Un barrage contre l’Atlantique – Frédéric Beigbeder
Tome 2 d’ « Un roman français », « Un barrage contre l’Atlantique » donne l’occasion à nouveau à Frédéric Beigbeder de se plonger dans son passé. Un livre délicat et original, portrait nuancé d’une époque, révélant une fragilité certaine de son auteur qui m’a touchée.
Éditeur : Grasset ; Nombre de pages : 272
Parution : Janvier 2022 ; Prix : 20 € ; Version ebook disponible
Frédéric Beigbeder m’a accordé un entretien chez Payot Rive Gauche à Genève le 10 février 2022. Il est à retrouver ici.
Avant de me lancer dans la lecture d’ « Un barrage contre l’Atlantique », j’ai commencé par « Un roman français », distingué par le Prix Renaudot en 2009 et… j’ai adoré ! En quelques mots : Frédéric, 40 ans, personnage médiatique, est pris en flagrant délit de consommation de drogue sur le capot d’une voiture en plein Paris. Conduit au poste, il va passer plus de 36 heures en cellule. Le temps d’une introspection assez géniale où il revisite sa vie à la recherche de la mémoire de ses jeunes années disparues. Une mémoire ressuscitée à la faveur de cet emprisonnement et des pensées qui le conduisent à évoquer un certain nombre de sujets, de se livrer à des réflexions intéressantes, et on ne lâche plus le livre un seul instant !
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« Un barrage contre l’Atlantique » use du même procédé narratif et partage avec le roman précédent un point de départ identique : un enfermement. Contraint par la crise sanitaire à cesser toute activité, l’auteur investit un endroit isolé qu’il avait connu par le passé et où il revient trouver l’inspiration, loin de sa famille. Du commissariat du 8e arrondissement de Paris, Frédéric passe dans une petite cabane en bois face à l’Atlantique, un changement de perspectives radical ! J’ai à nouveau succombé au charme de ce livre, profondément engagé d’un point de vue écologique, le symbole en étant constitué par un fil rouge nommé Benoit Bartherotte. Cet homme, tel Sisyphe, construit depuis des décennies, à ses frais, une digue pour protéger la pointe du Cap Ferret de l’avancée de l’océan ! Un homme peut-être illuminé, mais sans aucun doute visionnaire…
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Qu’on ne s’y trompe pas, si ce héros des temps modernes revient en pointillé tout au long du livre, c’est un tout autre barrage qu’évoque Frédéric Beigbeder, celui construit pour recouvrer la mémoire et contenir le passé, « élever un mur de passé pour se protéger du présent ». Cet ouvrage aux allures de roman est en réalité une autobiographie et probablement le livre le plus intime de l’auteur qui annonce d’ailleurs pour commencer : « Je voudrais dénoncer dans ce livre toutes les personnes qui ont comploté à me rendre heureux ». La première d’entre elles, Lara Micheli « qui porte [son nom] aussi », également ses parents, son frère, ses trois enfants naturellement… Et c’est sans doute dans ces passages où Frédéric Beigbeder apparait le plus touchant, révélant une sorte de fragilité très éloignée de l’image qu’il donne en général à voir de lui et qui m’a plu.
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Au-delà de ce barrage et de cet hommage, l’auteur s’est enfin donné une mission avec ce nouvel opus : rien de moins que sauver la littérature du XXIe siècle ! Et c’est précisément cet aspect du livre qui surprend le lecteur au premier abord. Livre très contemporain, l’auteur pratique en effet la « distanciation littéraire » ! Il adopte dans la première partie du livre intitulée « Phrases » une structure très originale : des phrases courtes, incisives, percutantes, indépendantes et qui, pourtant, forment un tout. Une manière d’accrocher le lecteur, de concurrencer les SMS, textos et autres messages courts chronophages. Et un livre qui se densifie au fil des pages, pour se conclure par un final magnifique : « Il est crucial de réinventer notre façon d’écrire si nous ne voulons pas que la littérature disparaisse au XXIe siècle ». Gageons qu’avec ce livre, il y parvient, admirablement.
Frédéric Beigbeider chez Payot Genève – 10 février 2022 ©️Karine Bauzin
À propos de l’auteur
Frédéric Beigbeder est auteur de onze romans, dont le célèbre 99 Francs, Windows on the world (Prix Interallié, 2003), Un roman français (prix Renaudot, 2009) et L’Homme qui pleure de rire (2020); réalisateur de L’amour dure trois ans (2011), et de L’Idéal (2016, adaptation par l’auteur de son roman Au secours pardon) ; scénariste de cinq films et documentaires ; critique littéraire au Figaro Magazine et au Masque et la plume.
Interview de Frédéric Beigbeider par Céline Agento – 10 février 2022 – Léman bleu