Entretien avec Zep

© Karine Bauzin

 

C’est LE livre dont tous les enfants (et leurs parents !) rêvent sans parfois oser le demander ! Immense succès international, prolongé par une exposition qui a circulé de la Cité des sciences parisienne à Palexpo à Genève, le « Guide du zizi sexuel » de Zep et Hélène Bruller se refait une beauté pour ses 20 ans. Entretien avec le papa de Titeuf, réalisé pour le Elle suisse.

« C’est pô juste ! » : telle est la phrase désormais culte de Titeuf imaginé par le dessinateur suisse et dont nous célèbrerons les 30 ans l’année prochaine. Il est le héros d’un guide publié quant à lui il y a 20 ans. Si les sujets qu’il pose demeurent d’actualité, d’autres sont apparus depuis sa sortie, avec le développement d’Internet, le phénomène #MeToo, les revendications sur la diversité sexuelle et l’identité de genre. Être amoureux, c’est quoi ? Comment embrasse-t-on ? Se protéger, mais de quoi ? Consentement, vraiment… ? Autant de questions posées par nos chères têtes blondes et qui nous cueillent, parfois. Le « Guide du zizi sexuel », phénomène éditorial avec plus d’un million et demi d’exemplaires vendus et destiné aux pré-ados, dès 9 ans, apporte des réponses précises, énoncées clairement et avec humour !

Zep, papa de Titeuf, nous fait entrer dans ses coulisses : un entretien chaleureux dans son atelier absolument incroyable, sous l’oeil de la talentueuse Karine Bauzin.

 

 © Karine Bauzin

Julie Vasa : Commençons par un petit retour dans le temps… Comment l’idée du livre est-elle née il y a 20 ans ?

Zep : J’ai grandi avec les manuels des Castor junior. J’adorais ces bouquins, des petits guides qui donnaient plein d’informations que les adultes n’avaient pas. On avait l’impression de détenir un savoir qui nous était réservé. ​Et puis dans les années 90’, j’ai confié à mon éditeur mon envie de réaliser un guide avec Titeuf. Sur quoi ? C’était la question. Je ne souhaitais pas faire un guide de bricolage, dans la lignée des Castor junior, Titeuf n’étant pas exactement le gars le plus débrouille du monde. Et puis j’ai pensé que ça pourrait être marrant de faire quelque chose autour de l’amour, de la sexualité, de la puberté puisque ça fait partie des préoccupations des enfants et de Titeuf et que ce type de guide pour les enfants, amusant, n’existait pas.

J.V. : Votre éditeur a-t-il immédiatement été séduit par l’idée ?

Zep : Pas vraiment : il a commencé par avoir un peu peur ! Quand le premier Titeuf est sorti, il a été interdit dans plein de réseaux à cause de sa couverture. Ce n’était pas bien méchant mais suffisant pour qu’il ne soit pas diffusé dans de nombreux endroits. On a quand même commencé à travailler sur le projet de guide en 1999 avec un ami mais qui a ensuite été engagé comme rédacteur en chef d’un magazine parisien. J’ai donc poursuivi seul jusqu’à ce que je rencontre Hélène Bruller qui faisait alors les novelisations de Titeuf. Je lui ai proposé de travailler avec moi sur ce guide en partant des questions des enfants. Hélène a rencontré une infirmière qui faisait les cours d’éducation sexuelle chez les primaires. Elle lui a demandé les questions les plus courantes mais aussi celles qui restent dans les boîtes, que les enfants n’osent pas poser… Au départ, on a donc « bricolé » ce guide.  

J.V. : Et le succès a été immédiat !

Zep : Etonnamment ! Le Guide est pourtant sorti de manière relativement discrète : pour vous donner une idée, le tirage d’un nouveau Titeuf en 2000, c’était 500 000 exemplaires. Pour le Guide, c’était dix fois moins. Nous avons été très surpris des réactions enthousiastes du public. Les enfants venaient eux-mêmes l’acheter. À leur âge, je n’aurais jamais osé acheter un livre où il était inscrit « sexuel » sur la couverture, j’aurais trouvé cela été hyper gênant ! Ce bouquin a eu une vie assez incroyable. Et c’est un livre que j’ai toujours en dédicace : les gens viennent encore maintenant avec le Guide qui est sorti il y a 19 ans !

J.V. : Ces lecteurs reviennent avec leurs enfants parfois maintenant ?

Zep : Oui, cela arrive ! Certains me disent : « j’ai grandi avec le guide, je l’ai eu longtemps dans ma chambre et je viens l’acheter pour mon enfant… ».

Salon du livre de Genève- 2016

« En bande dessinée, nous sommes dans une espèce de territoire protégé où les contenus vieillissent moins. »

J.V. : Comment expliquez-vous ce succès mondial, plus d’un million et demi de lecteurs ?

Zep : Ce thème est très anxiogène lorsque l’on est enfant. Ces questions nous paraissent très importantes mais on n’ose pas en parler, ni avec nos parents, ni avec les adultes en général. On ne sait pas trop où aller chercher des infos et puis, on n’a pas envie d’entrer dans quelque chose de trop sérieux non plus. Je pense qu’on a davantage besoin d’intégrer un univers un peu léger, un peu drôle et, pour finir, cette place n’a pas été tellement prise. Je pensais, après la sortie du Guide, que cela serait le cas, mais pas du tout. Pour finir, il existe de nombreux guides autour de la santé, de la sexualité, du corps mais pas pour les enfants, ou les pré-ados. Il me semble que les livres existants pour ce public sont soit trop bébé, soit trop sérieux.

J.V. : Pourquoi l’avoir mis à jour ?

Zep : Les lecteurs qui m’apportaient toujours le Guide en dédicace soulignaient ses manques comme, par exemple, le fait qu’on n’y parlait pas d’Internet ou de genre. J’en ai alors discuté avec mon éditeur l’année dernière. Deux options se présentaient à nous : soit on le refaisait, soit on le sortait du catalogue ! Refus catégorique de mon éditeur : « On ne peut pas supprimer le Guide du zizi sexuel, tu ne te rends pas compte ! ». Il n’était pas envisageable selon moi d’y ajouter des petites choses : il fallait reprendre complètement l’édition. Cela valait la peine de tout revoir même si nous avons conservé beaucoup de choses. Nous avons alors travaillé sur ce projet avec Hélène. Une équipe scientifique de l’Université de Genève dirigée par Céline Brockmann nous a rejoints. C’était formidable car ils ont apporté beaucoup d’idées, d’images, de matériel. J’ai trouvé cela passionnant de travailler avec eux.

J.V. : Le fait de rééditer un livre, le mettre à jour, vous a t-il plu ?

Zep : Je n’ai fait que les dessins vous savez…

J.V. : Vous êtes tout de même à l’origine du livre, de sa réédition… cela va au-delà !

Zep : Ce projet m’a vraiment intéressé, j’ai appris plein de trucs. C’est assez marrant de se dire qu’un livre peut vivre aussi longtemps : ce n’est pas si fréquent. Même certains films pourtant immenses peuvent paraître ringards vingt ans après leur sortie. En bande dessinée, nous sommes dans une espèce de territoire protégé où les contenus vieillissent moins. On continue à acheter des Tintin parus il y a septante ans ! C’est incroyable ! Je ne sais pas si Titeuf vieillira aussi bien… Je ne crois pas car il y a quelque chose de plus contemporain, social, qui vieillit sans doute un peu plus vite.

J.V. : L’accès aux informations a changé depuis 20 ans et les enfants sont familiarisés aux questions sexuelles, souvent par des vidéos, parfois trop tôt, parfois mal. Qu’apporte votre guide dans ce contexte ?

Zep : Je trouve cela très chouette que des enfants de 10 ans continuent à lire ce Guide créé il y a 20 ans. C’est même un bon signal quant à leur curiosité, qu’ils aient toujours envie de comprendre des choses. Ils ont aujourd’hui un milliard d’infos à disposition sur leurs téléphones mais c’est très dur de faire le tri entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, savoir quoi chercher et comment. Je crois que le livre a un côté compagnonnage qui manque au téléphone où les infos ne peuvent pas être facilement conservées. Je reçois souvent comme témoignage : « Le guide est dans ma chambre, je l’ai gardé dans ma table de chevet pendant 3 ans ». C’est très rare de conserver un livre aussi longtemps à portée de mains. En général, quand on a lu un livre, on passe au suivant.

J.V. : C’est l’avantage d’un guide je crois : on ne le lit pas forcément d’une seule traite.

Zep : C’est vrai, on le lit par petits bouts. Les petits vont s’intéresser à la question « C’est quoi être amoureux » alors que les plus grands vont lire les passages sur la puberté. Je suis vraiment content d’avoir refait le Guide. Il a une raison d’exister.

« L’humour est un kit de survie, à cet âge mais tout au long de notre vie ! On ignore ce qui va nous arriver. Il ne faut pas prendre les choses trop au sérieux. Tout est éphémère et nous en premier. »

J.V. : Comment avez-vous vécu sa parution au moment du deuxième confinement ?

Zep : Franchement, très bien ! Ma vie est confinée depuis 30 ans, je travaille toute la journée seul dans mon atelier. Le confinement n’a rien changé, j’ai toujours fonctionné en télétravail avec mes éditeurs qui sont à Paris et à Bruxelles et que je vois une ou deux fois par an. La promotion du Guide s’est faite avec des masques. Il y en a eu un peu moins mais cela ne m’a pas dérangé ! Je vous avoue que ce n’est pas la partie que j’aime le plus !

Zep dans son atelier – Genève – Décembre 2020

© Karine Bauzin

J.V. :  Pensez-vous qu’il soit plus facile de parler de sexe aux enfants via le dessin ? De manière générale, le dessin facilite-t-il la communication ?

P.C. : Je le pense. En tous cas, sur ce sujet, c’est une évidence. La photo a quelque chose de trop frontal. On ne peut montrer certaines choses sans que cela soit perçu comme une agression. Le dessin permet cette distance qui rend la communication plus facile. Le personnage l’autorise : au fond, c’est rassurant pour un enfant de se dire que Titeuf comprend moins bien que tout le monde ! Dans le Guide, Hélène et moi avons inséré des questions que l’on se posait enfants mais que nous n’osions pas demander. Que quelqu’un les formule à notre place est très réconfortant. Quand c’est un copain qui pose une telle question en classe, on va se moquer de lui mais on est ravi qu’il le fasse ! Titeuf endosse un peu ce rôle du plus paumé des enfants. C’est rassurant !

J.V. : Et l’humour ? Est-il indispensable pour parler de choses sérieuses ? 

Zep : Carrément ! L’humour est un kit de survie, à cet âge mais aussi tout au long de notre vie ! On ignore ce qui va nous arriver. Il ne faut pas prendre les choses trop au sérieux. Tout est éphémère et nous en premier. Apprendre à nos enfants à rire d’eux-mêmes va les aider toute leur vie. C’est une force. Ils traverseront les épreuves en étant moins affectés. Tout passe mieux. C’est vrai que sur ces sujets un peu flippants, si on peut rigoler un peu, c’est bien !

J.V. : Voyez-vous une différence d’approche importante par rapport à votre enfance ?

Zep : On rigolait aussi à propos de la sexualité quand on était petits, mais on ne comprenait rien et on ne savait rien ! Notre attitude reflétait en réalité notre inquiétude. On nous avait bien dit deux ou trois choses mais difficile de savoir ce qui était vrai ou pas. On nous montrait des adolescents en nous disant : « tu seras comme ça ! » et on cherchait une solution pour éviter absolument que ce soit le cas ! Comment comprendre que des gens, seulement âgés de deux ans de plus que nous, n’aient qu’une envie : mettre leur langue dans la bouche d’un autre ?! Pourquoi ont-il de la moustache, des boutons, une voix bizarre… ? Pourquoi veulent-ils tout le temps dormir ? C’était hyper flippant ! Cette transformation quand on a 10 ans, est très stressante.

J.V. : Vous êtes-vous imposé des limites, dans les propos ou les dessins ?

Zep : Non, au contraire. Nous avons davantage besoin des dessins pour aborder des sujets plus difficiles. Il vaut mieux réaliser un dessin de prédateur sexuel que croquer quelque chose déjà rigolo dans le texte. 

Certaines questions sont déjà drôles en elles-mêmes, par exemple, lorsque l’on explique comment embrasser. Je trouve cela bien qu’un dessin soit présent pour les questions les plus délicates. Et c’est un exercice auquel je suis habitué étant souvent sollicité par des associations qui veulent monter des campagnes, par exemple contre les prédateurs sexuels mais aussi contre le cancer… Je trouve cet exercice très intéressant : comment rire autour d’un sujet sans se moquer des gens concernés ? Comment rire avec eux ? J’ai fait beaucoup de dessins pour Handicap international… C’est très formateur ! On rencontre une population que l’on ne connait pas forcément, qui a beaucoup d’humour et envie de rire et qui est pourtant un peu bannie de la bande dessinée, ou du dessin d’humour. Rire avec eux, sans en faire un sujet de moquerie, est une gymnastique intéressante.

J.V. : Dans cette nouvelle édition, les filles sont davantage présentes à commencer par Nadia sur la couverture. Les lecteurs du Guide sont-ils aussi des lectrices ?

Zep : Je pense que les filles sont aussi nombreuses que les garçons à lire le Guide, même s’il est difficile de le quantifier exactement. Cela se vérifie lors des dédicaces. Les plus grandes d’entre elles, qui l’ont lu plus jeunes, ont pu me dire qu’il manquait des choses. C’est vrai car c’est avant tout le Guide de Titeuf au fond, des garçons qui parlent entre eux des filles. Mais le fait de travailler avec Hélène, d’avoir une éditrice et non plus un éditeur qui est très militante dans plusieurs associations féministes et très sensible au sujet, de collaborer avec des scientifiques menés par une femme… j’étais le seul gars à travailler sur ce guide avec une équipe de femmes ! Certaines fois, elles me disaient « mais tu ne peux pas dessiner ça, ce n’est pas possible » ! Mais j’ai tenu à montrer le machisme des petits garçons. C’est important. Et leur peur des filles est une réalité, il ne faut pas la cacher. Le fait que les garçons ne soient pas les seuls à être curieux, à avoir envie d’embrasser, de faire l’amour… est aussi une réalité qu’il fallait montrer.

« Être l’auteur de ce guide n’est clairement pas un avantage avec nos enfants ! »

J.V. : Qu’était-il important de conserver dans la nouvelle édition ?

Zep : A priori, il ne s’agissait pas d’enlever des passages mais d’en ajouter pour combler les manques, ou remplacer des passages, des expressions obsolètes, comme « se faire plaquer » que plus personne n’utilise, ou des numéros anciens nécessitant d’être mis à jour. Nous avons plutôt dû ajouter des thèmes qui étaient inexistants il y a vingt ans.

J.V. : De quelle manière avez-vous travaillé ? Avez-vous attendu les textes pour réaliser les dessins ?

Zep : Plus ou moins. Nous avons commencé par identifier ce qui manquait. Puis nous avons trié les questions. Il y a alors eu une sorte de ping-pong entre l’éditrice et Hélène qui écrivait alors les textes. Ceux-ci passaient par le filtre scientifique puis je faisais ensuite mes dessins. Mais il a pu arriver que je commence par faire un dessin que je trouvais intéressant à réaliser et que la question soit posée et la réponse formulée après.

J.V. : Plusieurs développements très réussis, et pas uniquement destinés aux enfants, apparaissent comme sur le consentement, l’estime de soi, le genre. Ces questions ont-elles été compliquées à traiter ?

Zep : C’était difficile de faire court sur ces questions qui parfois, sont finalement plus complexes à comprendre pour les adultes que pour les ados. Le Guide a ceci de particulier de susciter la discussion entre parents et enfants : ils se mettent à parler du Guide, d’un dessin marrant et puis, par extension, ils vont plus loin. D’ailleurs, certains enfants en savent finalement plus que leurs parents ! Je trouve ça cool ! Certains parents m’ont confessé aller dans la chambre des enfants pour voir où se situe le marque-page dans le Guide afin d’identifier le sujet de préoccupation du moment !

Extraits du “Guide du zizi sexuel”, © Zep et Hélène Bruller, 2020, Glénat

J.V. : Êtes-vous plutôt papier ou ordinateur pour dessiner ?

Zep : Mes dessins sont toujours sur papier mais pour les couleurs, j’utilise parfois l’ordinateur. Je ne suis pas très « nouvelles technologies » !

J.V. : Quel est le dessin qui vous a posé le plus de difficulté et celui que vous préférez ?

Zep : Je n’ai pas de souvenir concernant un dessin particulièrement délicat. Ce que j’apprécie le plus, ce sont les dessins anatomiques ! J’adore faire ça !

J.V. : J’ai cru comprendre effectivement !

Zep : J’aurais pu devenir dessinateur de planches pour le dictionnaire ! Cela m’intéresse de dessiner des organes sexuels de manière amusante, tout en demeurant le plus scientifique possible. Dessiner un pénis et un clitoris et en faire un petit gag, quelque chose de graphique, m’a intéressé. Les petits gars dessinent toujours des zizis sur les murs, dans les toilettes des écoles. Je trouverais ça marrant qu’ils se mettent à dessiner des clitoris !

Extrait du “Guide du zizi sexuel”, © Zep et Hélène Bruller, 2020, Glénat

J.V. : Bientôt des tutos sur les réseaux alors, comme pour dessiner Titeuf ?

Zep : Peut-être ! C’est une bonne idée, je vais y penser ! Le clitoris a quelque chose d’assez graphique en fait. Déjà, on voit que ça se dessine. C’est un progrès. À partir du moment où on le dessine, on réalise comment c’est fait. J’ai reçu récemment une amie de mon âge à la maison. Elle regardait le Guide et l’a pris pour sa petite-fille. Elle m’a dit : « J’ai 53 ans et c’est la première fois que je vois comment un clitoris est fait ! ».

J.V. : Auriez-vous aimé avoir ce guide quand vous étiez enfant ?

Zep : C’est clair ! Franchement, j’aurais compris plein de choses beaucoup plus rapidement. Le dialogue entre les hommes et les femmes aurait été plus simple. Certains sujets sont si sensibles aujourd’hui. Cela m’arrive d’être perdu. J’entendais parfois l’équipe de l’Université de Genève aborder des thèmes comme le genre et j’avais le vertige en pensant à ce que j’avais pu dire en interview ! Je ne suis pas sexologue. Les enfants qui liront le guide seront mieux servis que nous au même âge.

J.V. : Votre expérience en tant que père a-t-elle fait évoluer le contenu du livre ?

Zep : Je n’en suis pas certain. Comme la majorité des parents, je suis un peu emprunté sur ces sujets. On parle tout de même assez librement de sexualité avec nos enfants mais Mélanie (ndlr : son épouse) est beaucoup plus libre et claire que moi. De mon côté, j’ai du mal à ne pas faire l’imbécile et déraper ! Expliquer un truc sérieusement me semble compliqué ! Parfois, les enfants se sentent gênés par ses éclairages très précis mais je trouve qu’elle a totalement raison. Quand on explique des choses à nos enfants, j’ai l’impression qu’on tombe toujours au mauvais moment : soit on est trop en avance, soit on est en retard. Soit on est gênant, soit ils ont honte et nous disent qu’ils savent déjà tout ça.

J.V. : Ce guide vous a-t-il été utile avec vos propres enfants ?

Zep : Je leur ai offert. Ils en ont sans doute parlé entre eux, avec leurs copains, mais ne sont jamais venus me voir en me demandant des explications et les raisons d’un passage, d’un dessin. Ils sont finalement assez gênés quand on aborde ces sujets, nos expériences à leurs âges. Être l’auteur de ce Guide n’est clairement pas un avantage avec nos enfants !

J.V. : Avez-vous su très jeune que vous vouliez faire du dessin votre métier ?

©Karine Bauzin

Zep : Oui, tout petit. J’étais assez monomaniaque. Mes enfants trouvent que j’ai eu de la chance d’avoir su, dès 4 ans, ce que je voulais faire. A 20 ans, ils ne savent pas encore très bien.

J.V. : Dessinent-ils eux aussi ?

Zep : Tous oui et même bien ! Dans des styles différents. Mon fils de 18 ans fait de la bande dessinée et il a vraiment du talent. Mais c’est un loisir pour eux. Mon fils de 23 ans fait des croquis, des aquarelles. Cela nous arrive aujourd’hui de dessiner ensemble. Pourtant, pendant des années, je n’ai pas su qu’il dessinait. J’ai réalisé un beau jour qu’il avait des carnets et m’en suis étonné ! Il n’avait pas pensé à m’en parler !

J.V. : Impossible d’évoquer le Guide sans vous parler du président du Brésil. Qu’avez-vous ressenti quand Bolsonaro, alors candidat, s’est appuyé sur votre Guide pour dire à quel point ses adversaires de gauche étaient dépravés ?

Zep : Le thème principal de sa campagne était la lutte contre l’homosexualité. Génial, non ? Il s’est appuyé sur deux choses – l’édition brésilienne du « Guide du Zizi sexuel » et de faux biberons qu’il a fait fabriquer avec une tétine en forme de pénis – en disant : « voilà ce que la gauche distribue dans les écoles et dans les crèches ! »

J.V. : Le fameux « Kit gay »…

Zep : … destiné à fabriquer une nation d’homosexuels ! Il a détruit l’image de la gauche avec ces outils alors même que bien évidemment, c’est faux. J’adorerais que le Guide soit distribué dans les écoles mais ce n’est pas du tout le cas. Quand Bolsonaro est parti en campagne contre le Guide, je crois que nous en avions vendu 5 000 exemplaires, ce qui est très peu pour un pays de cette envergure. Mais, parmi eux, il y avait celui de Bolsonaro ! Un soir, sur le plateau télévisé d’un 20 heures, il sort le Guide, vocifère… la page avec le trou en particulier le rendait complètement fou.

Je l’avais déjà repéré sur sa chaîne You Tube dont des copains m’avaient informé, je voyais bien qu’il avait l’air très fâché mais comme je ne parle pas portugais, je ne comprenais pas ce qu’il disait exactement. Comme nous avons toujours eu des détracteurs sur le Guide, je ne me suis pas plus inquiété que ça, un de plus. Mais j’ai ensuite réalisé qu’il avait 22 millions d’abonnés à sa chaîne… Ce n’était pas juste un réac mais un vrai leader d’opinions ! Puis, des journalistes sont venus de Rio pour m’interroger ! Alors que ça me semblait totalement anecdotique, j’ai pris conscience de l’énormité du truc et de son caractère démentiel.

J.V. : Quel effet cela fait-il d’être ainsi instrumentalisé par un tel personnage ? Etait-ce désagréable ?

Zep : Pas tant que ça en fait. J’aurais trouvé cela hyper désagréable s’il avait fait sa campagne en encensant le Guide, en s’en revendiquant. J’en aurais été gêné. Mais le fait qu’il veuille le brûler était réconfortant ! C’est toujours rassurant d’être détestés par des cons ! L’inverse est plus gênante. Un politique affreux qui se revendiquerait de Titeuf me mettrait mal à l’aise. J’ai trouvé la situation assez drôle, jusqu’au jour où il a été élu…

J.V. : Vous êtes-vous senti parfois menacé avec toute cette histoire ?

Zep : Non, pas du tout. Mais effectivement, j’ai été invité par le Salon du livre de Rio cette année. Il a été annulé et  la question d’y aller ou pas ne s’est donc plus posée mais un ami là-bas m’a découragé d’y venir en me disant à quel point j’y serai en danger.

 

«C’est toujours rassurant d’être détestés par des cons ! L’inverse est plus gênante. »

J.V. : D’un point de vue commercial, cette « promotion » n’a pas été si négative que ça…

Zep : Franchement, avec le passage à la télévision à 20 heures, ça a été une très belle opération !

J.V. : Aujourd’hui, à part les organes sexuels…, qu’est-ce qui vous inspire dans vos dessins ?

Zep : Les arbres, toujours. Je préfère  dessiner la nature à l’architecture. J’aime aussi dessiner les gens. Une histoire peut naître d’un dessin. Elle peut aussi arriver par une information, un fait divers qui va être le déclencheur d’un scénario.

J.V. : Appréciez-vous créer des œuvres de fiction complètes ?

Zep : Les auteurs de fiction bénéficient d’une position très confortable : celle de pouvoir imaginer des choses, pas totalement folles – par exemple dans « The End », ce n’est pas fou, un peu plausible – mais aucun scientifique ne pourrait dire cela. Si les scientifiques ont la possibilité de croire un peu que c’est possible, ils doivent s’en tenir scrupuleusement aux faits. Or, ce qui fait qu’un lecteur est marqué par un sujet, c’est la fiction. Par exemple, tous les scientifiques qui s’inquiètent du clonage sont peu audibles du grand public mais une fois que l’on a vu Blade runner, ça nous parle davantage. La fiction permet d’explorer des possibilités de notre histoire, en toute liberté. Nous n’avons pas de rigueur scientifique à observer. 

J.V. : Et en ce moment, sur quoi travaillez-vous ?

Zep : Je suis en train de faire deux livres en même temps : le prochain Titeuf qui a une histoire complète et un roman graphique sur le cerveau numérique. Ce sont deux projets bien différents et j’adore passer de l’un à l’autre. J’aime apprendre en faisant. Je ne suis spécialiste de rien au fond, à part dessiner. Chaque fois que je raconte une histoire, je dois apprendre des choses sur le sujet. Parfois, je me dis que j’aurais dû plus écouter mes professeurs à l’école ! ■

Page Instagram de Zep où il dévoile la couverture du prochain Titeuf (en vert !)

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