Entretien avec Pascale Frey

Le Grand Prix des lectrices Elle a 50 ans ! À la veille des festivités du 3 juin prochain, Pascale Frey nous invite dans les coulisses de ce prix si convoité et nous éclaire sur son métier passionnant : critique littéraire !

J.V. : Le Grand Prix des Lectrices Elle célèbre ses 50 ans cette année. Comment expliquez-vous la longévité de ce prix et son pouvoir prescripteur ?
Pascale Frey : C’est un prix prescripteur car très juste. La Rédaction n’intervient que dans le choix des livres que l’on donne à lire. Ensuite, on ne s’en mêle plus. Ce sont les lectrices qui entrent en jeu. Un livre lauréat a été lu par 120 lectrices. C’est énorme ! Quel jury peut faire aussi bien ? C’est un prix de lecteurs, le premier d’ailleurs à avoir été lancé. Je suis très heureuse de fêter cet anniversaire, cela d’autant plus que c’est « mon » dernier prix, car après vingt-quatre ans passés au magazine ELLE, je m’en vais vers d’autres projets.
J.V. : Quelle nouvelle ! Quels sont vos projets ?
P.F. : Je vais rester dans le milieu, avec mon site <onlalu.com> notamment. Il marche bien mais on peut faire mieux, à condition de disposer d’un peu plus de temps. Je collabore également à Matin Dimanche depuis janvier 2019. Et, aussi, quelque chose de nouveau pour moi : je me lance dans l’édition !

 

J.V. : J’allais vous demander si l’écriture ne vous tentait pas ! Comment vous est venue cette idée ?
P.F. : Concernant l’écriture, je me contente de mes livres avec Soledad. Je n’écrirai pas de roman et me cantonnerai, si l’occasion se présente, à des livres de journalistes. Je peux aussi parfois prêter ma plume. Je suis vraiment une lectrice, avant tout. D’ailleurs, le travail d’éditeur me permet de prolonger ce que je suis depuis 30 ans ! Il m’arrive de plus en plus souvent, lorsque je lis un livre, de trouver qu’il n’est pas réellement « édité» : trop de longueurs…

Quand ce sont des livres étrangers, l’éditeur français n’a sans doute rien pu faire, mais lorsqu’il s’agit de livres français, je trouve cela un peu dommage. C’est donc l’occasion d’aller un peu plus loin aujourd’hui et intervenir davantage avant la publication d’un texte.

J.V. : Dans quel cadre comptez-vous exercer cette activité éditoriale ?
P.F. : La vie est bien faite ! J’ai un ami écrivain, genevois, professeur de français à la retraite et qui a déjà publié plusieurs livres en Suisse : Pierre Béguin. Juste avant Noël, il m’a montré son dernier manuscrit et je l’ai trouvé génial ! Une histoire formidable, très originale, tout ce que j’aime en littérature ! C’était un signe. Je lui ai demandé s’il était d’accord pour que je lui trouve un éditeur et que je suive le projet. Nous avons donc envoyé le manuscrit à deux éditeurs, qui ont chacun dit oui. Ce sera finalement Albin Michel et le livre sortira en janvier ou février prochain.
J.V. : Allez-vous continuer à travailler pour Albin Michel ou bien s’agit-il d’une mission ?
P.F. : Je n’en sais rien pour le moment ! Ce dont j’ai envie aujourd’hui, c’est de faire l’intermédiaire : je connais bien ce que publient les éditeurs. Il me semble que chaque livre est fait pour certains et pas pour d’autres. Au fond, c’est cette expertise que je souhaite mettre à profit pour les auteurs désormais. L’idée est de capitaliser sur ma connaissance intime de ce milieu pour mettre en lien le bon éditeur avec un manuscrit.
J.V. : Pourquoi ne pas exercer la profession d’agent littéraire alors ?
P.F. : Le problème pour moi est l’aspect « négociation des droits » dans cette profession. Je ne suis pas certaine de savoir bien faire. Mais peut-être que je serai obligée de m’y mettre. À l’évidence, je suis dans une sorte de no man’s land. Éditeur « free lance » ne paraît pas simple. Négocier les droits à l’étranger, ceux d’adaptation au cinéma… n’est pas ce qui m’intéresse le plus. Mais si c’est la seule solution pour travailler et faire ce que j’aime alors, je m’y mettrais.

 

 

J.V. : Votre réflexion sur la suite de votre avenir professionnel est donc en cours…

P.F. : J’apprends toujours en réalité. Je travaille actuellement avec une éditrice d’Albin Michel et j’ai plein de choses à découvrir !
J.V. : Revenons à votre parcours. Vous semblez très attachée à Genève. Pourriez-vous m’en parler ?
P.F. : J’y suis née et y ai vécu jusque l’âge de 35 ans. J’ai commencé par travailler à la Tribune de Genève où j’étais responsable des pages « Livres ». J’avais deux pages par semaine et disposais d’une immense liberté quant à leur contenu. C’était extraordinaire. Et puis, en 1992, le journal a été racheté et je savais qu’une page se tournait pour moi, cet âge d’or prenait fin. Par ailleurs, depuis que j’étais enfant, je rêvais de Paris ! Cette ville m’a toujours fascinée. Quand nous étions petits avec mes frères et sœurs et que nos parents nous demandaient où nous souhaitions partir en vacances, c’était toujours Paris pour moi ! J’ai donc décidé d’aller m’y installer et y tenter quelque chose.

J’ai commencé par travailler un an dans une maison d’édition de beaux livres mais cela ne s’est pas très passé. Je suis alors retournée au journalisme que je n’avais jamais réellement quitté en fait. Étant partie en très bons termes de la Tribune de Genève, j’ai continué à faire des papiers pour eux, sur les livres et sur la mode.

Et puis, un jour, Pierre Assouline, que j’avais eu l’occasion d’interviewer pour ce journal et avec lequel j’étais devenue amie, m’a appelée au moment où il a repris la direction de Lire et a proposé non pas de m’embaucher mais de mettre un bureau et un téléphone à ma disposition. Quelques années après, j’ai commencé à travailler pour Elle et faisais les deux en parallèle.

J.V. : Une vie bien remplie !
P.F. : Oui, d’autant qu’entretemps, je m’étais mariée et avais eu deux enfants ! Tout allait bien. Lorsque Pierre a quitté Lire, j’ai arrêté moi aussi. Je me suis consacrée davantage à Elle, tout en continuant à faire des papiers pour la Tribune de Genève jusqu’à l’année dernière où j’ai arrêté. À ce moment-là, j’ai été « recueillie » par Jean-Jacques Roth qui dirige la culture du Matin dimanche. J’y publie un papier par mois. Ce sont de grandes interviews : Michel Bussi, Delphine de Vigan, Laetitia Colombani, Franck Thilliez… des écrivains populaires qui correspondent au lectorat du Matin Dimanche. J’adore faire ça.
J.V. : En dehors du Matin Dimanche, quelles autres attaches professionnelles conservez-vous en Suisse ?
P.F. : Depuis dix ans, j’interviens régulièrement à la Société de lecture de Genève avec bonheur et je vais y animer dès la prochaine rentrée un book club, un lundi par mois autour du polar. Ce sera l’Europe à travers le polar. On fera chaque mois un pays différent. Je m’en réjouis !
J.V. : Que représente pour vous la Société de lecture ?
P.F. : C’est ma récréation ! Je connaissais l’institution depuis longtemps mais elle avait alors des airs de « Belle aux bois dormants ». Delphine de Candolle, quand elle en a pris la direction, y a mis beaucoup de cœur et d’énergie. Je l’ai donc contactée et lui ai proposé de lui amener, de temps en temps, des auteurs français ou étrangers, en commençant par Douglas Kennedy. Elle a immédiatement répondu positivement. Depuis, je viens avec deux écrivains chaque semestre. Au début, j’initiais vraiment les rencontres mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. La Société de lecture, qui jouit d’une belle renommée, n’a plus du tout besoin de moi pour inviter des auteurs mais, comme ils sont très fidèles, je continue à y mener des entretiens.
J.V. : Est-ce un exercice que vous affectionnez ?
P.F. : C’est ce que je préfère ! D’abord la lecture et les entretiens ensuite. Je préfère nettement réaliser des entretiens que rédiger une critique de livre. Au début, j’ai dû me faire violence pour les interviews en public, c’était terrible ! Mais maintenant, j’adore ça ! J’en réalise aussi à Lyon, lors des Quais du Polar.
Catherine Cusset interviewée à la Société de lecture de Genève par Pascale Frey

8 novembre 2018

 

J.V. : Quelle est votre plus grande angoisse avant une interview ?
P.F. : Sans aucun doute les silences ! À la Société de lecture, les interviews durent une heure : c’est très long ! En revanche, le problème est parfois inverse avec certains auteurs. Je me souviens de Fred Vargas et je craignais que l’interview ne soit trop longue. Nous étions au Théâtre de Carouge et deux heures plus tard je n’arrivais toujours pas à l’interrompre !
J.V. : Certains entretiens vous ont-ils marquée plus que d’autres ?
P.F. : J’ai eu la chance de rencontrer Julien Gracq par exemple. Je n’aurais même jamais osé solliciter d’interview si Pierre Assouline, qui l’avait rencontré, ne m’avait dit : « lance-toi, il aime beaucoup la Suisse ». Je travaillais pour la Tribune de Genève et je lui ai alors écrit une lettre. Les mails n’existaient pas encore. Il a accepté. Je suis donc allée chez lui. Il a été adorable alors que je m’en faisais une montagne ! J’en conserve un excellent souvenir. Quant à la Société de lecture, j’y ai connu de magnifiques moments, avec Daniel Pennac par exemple, Dominique Bona, Laure Adler… de superbes entretiens avec des gens qui savent tenir une salle en haleine, généreux avec l’auditoire.
J.V. : Et un souvenir avec un auteur particulièrement laconique ou une interview très difficile qui vous a laissé une impression mitigée ?
P.F. : J’ai un souvenir épouvantable avec Nathalie Sarraute. Elle était âgée, de mauvaise humeur, désagréable… je suis sortie en larmes de notre rendez-vous et me suis dit que je n’étais pas à la hauteur. J’ai été réconfortée quelques mois plus tard lorsqu’une autre journaliste de Lire, très bonne intervieweuse, a vécu la même expérience que moi auprès d’elle ! Elle et Simone Veil sont mes deux plus mauvais souvenirs d’interviews !
J.V. : Simone Veil aussi ?
P.F. : Oui, une grande déception. Cela n’enlève rien à leur talent et à leurs qualités. Mais j’en conserve un souvenir douloureux. Concernant Simone Veil, j’étais arrivée un matin pour notre entretien destiné à un livre sur les femmes et je l’entendais déjà hurler contre sa secrétaire ! Elle était très colérique, contrairement à l’image qu’elle pouvait dégager. Je suis partie sans avoir rien obtenu. J’ai été obligée d’y retourner et cela ne s’est guère mieux passé !
J.V. : Et des souvenirs positifs impérissables ?
P.F. : Ils sont nombreux ! Quelqu’un que j’adore interviewer, alors même que j’étais tétanisée la première fois il y a 25 ans, c’est Elizabeth Badinter ! Elle est la femme la plus charmante, chaleureuse que je connaisse. Je l’ai interviewée une dizaine de fois depuis et j’en suis sortie à chaque fois éblouie ! D’autres interviews formidables qui me reviennent, celles de Nicolas Bouvier : je l’ai rencontré à trois ou quatre reprises et à chaque fois, c’était complètement différent. Il avait un univers tellement riche, c’était magnifique, facile et intéressant. J’ai aussi rencontré Ella Maillart, nous avons discuté des heures, c’était passionnant. Ce sont des gens non formatés pour qui chaque interview est quelque chose de nouveau. J’adore aussi interviewer David Foenkinos, il me fait beaucoup rire à chaque fois !
J.V. : Que pensez-vous des réseaux sociaux, des blogs et de leur rapport à la littérature ?
P.F. : Je trouve la question très intéressante. La presse écrite n’est pas très en forme. À part à Elle où on a beaucoup de pages consacrées aux livres, ou des journaux comme Le Monde, Libération… les livres ne sont plus très bien traités. Il me semble que le relais est d’abord pris par les libraires, qui, s’ils souhaitent soutenir un livre, ont les moyens de le faire. Par les réseaux ensuite, où sont d’ailleurs présents les libraires. Malheureusement, il me semble que les réseaux, les blogs, les sites comme <onlalu.com>, ne font pas encore assez vendre de livres. Quand ils réussiront à être vraiment considérés comme de la presse, que ce cap sera passé, ce sera peut-être plus facile.

En tout état de cause, plus on parle de livres, mieux c’est ! Ce que je regrette parfois dans certains blogs, ce sont les remerciements aux éditeurs. Ils ne vous font pas de cadeaux en vous envoyant des livres ! Les remerciements me paraissent enlever toute valeur à la critique. Si on n’a pas aimé un livre, on n’est pas obligé d’écrire dessus. Aujourd’hui, les blogs sont nombreux, on y trouve de tout, du bon comme du moins bon. Les chaînes YouTube m’étonnent beaucoup aussi. Les livres choisis ne me semblent pas toujours au niveau, je demeure perplexe, je ne suis sans doute pas le cœur de cible !

J.V. : Quel est votre premier souvenir de lecture ?
P.F. : Classique, comme tout le monde : le Club des 5, le Clan des 7, Alice, les sœurs Parker… À l’époque, la littérature pour adolescents n’était pas très développée et je suis passée directement à des romans sentimentaux que j’adorais, qui ne sont plus publiés, puis à Agatha Christie et Daphné du Maurier. J’ai le souvenir de vacances où je devais avoir 11 ans. Ma mère ouvre ma valise et découvre 21 livres d’Agatha Christie, un par jour !
J.V. : Avez-vous toujours souhaité être journaliste littéraire ? S’agit-il d’une vocation ?
P.F. : Oui, c’était mon rêve. À 15 ans, je savais que je voulais être journaliste et, si possible, littéraire. Ce n’est pas arrivé tout de suite, on ne commence jamais comme journaliste littéraire. J’ai débuté à la Tribune de Genève par la rubrique locale, les faits divers…. Ensuite, j’ai intégré la rubrique judiciaire grâce à ma licence de droit. J’ai adoré. Au fond, c’était très littéraire. Et puis, mon rédacteur en chef, qui me voyait toujours lire, a fini par me confier la rubrique littéraire !
J.V. : Quelles sont vos fonctions au sein de la Rédaction du Elle ?
P.F. : La rubrique des livres est dirigée, comme vous le savez, par Olivia de Lamberterie. J’y suis pigiste comme les autres journalistes, à la différence près de la responsabilité, avec Olivia, du Grand Prix des Lectrices de Elle. Nous choisissons ensemble les livres que nous allons donner à lire aux lectrices.
J.V. : Selon vous, quel est le rôle, la mission d’un critique littéraire ?
P.F. : Pour moi, c’est avant tout de donner envie de lire un livre. Du coup, je préfère nettement parler des livres que j’aime plutôt que de ceux que je n’aime pas, même si, au fond, on peut être nettement plus drôle et caustique avec les seconds ! Des gens l’ont fait merveilleusement bien et on n’arrivera jamais à leur cheville, comme Angelo Rinaldi à qui l’on doit de vrais morceaux d’anthologie, d’une méchanceté inouïe mais tellement drôles ! Par ailleurs, je pense toujours à la personne qui a écrit le livre. Même si le résultat ne me plaît pas, il s’agit d’un projet qui lui a pris des mois, dans lequel elle a mis beaucoup d’espoir, d’énergie, d’elle-même peut-être… Est-ce que moi, en deux heures, j’ai le droit de démolir son livre ? Je n’en ai pas le courage. Et puis les bons livres sont tellement nombreux que j’ai davantage à cœur d’orienter le public, de ne pas tromper les lecteurs et qu’ils ne soient pas déçus s’ils achètent un livre que j’ai recommandé.
J.V. : Combien de livres lisez-vous par semaine ?
P.F. : Cela dépend… mais je lis un peu tout le temps : toute la matinée, après la pause déjeuner, dans mon bain, le soir avant de me coucher, le week-end… Cela doit correspondre de un à quatre livres par semaine. Je ne lis pas très vite, au rythme d’un lecteur normal soit 50 pages à l’heure. J’apprécie de prendre mon temps et je déteste sauter les pages.
J.V. : Quels sont vos auteurs préférés et le style de livres vers lequel vous vous tournez naturellement ? Les polars ?
P.F. : Pas forcément. Lorsque je n’ai plus envie de lire, je vais plus facilement vers une BD ou un polar. Ma chance est que j’aime tout ! Au fond, j’adore que l’on me raconte des histoires, vraies ou pas, avec meurtre ou sans. Je suis sans doute plus sensible à l’histoire qu’au style d’ailleurs. Il ne faut tout de même pas que ce soit mal écrit. Mais une bonne histoire, écrite correctement, me convient. En revanche, un style magnifique sans histoire m’ennuie. C’est l’une des raisons qui fait que j’apprécie beaucoup la littérature étrangère, en particulier anglo-saxonne. J’aime être embarquée, comme lorsque j’étais enfant. J’ai la chance d’avoir conservé cette fraîcheur lorsque je commence un livre, en dépit du rythme de lecture qui est le mien où je ne laisse même pas une heure entre deux livres !
J.V. : Avez-vous un environnement et une position privilégiés pour lire ?
P.F. : Oui, j’ai deux fauteuils de prédilection : un premier, celui de mon enfance, le lounge chair de Charles Eams. J’en ai hérité et mon frère et ma sœur n’ont même pas imaginé qu’il ne puisse pas me revenir ! J’ai également un autre fauteuil que tous mes amis m’ont offert pour mes 40 ans, de Jean Prouvé, où j’adopte une position un peu allongée. Je ne lis jamais assise.
Le fauteuil Jean Prouvé de Pascale, recouvert de livres récemment reçus !

 

J.V. : Quelle est votre méthode de travail pour rédiger vos chroniques ? Des notes de lecture ? Deux lectures à la suite ? Un article qui suit chaque lecture ?
P.F. : Souvent, je souligne des passages au crayon dans les livres directement. J’ai à coté l’argumentaire dans un bloc où je prends quelques notes. Et surtout, je rédige ma chronique très vite après avoir terminé le livre. Je commence toujours par un premier jet, que je retravaille par la suite. Il m’arrive parfois de relire quelques passages mais pas toujours.​
J.V. : Comment choisissez-vous les livres que vous chroniquez dans le Elle ?
P.F. : Il y a des auteurs et des éditeurs que l’on suit. Je me fie également beaucoup aux 4e de couvertures et je ne dirais jamais assez aux éditeurs combien elles sont importantes. Je déteste y lire des extraits et leur préfère quelque chose de rédigé, sans toutefois que trop en soit révélé. Ensuite, chacun des journalistes de la rédaction fait ses listes de desiderata et Olivia arbitre, en essayant d’équilibrer les choses.​
J.V. : Ressentez-vous parfois une certaine pression d’auteurs ou d’éditeurs ?
P.F. : Des auteurs jamais, parfois de certains éditeurs mais je ne me sens jamais agressée : c’est normal qu’ils fassent leur travail.
J.V. : Comment l’idée de créer le site <onlalu> est-elle née ?
P.F. : Et bien justement, l’idée est venue des listes de livres que je faisais pour Elle ou plutôt de ceux que je ne faisais pas. J’y publie un papier par semaine, parfois pas, c’est un peu frustrant. L’idée a été, avec mon mari, d’avoir un espace où je pouvais être libre. On a tout de suite beaucoup fait intervenir les libraires, d’autres plumes bénévoles aussi, ce qui était indispensable car le site ne rapporte pas encore d’argent. Cela nous a permis d’ouvrir une rubrique que j’apprécie beaucoup : « Quel lecteur êtes-vous ? », l’idée étant que derrière tous les écrivains se cachent des lecteurs. Et c’est fou tout ce qu’ils m’ont révélé à travers leurs lectures : c’est passionnant ! Ce site me satisfait pleinement aujourd’hui et je compte bien le développer.
J.V. : J’aimerais revenir sur le Grand Prix des lectrices de Elle. Pourriez-vous nous rappeler quelques étapes importantes ?
P.F. : Nous avons commencé par les « romans ». La catégorie « Documents » a ensuite été ajoutée. Puis les « polars » en 2002, lorsque Valérie Toranian était directrice du journal… La première lauréate de la catégorie Polars a d’ailleurs été Fred Vargas.
J.V. : Quels sont les critères pour être sélectionnée comme Jurée du Grand Prix des Lectrices Elle ?
P.F. : Nous recevons beaucoup de candidatures. C’est assez compliqué de sélectionner des gens à partir des dossiers remplis, d’autant que chacune nous dit ce qu’elle veut, sans que l’on puisse vérifier… Nous nous intéressons d’abord au nombre de livres lus. Les gens ne se rendent pas forcément compte de ce que cela représente, il va falloir suivre le rythme. Nous regardons également les livres qu’elles ont aimés et on essaie d’éviter les candidates qui citent uniquement les livres que nous avons traités dans le magazine pour nous faire plaisir, ou des choses trop mauvaises ! Il a pu nous arriver d’être parfois un peu déçues par certains jurys. Nous avons donc ajouté cette année un nouveau critère : faire la critique d’un classique que les candidates ont aimé.
Grand Prix des lectrices Elle 2017 avec les lauréats :

Leila Slimani, Olivier Noreck et Mathias Malzieu !

 

J.V. : Les jurées renouvellent-elles généralement l’expérience sur plusieurs éditions du Grand Prix ?
P.F. : Tout à fait, c’est très souvent le cas.
J.V. : Certains hommes ont-ils déjà candidaté ?
P.F. : Ah non, ils n’ont pas le droit ! C’est un prix de lectrices. Les maris ont le droit de lire les livres de leurs femmes, jurées, mais cela s’arrête là ! Ils peuvent tout de même donner leur avis !
J.V. : Comment établissez-vous la liste des livres sélectionnés chaque mois ? Quels sont vos critères de choix ?
P.F. : Une fois par mois, nous prenons rendez-vous avec Olivia et nous échangeons sur nos différentes lectures, dans les trois domaines du prix, nos coups de cœur. Elle apprécie davantage les romans français même si elle en lit beaucoup d’autres. De mon côté, j’ai une préférence pour les romans étrangers. Elle apprécie moins les polars que moi et pour les documents, c’est équivalent.
La sélection des livres de l’édition 2019 du Grand Prix des Lectrices de Elle. 
J.V. : Quelles sont les festivités prévues à l’occasion des 50 ans du Grand Prix des lectrices Elle ?​
P.F. : Pour commencer, le Grand Prix Elle des lycéennes que nous avons lancé il y a quelques années, sera remis à midi au Théâtre de l’Odéon. Les lycées s’inscrivent via la maison des écrivains et ils sont bien répartis sur toute la France. Nous n’avons jamais de classe entière car la participation se fait sur la base du volontariat. En général, la participation est organisée par le professeur de français ou par les documentalistes. Comme les jurées sont en année de bac français, nous ne pouvons leur donner trop de choses à lire. Elles ont donc à lire les huit finalistes des romans.

Amélie Nothomb nous rejoindra dans l’après-midi pour une master class. Delphine de Vigan sera là aussi pour une interview. Nous attendons également des comédiens qui viendront lire des extraits des livres lauréats… Tout le monde peut s’inscrire pour participer à cette après-midi, dans la limite des places disponibles… Les jurées pourront ensuite, comme chaque année, rencontrer les lauréats. C’est toujours un moment chaleureux ! Nous procéderons aussi à la traditionnelle photo de famille. Et pour cet anniversaire, nous avons invité tous les lauréats français des années précédentes à venir : plus de trente ont déjà dit oui !

J.V. : Un magnifique événement qui se prépare ! Quels sont vos souvenirs les plus marquants liés au Grand Prix des Lectrices Elle ? Du côté des auteurs ? Des jurées ?​
P.F. : Je pense à une anecdote surprenante : nous nous sommes rendues compte une année qu’une jurée trichait : chaque année, elle se présentait sous une identité différente ! Jacqueline Girard s’occupait du prix à l’époque et c’est grâce à l’adresse de la candidate qu’elle a débusqué la supercherie : cela faisait quatre ans qu’elle était sélectionnée à chaque fois. Une bonne actrice ! Je n’ai pas d’autre souvenir particulièrement, juste le sentiment d’un prix chaleureux auquel les auteurs sont heureux de participer, de rencontrer leurs lectrices… Le Grand Prix des Lectrices permet des rencontres privilégiées.
J.V. : Certains livres lauréats vous ont-ils marqué plus que d’autres ?

P.F. : Je me souviens que lorsqu’on a lu le livre Un secret de Philippe Grimbert avec Olivia, un mois de juin, nous avons eu un coup de foudre pour ce roman et pressenti qu’il pourrait bien remporter notre prix.On l’a donc placé dans la sélection de septembre et il a fait la course en tête.

J.V. : Ne vous êtes-vous jamais lassée de mener ce Grand Prix, année après année ?
P.F. : Absolument pas, j’ai adoré y participer. Je m’en occupe depuis qu’on a introduit les policiers, depuis 17 ou 18 ans. Certaines éditions ont été plus amusantes que d’autres mais de manière générale, ce Prix m’a beaucoup apporté. Quand on publie un article, on ne sait généralement pas quel est son impact. Le Prix nous permet à l’inverse de pouvoir réellement faire quelque chose pour un livre que l’on a aimé et que l’on souhaite soutenir. On le soumet aux lectrices dans le cadre des sélections et s’il obtient le prix, c’est très gratifiant !■
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