Entretien avec Bénédicte Soymier

© Jeff Marion

 

Bénédicte Soymier, connue jusqu’à présent pour ses avis littéraires judicieux qu’elle partage sur les réseaux sous son pseudo, Au fil des livres, signe un roman très réussi : « Le Mal-épris ». Elle revient ici sur son parcours littéraire et sa casquette de primo-romancière.

Pour retrouver mon billet sur le livre de Bénédicte Soymier, « Le Mal-épris » (Calmann-Lévy), c’est ici !

J’ai découvert Bénédicte il y a quelques années grâce à son compte instagram Au fil des livres et, au-delà de ses avis de lectures que je partage souvent, j’ai été d’emblée séduite par ses interviews d’écrivains ! C’est bien simple : à chaque fois qu’un livre me tentait, l’entretien avec son auteur était alors publié par Bénédicte ! Nous partageons depuis une très belle aventure au sein du Grand Prix des Blogueurs Littéraires créé par Agathe Ruga. La tentation était forte alors de lui demander de se prêter au jeu de l’interview…

 

Julie Vasa : Impossible de ne pas commencer par te poser deux questions avec lesquelles tu débutes souvent tes propres entretiens… Bénédicte Soymier, qui es-tu ?

Bénédicte Soymier : Je me rends compte que c’est très difficile de répondre à cette question. Je dirais que je suis une femme, une mère, une épouse, une infirmière, une blogueuse littéraire. Je suis perfectionniste et entêtée. Très à l’écoute, parfois trop, par déformation professionnelle sans doute ; je suis une éponge. J’entends, j’absorbe. Cela me rend parfois mélancolique, le temps que je digère et que je synthétise. Je suis plutôt réservée et mal à l’aise lorsque je dois prendre la parole ou me mettre en avant. Je suis néanmoins de nature positive et je rebondis facilement face aux aléas de la vie. J’aime rire, boire, manger : je suis une épicurienne !

J.V. : Quel est ton parcours ?

B.S. : J’ai suivi un cursus universitaire pour devenir prof, mais sans grande conviction. Après avoir obtenu une licence d’histoire-géographie, j’ai passé les concours de l’Éducation Nationale ! L’horreur ! Je pleurais quand je suis allée à l’oral. J’ai compris qu’il fallait reprendre à zéro et faire ce que je désirais vraiment : devenir infirmière. Le DE en poche, j’ai travaillé dix ans en pédiatrie (chirurgie pédiatrique puis néonatalogie) avant de devenir infirmière en collège.

J.V. : Quel est ton premier souvenir de lecture ?

B.S. : Mon premier souvenir de lecture, celui qui m’a vraiment marquée, est une rencontre avec la Comtesse de Ségur. J’ai adoré « Mémoire d’un âne » ! J’ai réalisé qu’un livre pouvait faire réfléchir. Je devais avoir 7 ou 8 ans.

J.V. : Quel est le déclic qui t’a poussée à te lancer dans l’écriture d’un roman ?

B.S. : Je n’ai pas vraiment notion d’un déclic. J’ai toujours écrit : des petits textes, des affreux poèmes, des nouvelles, des chroniques, des romans (notamment un roman que j’ai écrit pour mes filles quand elles étaient ados ; chaque jour, elles découvraient la suite de l’histoire.) J’ai aussi des manuscrits indigestes dans mes tiroirs. Ecrire « Le Mal-épris » était un nouvel écrit au milieu d’autres.

J.V. : Ton roman évoque les violences faites aux femmes. Comment as-tu eu l’idée de ce sujet ?

B.S. : À la base, l’histoire du mal-épris est une nouvelle évoquant un homme laid, Paul, malmené par l’amour. Et puis, un jour, j’ai eu envie de poursuivre ce texte et d’imaginer jusqu’où sa souffrance pourrait le conduire (je dis bien « pourrait » et non pas « pouvait » – je ne cautionne pas ses actes ou ne les considère pas comme inéluctables). Le sujet de la violence faite aux femmes s’est imposé de lui-même tant il est important. Il FAUT en parler. Paul est un homme maltraitant.

J.V. : L’angle que tu as choisi présente l’originalité et la force de donner à entendre la voix de Paul, l’homme violent. Comment ce personnage est-il né ?

B.S. : J’ai voulu me pencher sur le parcours d’un homme, pas vraiment beau, plutôt effacé, ennuyeux, embarrassé par des sentiments souvent non réciproques. Il peut être un voisin, un collègue – un homme ordinaire que l’on croise ou que l’on a croisé. Je me suis glissée dans sa peau, affrontant le regard des autres, entendant les remarques, désirant l’amour sans parvenir à le saisir. J’ai eu envie de raconter son chagrin, puis sa colère, d’imaginer l’engrenage dans lequel il se laisse prendre. Décrire sa dérive sans fard.

J.V. : Ton métier d’infirmière t’a-t-il particulièrement sensibilisée à la thématique de ton roman ?

B.S. : Totalement. Je pense que mon métier m’a permis d’appréhender cette histoire ainsi.

J.V. : À quelles conditions penses-tu qu’il soit possible pour un homme violent de sortir de la spirale dans laquelle il s’enferme ?

B.S. : Je crois qu’il n’y a qu’une prise de conscience des faits et une volonté de se soigner (d’accepter l’aide de personnes formées et compétentes) qui peuvent être efficaces. Trop d’hommes violents sont dans le déni ou dans la recherche d’excuses pour leurs actes. Le travail sur soi est difficile. Paul essaie.

J.V. : Et pour la femme victime ? Comment peut-elle échapper à une telle emprise ?

B.S. : C’est extrêmement compliqué. Il y a des facteurs de dépendance affective, de dépendance financière, de peur, de honte, de souci par rapport aux enfants, qui vont au-delà de la réalité de la situation. Notre regard est souvent jugeant et n’aide pas. J’ai lu dernièrement un texte sur les réseaux sociaux, parlant d’une femme morte sous les coups de son conjoint, qui disait « si elle avait eu le courage de le quitter, elle ne serait pas morte ». J’ai été très choquée par ces propos culpabilisants. Ce n’est pas une histoire de courage, ce n’est pas si simple ! Ces femmes sont des victimes prises dans un engrenage. Les aider : c’est les écouter, les comprendre, les accueillir, les soutenir, accepter leur chute ou leur rechute, être là, reprendre, les accompagner. Sortir d’une telle situation demande du temps et de la patience. C’est à nous de ne pas fermer les yeux et de voir. De parler. D’épauler.

« J’ai eu envie de raconter son chagrin, puis sa colère, d’imaginer l’engrenage dans lequel il se laisse prendre.»

J.V. : Toi qui livres depuis longtemps tes avis littéraires sur ton blog, de quelle manière appréhendes-tu le regard des autres sur ton propre roman ? Impatiente ? Anxieuse ?

B.S. : Je suis complètement flippée ! J’ai peur des retours, peur que l’histoire heurte, que ma plume ne plaise pas ! J’angoisse, j’angoisse, j’angoisse !

J.V. :  Comment trouves-tu le temps d’écrire dans cet équilibre délicat entre famille – nombreuse pour toi ! – , activité professionnelle, lecture et blog ?

B.S. : Dans une interview, une auteure m’avait dit « je vole le temps de mon quotidien pour écrire ». Cette idée m’avait paru si juste ! Je vole, moi aussi, le temps pour parvenir à tout concilier. Des bribes d’heures ou de minutes que je mets bout à bout.

J.V. : « Le Mal-épris » est ton premier roman publié. En avais-tu écrit d’autres avant ?

B.S. : Oui, deux dont celui pour la jeunesse que j’ai écrit pour mes filles.

 

J.V. : Comment as-tu fait pour être éditée ?

B.S. : J’ai envoyé mon manuscrit par la poste et par mail. J’ai attendu. Fébrile 😉

J.V. : Vas-tu continuer à alimenter aussi régulièrement ton blog avec tes avis de lectures ?

B.S. : J’aimerais. J’espère. Mais j’avoue lire beaucoup moins depuis plusieurs mois.

J.V. : Tu viens de livrer tes coups de cœur littéraires pour 2020. Quels sont les livres que tu attends le plus en 2021 ?

B.S. : J’ai très envie de découvrir les derniers romans de Jean-Baptiste Andrea et de Constance Joly. Celui de Gaëlle Josse aussi. Et puis celui de Charlotte Pons.

J.V. : As-tu déjà commencé à travailler à un prochain livre ?

B.S. : J’essaie…◾️

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