Einstein, le sexe et moi – Olivier Liron
La différence ne s’apparente pas nécessairement à un handicap à condition de l’apprivoiser au point d’en faire une force. Ce à quoi s’est employé Olivier Liron qui signe ici un livre puissant !
Éditeur : Alma
Nombre de pages : 200
Parution : septembre 2018
Prix : 18 €
Versions ebook et poche disponibles
Il est comment le livre lauréat du Grand Prix des Blogueurs Littéraires cette année ? Touchant, drôle, cash, malin, grand, à l’image de son auteur !
Si la plupart des critiques sont dithyrambiques à son égard (lire à ce sujet le passionnant entretien accordé par Olivier Liron à Olivia de Lamberterie dans le Elle daté du 21 décembre 2018), j’ai pu entendre ça et là quelques sons de « cloches » dissonants, s’étonnant d’un tel engouement pour un livre au style simple, parfois trop cru inutilement, inintéressant car faisant l’éloge d’un jeu télévisé pour le moins… dépassé.
Pour ma part, j’ai, bien au contraire, été véritablement enthousiasmée par ce récit autobiographique, avant tout parce qu’il aborde le thème de la singularité d’un homme et sa perception par lui-même et par les autres, avec une auto-dérision et un recul attestant d’un style littéraire tout à fait original et maîtrisé.
Ensuite parce qu’il questionne avec une finesse remarquable les notions de « normalité », de « différence », d’« intelligence » et qu’il interroge tout aussi pertinemment le rôle de l’école dans l’accueil et l’intégration de tous les enfants et, plus généralement, la façon dont chacun d’entre nous parvenons à nous intégrer dans la société. Ce faisant, et c’est l’une des raisons essentielles qui me font apprécier un livre, Olivier Liron évoque des ressentis qui lui sont propres, s’appuie sur son histoire, et signe en réalité un roman universel qui parle à chaque lecteur, pétri lui aussi des singularités qui le constituent.
Enfin, parce que son fil rouge est le jeu qui a bercé mon enfance, « Questions pour un champion », une émission culte animée par l’unique, l’inénarrable, Julien Lepers, plus vrai que nature dans ce roman (et dont on brûle d’envie de connaître la réaction lors de la découverte de son portait !). Un rendez-vous qui a longtemps rythmé le début de mes soirées auprès d’une grand-mère qui, chaque jour devant son petit écran à 18 heures, n’aurait manqué un épisode pour rien au monde, sans compter l’une de mes cousines qui, jeune lycéenne, a participé à l’émission et y a rencontré celui qui est désormais son mari !
Olivier Liron signe avec son deuxième roman un livre puissant par lequel il exprime sa différence. Car Olivier est atteint du syndrome d’Asperger. Loin d’être une pathologie, cette forme d’autisme est assez complexe à identifier et le diagnostic souvent établi tardivement, au détriment des personnes qui en souffrent et qui passent des années à s’interroger sur les origines de leurs difficultés à communiquer au point de les isoler y compris au sein même de leurs familles.
« Je suis autiste Asperger. Ce n’est pas une maladie, je vous rassure. C’est une différence. Je préfère réaliser des activités seul plutôt qu’avec d’autres personnes. J’aime faire les choses de la même manière (…). On m’a souvent fait remarquer que ce que je disais était impoli (…). Je trouve qu’il est compliqué de se faire des nouveaux amis (…) Il m’est extrêmement difficile de faire plus d’une chose à la fois (…). J’ai du mal à comprendre le sarcasme ou l’ironie (…). Toutes mes émotions sont extraordinairement fortes et on m’a souvent dit que la façon dont je réagissais était exagérée (…). Pour m’endormir, je fais parfois le produit de 247 856 fois 91 (…) Bienvenue dans mon monde ».
Une description sous forme d’inventaire à la Prévert en ouverture du livre qui permet au lecteur d’un peu mieux cerner la personnalité de l’auteur, s’écartant de la norme sociale la plus répandue. Une divergence qui s’avère particulièrement handicapante : ne pas entrer dans les cases enferme et isole la personne qui, face à l’impossibilité de s’exprimer aisément, ne peut que ressentir une immense colère et « l’envie de déchiqueter tout le monde à pleines dents », des mots violents pour exprimer un mal-être contenu.
Une différence particulièrement douloureuse à vivre en milieu scolaire : on le sait, les cours d’école peuvent s’avérer épouvantables et les enfants se révèlent bien souvent très cruels les uns envers les autres. Et ils ne sont pas les seuls, l’Éducation nationale se montrant, parfois et sans doute faute de moyens, à bien des égards, inhumaine pour quiconque n’entre pas dans le moule. Alors, ne pas être comme les autres, c’est sortir du cadre et engendrer une ostracisation inévitable. Celui désigné comme le « gogol » jusqu’à ses 14 ans a par conséquent dû composer, subir un harcèlement sans relâche, des heures de colle et les quolibets en dépit de notes plus excellentes les unes que les autres, qui l’ont d’ailleurs conduit à être normalien et professeur agrégé…
Une différence qu’Oliver a naturellement vécue péniblement dans son rapport aux femmes lorsqu’il était adolescent puis jeune adulte. Difficile d’interagir avec les autres quand les codes nous échappent. Si rien n’apparaît plus excitant et naturel que les premiers émois amoureux pour la plupart d’entre nous, il en va en revanche tout autrement pour d’autres, sans d’ailleurs être autiste pour autant : comment ne pas être maladroit, séduire l’autre, le trouver… ? Pas toujours simple, et encore moins lorsque l’on souffre du syndrome dont l’auteur est atteint.
« Einstein, le sexe et moi » évoque cette différence sous ces divers aspects, la difficulté de s’en accommoder au quotidien et, surtout, la manière dont il est apparu possible à Olivier de la dépasser. « Questions pour un champion » fut clairement l’un des moyens d’y parvenir, avec la littérature ou encore la danse. Des voies explorées dans ce roman pour un autoportrait sincère tout en nuances, faisant passer du rire aux larmes la lectrice que je suis !
Olivier Liron a participé brillamment à ce jeu il y a quelques années et parvient au tour de force de nous tenir en haleine au rythme des étapes successives de ce jeu télévisé où il a concouru pour obtenir le titre de super champion, après avoir gagné plusieurs parties, grâce à sa mémoire exceptionnelle, entraînée des heures durant à l’aide de Wikipédia. Maintenir le suspense sur l’issue du jeu jusqu’au bout du livre était un challenge, relevé haut la main avec infiniment d’humour et surtout, beaucoup de style.
Extrait de la participation d’Olivier Liron à l’émission Questions pour un champion : 9 points gagnants !
Les pensées et les réflexions d’Olivier Liron s’égrènent ainsi au fur et à mesure que l’on avance dans le jeu, sous forme de digressions épatantes. Je pense notamment à celle où répondant « L’idiot » de Dostoievski à une question posée par l’animateur, il en vient à évoquer sa propre situation vis-à-vis des filles, « un idiot » ! Parmi elles aussi, celle concernant l’écriture à laquelle il est venu en réaction à une « sensation intime de l’horreur ».
« C’est peut-être cela écrire, pour moi, chercher à ouvrir la prison, aimer, aller à la rencontre des autres, tout simplement ».
La différence ne s’apparente pas nécessairement à un handicap à condition de l’apprivoiser au point d’en faire une force. S’accepter avant tout, c’est essentiel.
« La façon dont les autres vous font comprendre votre différence, ça s’inscrit aussi dans le corps. J’ai dans mes tripes la mémoire de la différence qu’on m’a apprise, qu’on a tatouée dans ma chair (…). Ce qui ne tue pas rend plus fort ».
Une certitude à la lecture de ce livre et un auteur formidable à découvrir si vous ne l’avez pas déjà fait !
« Je te donne toutes mes différences
Tous ces défauts qui sont autant de chance
On sera jamais des standards des gens bien comme il faut
Je te donne ce que j’ai ce que je vaux ».
(Extrait de « Je te donne », Jean-Jacques Goldman)
©Coline Sentenac
À propos de l’auteur
Olivier Liron est né en 1987. Normalien et agrégé d’espagnol, il enseigne la littérature comparée à l’université Paris 3-Sorbonne Nouvelle avant de se consacrer à l’écriture et au théâtre. Il se forme en parallèle à l’interprétation et à la danse contemporaine à l’École du Jeu et au cours Cochet. Son premier roman, Danse d’atomes d’or, est publié en 2016 chez Alma Éditeur. Il est également l’auteur de pièces de théâtre, de scénarios pour le cinéma et de fictions sonores pour le Centre Pompidou. En 2017, il adapte son roman Danse d’atomes d’or pour le cinéma dans le cadre de la promotion « Adaptation de romans » de la Fémis. En 2018, il crée le spectacle « La vraie vie d’Olivier Liron ».
28 minutes – ARTE
« La vraie vie d’Olivier Liron » – Olivier Liron / Douglas Grauwel – Autobiographique, cette pièce est tirée du live « Einstein, le sexe et moi » – Un trailer des films de l’éphémère – <www.ephemere.eu> – réalisation Antoine Billet.
Quelques pages en extrait du livre….