Entretien avec Souheila Yacoub

Souheila Yacoub – Grand Théâtre de Genève – Décembre 2020 – ©️ Karine Bauzin 

 

La jeune comédienne Souheila Yacoub crève l’écran ! Passionnée et ambitieuse, une artiste suisse charismatique désormais incontournable ! Entretien réalisé pour le Elle suisse.

Je l’avais pour la première fois repérée sous les traits de la directrice de campagne de son père dans Les Sauvages où elle incarnait Jasmine Chaouch et avais été totalement subjuguée par son interprétation de Sarya, l’impressionnante combattante kurde de No man’s land . Alors que je cherchais à en savoir plus sur Souheila Yacoub, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir qu’elle était suisse ! L’occasion rêvée de décrocher une interview pour le Elle qu’elle m’a gentiment accordé.

Ancienne gymnaste de haut niveau, ex Miss Suisse Romande, Souheila Yacoub conserve de ces expériences le goût du travail et celui des autres. Des qualités au service d’une carrière qui explose littéralement ! « Tous des oiseaux », « Climax », « Les Sauvages », « No man’s land »… des rôles engagés et exigeants, incarnés avec justesse. Rencontre au Grand Théâtre de Genève pour le ELLE Suisse en décembre 2020, l’occasion pour elle de revenir sur son parcours et dévoiler ses projets.

 

Julie Vasa : Vous êtes née à Genève. Y avez-vous toujours vécu ?

Souheila Yacoub : Jusqu’à mes 12 ou 13 ans. Ma famille y est toujours basée, ce qui n’est plus mon cas. Finalement, je connais peu Genève. J’ai passé huit ans en équipe nationale suisse de gymnastique rythmique et sportive – GRS –  à Macolin. Lorsque j’ai arrêté la gym, à 20 ans, je suis rapidement partie à Paris, après avoir quand même été Miss Suisse romande !

J.V. : Un parcours peu classique pour une actrice !

S.Y. : C’est vrai que j’ai l’impression d’avoir déjà vécu plein de vies ! Je conserve, de mes années de gym, plein de bons souvenirs. Cette pratique intensive m’a permis de bien me construire. J’ai acquis, durant ces années, un certain nombre de qualités appréciables sur un tournage : rigueur, discipline, respect des autres, aisance en langues, y compris le suisse allemand appris à l’école ! Autre apprentissage qui a compté : la conscience et le travail d’équipe… Plusieurs aspects de cette éducation me rendent très heureuse aujourd’hui et je ne les regrette pas. Néanmoins, ce furent des années douloureuses.

J.V. : Pour quelles raisons ?

S.Y. : Des articles ont été récemment publiés en Suisse sur le traitement des sportifs de haut niveau.

Le sujet a explosé juste avant l’été 2020. Beaucoup de gymnastes suisses, comme Ariella Kaeslin avec laquelle je m’entraînais, se sont exprimés et ont rompu le silence à propos des relations « difficiles » avec nos coachs. J’ai été touchée de plein fouet par ce problème. 

Bref ! Lorsque j’ai décidé de changer d’orientation, je suis revenue vivre à Genève. Cela n’a pas été évident du tout et j’ai traversé une période un peu délicate. J’avais arrêté l’école à 16 ans pour me consacrer à la préparation des Jeux Olympiques, n’avais pas beaucoup d’amis, n’avais jamais embrassé un garçon ni bu une goutte d’alcool…

J.V. : Je ne peux pas le croire !

S.Y. : Je vous assure, je ne connaissais rien à la vie « normale » ! Je ne m’étais jusqu’alors consacrée qu’à la gym et les coachs nous faisaient croire qu’il n’existait que ça ! Je m’entraînais tous les jours, de 6h du matin à 22h… Pas le temps de se poser des questions. On ne nous prépare absolument pas à l’après qui est loin d’être évident. Mon retour à Genève a été vécu un peu comme un choc. Le fait de ne pas avoir été sélectionnées pour les JO, loin de m’avoir accablée, m’a à l’inverse libérée !

J.V. : Cela n’a donc pas été une trop grande déception ?

S.Y. : Bien au contraire, même si passer du statut de sportif d’élite à … rien (!) n’a pas été simple ! J’ai eu le sentiment de commencer enfin ma vie, la vraie. Lorsque j’ai arrêté, j’ai pu respirer. Plein de rêves que j’avais mis sous cloche me sont alors revenus. J’avais toujours voulu faire du théâtre ou de la danse… un besoin d’exprimer quelque chose mais je ne savais pas trop de quelle manière. J’ai donc traversé une période assez délicate à ce moment-là, en suivant quelques mois des cours de danse. Un jour, alors que je me promenais avec ma sœur dans un centre commercial, nous avons découvert le concours Miss Suisse romande. Ma sœur m’a encouragée à me présenter. J’étais réticente mais me suis lancée. J’ai été prise au premier tour, ai passé les tests de culture générale et ai été sélectionnée ! Et j’ai gagné ! C’était fou !

J.V. : Que retirez-vous de cette expérience ?

S.Y. : Du positif ! Ce concours représente pour moi une transition.Il m’a d’abord permis de penser à autre chose qu’à la gym, ce  qui m’a fait beaucoup de bien !

©️ Roland Burkhard

J’ai également pu rencontrer des jeunes qui n’avaient pas fait de sport pour la plupart et qui appartenaient à la vraie vie. J’ai d’ailleurs rencontré mon premier copain très rapidement, mon meilleur ami aujourd’hui. Ce concours m’a permis d’accéder à une vie normale alors que j’avais un peu perdu confiance en moi durant mes années de pratique sportive à haut niveau. Je me suis autorisée à partir à Paris à ce moment-là.

J.V. : Paris a donc toujours été en ligne de mire ?

S.Y. : J’avais besoin de partir de Suisse. La période passée avait été trop dure et je ne voyais pas, d’un point de vue artistique, comment je pouvais rester là-bas. C’est dommage mais c’est une réalité. Il y a plein de belles choses, un accès à la culture aisé mais on est peu habitué à ce type de carrière. N’ayant pas d’argent pour financer des études artistiques, j’ai présenté des dossiers de demandes de bourses et l’un a abouti. C’est de cette manière que j’ai atterri au Cours Florent à Paris, la révélation !

J.V. : Quel souvenir conservez-vous de votre arrivée à Paris ?

S.Y. : Du bonheur à l’état pur ! Je me souviens d’être arrivée avec un sac à dos et une valise… C’était Hollywood ! Pour la première fois, c’était mon choix. J’avais décidé d’être là et ai tout mis en œuvre pour y parvenir. Je savais que je n’arrivais pas là pour rien et que j’allais réussir. Je voulais faire honneur aux personnes qui avaient cru en moi en m’octroyant une bourse, que ma famille soit fière de moi. Mon envie et mon ambition étaient très fortes. Tout était possible ! J’avais tellement été formatée en vue des jeux olympiques, des championnats du monde… on nous avait fait croire qu’il n’existait que ça, qu’on n’avait pas le droit de manger…

J.V. : On sent une certaine amertume chez vous. Regrettez-vous votre carrière de sportive de haut niveau ?

S.Y. : Non car si je suis là aujourd’hui avec vous, c’est aussi grâce à cette période de ma vie. Même Miss, je n’ai aucun regret. Tout est arrivé comme si c’était écrit. J’en ai bavé mais en ai conservé un goût pour le travail qui m’est très utile. Le Cours Florent m’a permis de rencontrer plein de gens.

« Tout est arrivé comme si c’était écrit. J’en ai bavé mais en ai conservé un goût pour le travail qui m’est très utile. »

J.V. : Quel fut votre premier projet important dans votre carrière d’artiste qui débutait ?

S.Y. : C’était au théâtre, « Tous des oiseaux » de Wajdi Mouawad, une pièce de malade ! Je l’ai jouée près de 80 fois, à Genève aussi. Quelques dernières dates devraient avoir lieu, je l’espère. On voyage partout avec les personnages : elle est en anglais, en allemand, en arabe et en hébreu. J’ai appris l’arabe à cette occasion.

J.V. :  En tant qu’actrice, vous avez déjà beaucoup tourné : théâtre, cinéma, séries, clip vidéo avec Lomepal… Comment effectuez-vous vos choix ?

S.Y. : Je dois vous avouer qu’au début, je n’ai pas beaucoup choisi ! J’ai la chance d’avoir un très très bon agent, Laura Meerson, ce qui n’est pas évident lorsque l’on se lance. Tout cela s’est fait très rapidement. J’ai été repérée et ai pu être aidée d’un agent facilement. C’est une vraie chance que de très bons acteurs n’ont pas. J’en suis consciente. Le talent et le travail ne suffisent pas. Aujourd’hui, je commence à choisir ce que je vais faire. Mais finalement, tout s’est construit petit à petit, sans faire un film « buzz » pour autant. J’avais peur que cela soit indispensable mais cela n’a pas été le cas.

J.V. : Et des films « buzz », populaires, vous en rêvez ?

S.Y. : Certains arrivent ! J’en ai tourné deux en 2020 qui devraient sortir bientôt. Je tourne actuellement avec Cédric Klapish, Cédric Kahn ensuite. Je vais côtoyer Guillaume Canet, Vincent Lacoste, Muriel Robin… les projets s’enchainent.

J’ai tourné mon premier rôle en septembre dernier, entre les deux confinements, avec une jeune réalisatrice qui s’appelle Anaïs Volpé. Déborah Lukumuena est l’une de mes partenaires et Sveva Alviti, qui avait incarné récemment Dalida, aussi C’est un super scénario, magnifiquement écrit. Je suis si contente d’avoir obtenu ce rôle ! Jusqu’à présent, que ce soit Les Sauvages, Climax de Gaspard Noé, ou No Man’s Land… quelque chose se dessine, de qualitatif. J’ai eu de la chance ! C’est très agréable. Je suis extrêmement heureuse aujourd’hui et mon agent m’aide beaucoup dans mes choix.

 

J.V. : Et passer derrière la caméra ? Y avez-vous déjà pensé ?

S.Y. : Pas du tout ! Je n’ai pas assez confiance en moi. Certains font ce choix. Peut-être que j’y viendrai plus tard, mais j’ai tant de choses à réaliser avant ! Je suis passionnée par mon métier et j’ai encore plein de choses à découvrir, à tester, avant de me lancer dans l’écriture, le tournage !

J.V. : Nous avons évoqué les scénarios qui ont pu vous séduire. Y a-t-il des personnes pour lesquelles vous signeriez immédiatement ?

S.Y. : J’ai eu la chance d’avoir travaillé déjà avec l’un des plus grands auteurs du théâtre, Wajdi Mouawad, le « Spielberg » du théâtre ! 

Au cinéma, je pense à Abdellatif Kechiche.Après quinze années de gym, je crois que j’en suis capable ! Sa manière d’emmener les acteurs, les sublimer, est fascinante. C’est un naturalisme qu’on ne voit nulle part ailleurs. Être filmée par lui doit être incroyable.

J.V. : Dans No man’s land, vous incarnez une combattante kurde, une femme très forte. Le tournage et sa préparation ont-ils été éprouvants ?

S.Y. : Ah oui ! J’ai dû commencer par apprendre le kurde : il aurait été insensé d’incarner ce personnage – Syria– sans parler sa langue. C’était un rôle particulièrement engagé, sur un sujet très sensible. Certains pensent qu’il s’agit un parti pris d’incarner une combattante kurde et je reçois des messages en ce sens… Je ne suis qu’actrice, mais je me devais d’être au plus juste et j’ai dû faire énormément de recherches. Felix Moati a eu la chance de rencontrer un ex-bénévole, nous avons beaucoup discuté ensemble pour nous préparer. Il a fallu m’imprégner non seulement de leur langue mais aussi de leurs codes, leurs attitudes, de ce qu’elles mangent… J’ai souhaité rendre justice à ces femmes, être au plus juste. On ne sort pas indemne d’un tel rôle, il m’a permis de comprendre plein de choses.

J.V. : Une suite est-elle prévue ?

S.Y. : Elle est en écriture, tout à fait ! Je ne sais pas si on m’y reverra, tout est possible compte tenu de la fin ouverte de la première saison ! Mais il y aura bien une saison 2. Comme pour Les Sauvages d’ailleurs. Une vraie fin était souhaitée. Mais compte tenu du succès de cette série, une deuxième saison est en préparation.

J.V. : Où puisez-vous votre inspiration ? Dans d’autres films, séries, dans des livres ?

S.Y. : Je regarde énormément de séries, de films… le confinement m’y a aidée, j’avoue. Je l’ai assez bien vécu du coup, d’autant que je n’étais pas seule. J’ai vécu ce confinement avec mon ami, on a trouvé une belle entente et c’était un cap à passer. Cela a été une période hors du commun. Le deuxième confinement, c’est trop ! Le climat est pesant même si j’ignore quelles sont les bonnes solutions.

J.V. : Quelles sont les principales différences entre les vies genevoise et parisienne selon vous ?

S.Y. : La gastronomie : on trouve absolument de tout à Paris ! Mais sinon, tout est plus simple à Genève. Les gens sont plus calmes. J’aime l’énergie parisienne mais la Suisse apporte une sérénité très agréable. J’apprécie toujours revenir à Genève, m’y ressourcer auprès de ma famille.

J.V. : Avez-vous des projets professionnels en Suisse ?

S.Y. : Peut-être mais rien de confirmé pour le moment… Je vous dirai, c’est promis ! ◾️

Souheila Yacoub – Grand Théâtre de Genève – Décembre 2020 – ©️ Karine Bauzin 

 

Share This