Sa préférée – Sarah Jollien-Fardel
Peut-on se construire lorsque l’on a été brisé dès sa tendre enfance par des violences familiales inouïes ? Peut-on surmonter de telles souffrances ? « Sa préférée » est le récit d’une femme en colère qui tente, coûte que coûte, de refaire surface. Un premier roman puissant, incontournable en cette rentrée !
Éditeur : Sabine Wespieser Editeur ; Nombre de pages : 208
Parution : août 2022 ; Prix : 20 € / Version ebook disponible
Ils sont peu nombreux ces livres qui nous marquent de manière indélébile, nous interrogent, nous émeuvent. Ceux qui, bien qu’empreints de fiction, se révèlent souvent plus efficaces qu’un témoignage. « Sa préférée », premier roman publié de Sarah Jollien-Fardel, en fait indéniablement partie. La narratrice de son livre, Jeanne, m’habitera désormais, héroïne de papier abîmée dès sa naissance par un père criminel.
Comme dans « La nuit des pères » de Gaëlle Josse – autre roman remarquable de cette rentrée littéraire –, « Sa préférée » évoque des relations familiales toxiques générées par un père de famille, du point de vue de sa fille, et les conséquences de ces déviances sur tous les membres de la famille. Deux romans concis qui prennent aux tripes avec les montagnes du Valais et de la Savoie en décor, exacts reflets de l’âpreté des propos et, point notable, que j’ai relus à peine les dernières pages tournées pour mieux m’imprégner de leurs écritures si singulières.
« Je ne suis pas n’importe qui. Je suis la fille de ce monstre, je suis la femme qui trompe, je suis la femme qui a frappé, je suis la femme sèche de l’intérieur, je suis la femme aux entrailles pourries, je suis la fille qui n’a sauvé ni sa mère ni sa sœur, je suis la fille d’un meurtrier, je suis la fille qui regarde son père mourir, je suis la femme qui n’écoute pas sa compagne lui dire : « Fais la paix » ».
Mais aurait-il pu en être autrement ? Peut-on se construire alors que les « fondations » sont à ce point altérées ? Jeanne a grandi dans la terreur d’un père ultra violent, qui pour un rien, s’en prenait à sa mère, à sa sœur et à elle-même. Coups en tous genres, cheveux arrachés, viols, humiliations, multiples privations… toute une panoplie de violences psychologiques et physiques dont un homme use quotidiennement à l’égard des membres de sa famille, terrorisée. Jeanne, à la différence de sa mère et de sa sœur, a très vite pris conscience du cycle infernal des violences et de la lâcheté de tout son entourage, incapable de la protéger. Insouciance envolée, peur chevillée au corps, colère et orgueil en guise de moteur, elle s’est construite, tant bien que mal s’éloignant de sa famille dès qu’elle en a eu la possibilité.
Pour autant, l’émancipation ne va pas de soi, d’autant que, pour survivre psychiquement, son corps lui échappe :
« Mon corps n’existe pas, mon corps ne connait ni la consolation, ni la jouissance. Mon corps ne m’appartient pas. Mon cœur a été évidé (…). Moi, je suis née morte ».
« Sa préférée » témoigne du très long et sinueux chemin parcouru par Jeanne, parsemé d’obstacles au gré des événements, des disparitions des siens. Un élément, personnage à part entière du livre, l’aide à se prendre en mains : le Léman. Même si le passé refait régulièrement surface, le lac est « le complice de [sa] mue ». L’eau et la terre, celle du Valais, à laquelle la narratrice revient inlassablement pour se ressourcer, et dont est originaire l’auteur.
Lausanne, où Jeanne s’est réfugiée, avec vue sur le Léman.
Porté par une écriture puissante qui relate très justement la psychologie des personnages, le roman de Sarah Jollien-Fardel recèle de phrases « uppercut » pour dire la souffrance, l’empêchement d’être heureux, la difficulté à se construire, l’impossibilité de pardonner les autres et surtout soi-même. Impressionnant de maîtrise, un texte beau et puissant ! Une auteur suisse est née, indéniablement ! Avec, en prime, un glossaire à la fin du livre pour qu’aucun mot helvète ne nous échappe.
« Sa préférée » est sélectionné dans différents prix littéraires de cette rentrée, notamment le Prix du roman FNAC, le Prix Envoyé par la Poste, le Prix des lecteurs de la ville de Lausanne…
Sarah Jollien-Fardel viendra présenter son livre chez Payot Cornavin le 16 septembre prochain et sera présente lors du Festival du LÀC les 1er et 2 octobre.
©️ Karine Bauzin
À propos de l’auteur
Née en 1971, Sarah Jollien-Fardel a grandi dans un village du district d’Hérens, en Valais. Elle a vécu plusieurs années à Lausanne, avant de se réinstaller dans son canton d’origine avec son mari et ses deux fils. Devenue journaliste à plus de trente ans, elle a écrit pour bon nombre de titres. Elle est aujourd’hui rédactrice en chef du magazine de libraires Payot Aimer lire.