Entretien avec Bénabar

 © MATIAS INDJIC

 

Bénabar est de retour sur la scène suisse chère à son cœur pour présenter ses deux derniers albums parus en moins d’un an. Il sera le 13 mars au Théâtre du Léman à Genève et le 7 avril 2022 à l’auditorium Stravinsky à Montreux. Rencontre joyeuse pour le Elle suisse !

C’est à la veille de la sortie de son dixième album que j’ai rencontré Bénabar, spontané et charmant, à son image ! Dix mois à peine après la sortie « D’indocile heureux », il publie donc un nouveau disque intitulé « On lâche pas l’affaire », à défaut d’avoir pu interpréter le précédent en live. Inspiré et bouillonnant d’idées, l’artiste reconnaît une euphorie certaine à l’idée de retrouver bientôt la scène mais ne cache pas néanmoins une appréhension même après vingt ans de carrière. Un état de fébrilité quant à l’accueil qui sera réservé à ce nouvel opus et à la tournée qui suivra. Si Bénabar cultive un lien privilégié avec le public auquel il doit tout, il ne considère rien comme acquis.

 

Julie Vasa. « Indociles heureux » en février 2021 et demain « On ne lâche pas l’affaire » : dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Bénabar. Un mélange entre l’excitation, une certaine euphorie, et puis une forme d’angoisse, de trac…

J.V. Toujours, vraiment ? Même après vingt ans de carrière ?

B. Oui, même s’il est moins présent. Ce trac est plus insidieux, plus souterrain. J’éprouve une réelle reconnaissance envers le public qui m’a permis de réaliser dix albums, de pouvoir continuer à faire de la musique. Je ne dis pas cela par populisme ou démagogie : je sais à qui je dois mon succès. Le doute aujourd’hui demeure légitime, je me demande si mon album va parler à quelqu’un, si les gens voudront l’écouter, c’est ce qui compte.

J.V. Deux albums en un an : quelle énergie ! Pourquoi sont-ils aussi rapprochés ?

B. C’est assez inédit effectivement mais pas du tout calculé. Le COVID a forcément joué un rôle. Etant hyperactif, le fait de n’avoir pu partir en tournée après la sortie de mon album «Indocile heureux» a été assez troublant. Faire des chansons sans les présenter sur scène, c’est comme posséder un livre de recettes sans les essayer. J’ai donc continué à écrire.

« Faire des chansons sans les présenter sur scène, c’est comme posséder un livre de recettes sans les essayer.​ »

J.V. Pensez-vous toujours à la scène en écrivant une chanson ?

B. Pas quand je l’écris mais lorsque je l’enregistre, la met en forme. D’ailleurs, ce n’est pas vraiment à la scène que je pense mais – j’en ignore la raison –, je me figure un gars dans les embouteillages à Paris vers 8h du matin qui entend ma chanson entre deux météos, deux infos… Cet homme dans les embouteillages n’est pas nécessairement ma cible mais c’est en tous cas à lui que je m’identifie ! Je me vois bien à sa place. C’est vraiment lui mon totem !

J.V. Vous chantez en duo avec Renaud sur l’un des titres de cet album. Comment cette collaboration est-elle née ?

B. Le plus simplement du monde ! Il se trouve que Renaud et moi sommes de proches amis et habitons tous les deux dans le Lubéron. Il m’a présenté ses copains notamment deux corses qui tiennent un restaurant. Cette chanson est tout à fait autobiographique, ce n’est pas du tout du story telling de marketing. Renaud ne fait pas beaucoup de duos et je lui suis très reconnaissant d’avoir accepté ma proposition. J’ai été très ému de faire cette chanson avec lui.

J.V. Je retiens de vos textes que nous avons besoin de tendresse et de force, plus que d’espoir. Pour quelle raison ?

B. Nous avons co-écrit la chanson à laquelle vous faites référence avec Pierre-Yves Lebert. Je me suis aperçu d’ailleurs que Bashung avait aussi évoqué sur scène la force et la tendresse. L’espoir est une notion à géométrie variable. Il vient avec la force et la tendresse, la force à ne pas utiliser n’importe comment. L’espoir, certains n’en ont pas. Mais si on a la force et la tendresse, tout est possible.

J.V. Vous est-il parfois arrivé d’être tenté de « lâcher l’affaire » ? 

B. Je suis très cyclothymique et connais des hauts et des bas. Mais je ne crois pas avoir éprouvé l’envie de lâcher l’affaire. Je connais parfois des moments d’abattement, de découragement… Mais je suis par nature persévérant et bagarreur, cela me sauve sans doute. Comme j’ai plutôt tendance à voir le verre à moitié vide, voire complètement vide, je me suis moi-même un peu conditionné à voir le bon côté des choses.

J.V. Quels sont vos ressorts pour remonter et retrouver votre belle énergie ?

B. Il y a le vin rouge, en grande quantité ! Sérieusement, la bouffe, les copains, les restaus, la convivialité… C’est un peu cliché mais ça soigne réellement plein de trucs. Cela procède aussi d’une démarche personnelle : essayer de se remettre en question, de pouvoir faire mieux, même si cela peut paraître un peu prétentieux. Ne pas se contenter de ce qu’on a, aller toujours un peu plus loin, y compris du point de vue artistique. Essayer toujours de se challenger.

J.V. Et indocile ? L’êtes-vous ?

B. Oui, beaucoup, mais pas du tout rebelle. En soi, la rébellion, c’est vide. Quand elle est portée aux nues, ce sont souvent des phrases toutes faites. Par exemple, « libérer la parole». En soi, cela ne veut rien dire. Tout dépend quelle parole on libère. L’indocilité est plus cérébrale. C’est la volonté de donner son avis, de choisir sa vie. C’est aussi constructif. Ce n’est pas forcément dire non mais oui à certaines conditions, quitte à se tromper parfois. Ne pas se laisser faire me paraît très important. Ne pas suivre les modes, et c’est particulièrement important dans mon métier : ne pas faire un duo qu’on me propose, ne pas aller à un certain dîner… C’est un côté « sale gosse» que je paye, mais que je cultive aussi. Cela me permet de conserver une forme d’indépendance.

J.V. Quelles sont vos sources d’inspiration ?

B. Tout en fait. Je suis convaincu que l’inspiration est un muscle. Tout le monde l’a mais certains n’ont pas le temps de l’exercer. J’y consacre beaucoup d’énergie, je note des choses en permanence. C’est une habitude. Je réfléchis tout le temps à une idée, à un projet… Plus j’avance dans ma carrière, plus j’assume le statut d’artiste. Cela procède d’une démarche, être tout le temps aux aguets, essayer de sortir quelque chose de ses obsessions.

J.V. Vous vous exprimez non seulement en chansons mais aussi par d’autres biais. Des projets de cinéma ?

B. Par pour le moment, rien de sérieux en tous cas. Je suis très philosophe à ce sujet : cela ne m’obsède pas, même si ça compte. C’est un truc en plus. Je ne cherche pas à tourner à tout prix. J’ai refusé pas mal de choses.

J.V. Les mots sont importants pour vous. Quel rapport entretenez-vous avec la littérature ?

B. Très proche maintenant mais pourtant, j’ai peu lu étant jeune : je suis un lecteur tardif. Je m’y suis mis tard, vers vingt ans et suis désormais totalement obsédé par les livres, y compris par la bibliophilie. Je me consacre à la littérature du XIXe : Balzac, Maupassant, les poètes… Je fais un peu l’impasse sur la littérature contemporaine, que les auteurs me pardonnent… par manque de temps.

J.V. Comment vous préparez-vous pour la tournée qui s’annonce ?

B. Je m’entraîne en commençant à boire des bières dès le matin, à fumer, à faire une liste de blagues salaces pour les avoir dans le bus ! C’est ça la grosse préparation ! Très sérieusement, c’est là que les concerts commencent : dans le bus. Les restaurants sont importants aussi. La préparation physique est quant à elle constante. Je travaille avec les mêmes personnes depuis longtemps. Un spectacle est un peu un best off et je recherche toujours un moment d’euphorie sur scène. L’objectif est d’avoir un côté légèrement puéril, adolescent sur scène, même s’il y a des chansons un peu tristes. Toute l’équipe doit être contente d’être sur scène, c’est essentiel.

J.V. Combien êtes-vous sur scène ?

B. Nous sommes 8. À mon grand dam, une fille rejoint l’équipe pour cette tournée, une violoniste. J’avais jusqu’à présent réussi à éviter que le groupe soit mixte… nos chemises seront sans aucun doute bien repassées pendant la tournée… Vous voyez, je commence à tester mes vannes pour la scène !

J.V. Quelle est la recette d’un bon concert selon vous ?

B. Je suis en plein dedans ! L’idée est de faire un best off. Il faut qu’une personne qui ne me connaît pas et qui vient au concert un peu par hasard passe un bon moment et partage quelque chose avec nous. Je ne suis pas là pour défendre un album et déteste l’expression d’ailleurs. Chacun de mes albums constitue le chapitre d’un même livre, il y a une continuité. C’est assez satisfaisant même si cela donne un coup de vieux.

« Je ne suis pas là pour défendre un album et déteste l’expression d’ailleurs. Chacun de mes albums constitue le chapitre d’un même livre. »

J.V. Et le secret d’une bonne chanson ?

B. Je ne le sais que rétrospectivement, lorsqu’on en parle. C’est parfois douloureux : on imagine qu’une chanson est bonne et, pourtant, on n’en parle pas. Et inversement. L’objectif d’une chanson pour moi est de transmettre une émotion. Une bonne chanson n’est pas forcément une belle chanson. Je suis convaincu que « La danse des canards » est une bonne chanson : elle a pour fonction de faire danser les gens et ça marche !

J.V. Vous êtes venus plusieurs fois en Suisse. Y avez-vous des souvenirs en particulier ?

B. Oui, ils sont nombreux et très bons. Lointains aussi ! Je profite d’échanger avec vous pour exprimer ma gratitude au public suisse devant lequel j’ai débuté. Avant même d’avoir signé un album, j’ai beaucoup joué en Suisse, toujours très accueillante et bienveillante. Je suis après revenu plein de fois mais ce sont mes débuts qui m’ont le plus marqué.

J.V. Vous conservez avec ce nouvel album un regard aiguisé sur la société… Quel est votre rapport aux réseaux sociaux ?

B. Il est très intéressé. C’est un outil génial mais en tant que père de famille, je suis très vigilant sur sa fausse réalité. Génial mais dangereux.

J.V. C’était comment l’ISS ?

B. C’était dur ! Je parle un peu plus russe maintenant…

J.V. À défaut d’avoir croisé Thomas ?

B.Oui, c’est exactement cela ! ◾️

La page Instagram de Bénabar et son échange avec Thomas Pesquet !

 

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