primordial, que l’un comme l’autre se fassent confiance, qu’au-delà du texte, deux personnes s’apprécient et se comprennent. Je vis à 8 000 km de mon éditrice et, pour autant, j’ai vite compris que quand Emmanuelle Collas choisit un texte (et son auteur), c’est pour le porter véritablement, malgré la distance.
J.V. : Quels sont les livres qui t’ont le plus marquée ?
C.G. : Je ne vais pas beaucoup t’étonner en citant « Bonjour tristesse », roman découvert à 15 ans qui a été un vrai choc.
Et puis « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme », de Stefan Zweig, ou encore « La promesse de l’aube », de Romain Gary, ou « La tâche » de Philip Roth…
J.V. : Et quels sont tes trois derniers coups de cœur littéraires ?
C.G. : Trois ?! Très difficile de faire un choix aussi drastique. Je sollicite un droit au marchandage. Dix ? Six ? Ok, give me five ! « Einstein, le sexe et moi » de Olivier Liron ; « Glaise » de Franck Bouysse ; « Les voyages de sable », de Jean-Paul Delfino ;
« Leurs enfants après eux » de Nicolas Mathieu ; et « Toutes les histoires d’amour du monde », de Baptiste Beaulieu.
Mais je ne te remercie pas pour cette question, j’espère qu’aucun de mes amis auteurs de nombreux autres coups de cœur ne m’en voudra.
J.V. : Pour toi, qu’est-ce qu’un « bon parent » ? Betty est-elle une bonne mère en dépit de son addiction ? Et tous ces pères dans ton histoire : peut-on les qualifier de « bons parents » ?
C.G. : Je n’ai aucune idée de ce qu’est un « bon parent » mais j’ai déjà vu des enfants plutôt épanouis, curieux, heureux… Sans doute que ces enfants sont accompagnés par des parents qui leur ont appris très tôt que la chose la plus importante dans la vie, ce n’est pas la performance, ce n’est pas de commencer à faire un plan de carrière à dix ans, ce n’est pas de ne pas se blesser en tombant, ce n’est pas de ne pas pleurer, mais que la chose la plus importante dans la vie, c’est d’être heureux, tel que l’enfant est, et qu’il fasse ce qui le rendra heureux, lui.
Betty est une mère imparfaite, comme toutes les mères. Même au plus profond de son désespoir, elle joue le bonheur, pour son enfant, pour qu’il ne perde pas son insouciance, pour qu’il ne devienne pas l’enfant qui soigne le parent.
Je les trouve plutôt chouettes les pères de ce roman. L’un comme l’autre, ils ont dû endosser les rôles des deux parents à la fois, combler les manques, improviser, mentir parfois en pensant protéger, ou ne rien dire, ce qui est pire, mais ils ont été de bons papas imparfaits, donc humains■