Rose Royal suivi de La Retraite du juge Wagner – Nicolas Mathieu

 

 

D’un Royal à l’autre, des solitudes qui se croisent, de l’alcool pour dissiper et supporter la réalité, le temps qui passe, imprimant sa marque. Et des calibre.38. Deux novellas formidables signées Nicolas Mathieu.

 

Éditeur : Babel ; Nombre de pages : 144 ; Parution : Mai 2021

Rose porte sa cinquantaine, tant bien que mal, une silhouette encore élancée et un visage sans doute plus marqué. Divorcée, elle subit le temps qui passe et s’oublie un peu chaque soir dans le même bar après sa journée de travail.

« Elle était parvenue à cet âge difficile ou ce qui vous reste de verdure, d’électricité, semble devoir disparaître dans le bouillon des jours ».

Les hommes, elle connaît : on ne l’y reprendra plus. Confrontée à leurs violences dès son plus jeune âge, elle a décidé de ne plus se laisser faire. « La peur doit changer de camp ». Dans son sac, un calibre .38 dont elle est prête à faire usage depuis que l’un d’entre eux a encore été sur le point de la frapper.

Pourtant, quand Luc débarque dans sa vie, elle tombe à nouveau dans le piège, en dépit de toutes les résolutions prises, et renonce à l’équilibre acquis, pour une vie en apparence heureuse. Elle entre alors en toute connaissance de cause dans un engrenage infernal où elle renoue « avec l’art si délicat de la concession » et cède à l’« escroquerie de la dépendance ». Malgré tout, son arme est là et elle se sent protégée. Le bonheur sera de courte durée, avec un twist final à couper le souffle.

Quelle vision terrible du couple après 50 ans nous offre Nicolas Mathieu dans cette première novella qui compose «Rose Royal» ! 80 pages intenses, un concentré de tout ce que j’aime dans son écriture, avec des ponts entre chacun de ses romans, où l’ultra moderne solitude chantée par Souchon se matérialise. Des destins, des figures, parfaitement saisis, se croisent : ils n’auraient sans doute pas dû.

Interrogé sur son écriture, l’auteur a pu citer Victor Hugo dans «William Shakespeare» : « L’homme qui ne médite pas vit dans l’aveuglement, l’homme qui médite vit dans l’obscurité. Nous n’avons que le choix du noir ». Je ne veux croire ni me résoudre à ce choix de la noirceur, même si je reconnais son excellence dans le genre avec sa voix singulière et que je me surprends à y prendre goût !

Pour les amateurs de livres audio, « Rose Royal » est disponible dans une version lue par l’auteur : expérience enthousiasmante tant pour découvrir l’œuvre que pour prolonger le plaisir de la lecture, ce qui a été mon cas. Sensible aux voix, j’ai ici été touchée d’en écouter le récit par son auteur qui se livre à une vraie interprétation : effets garantis !

« Rose Royal » est suivi d’une deuxième novella, « La Retraite du juge Wagner », qui m’a également beaucoup plu. Ici, ce sont les destins d’un juge anti-terroriste à la retraite et d’un jeune délinquant qui se croisent. Tout les sépare jusqu’à la naissance, non sans humour, d’une tendresse réciproque. Ce deuxième texte partage avec le premier un même sentiment de solitude. On retrouve encore l’alcool, comme dérivatif et, surtout, un Calibre.38 .

Jolie nouvelle : à paraître en février 2024 le nouveau livre de Nicolas Mathieu dans un genre différent : « Le ciel ouvert »… à suivre !

À propos de l’auteur

Nicolas Mathieu est né en 1978 dans les Vosges. Il réalise un mémoire universitaire de maîtrise en arts du spectacle à l’Université de Metz intitulé « Terrence Malick : portrait d’un cinéaste en philosophe », sous la direction de Jean-Marc Leveratto. Après des études d’histoire et de cinéma, il s’installe à Paris où il exerce toutes sortes d’activités : journaliste pour un site d’information en ligne, rédacteur dans une agence de reporting (2008).

Son premier roman, « Aux animaux la guerre » (2014), remporte différents prix. En 2018, il obtient le prix Goncourt pour son deuxième roman, « Leurs enfants après eux », le récit politique d’une jeunesse qui doit trouver sa voie dans un monde qui meurt. Cette œuvre évoque les conséquences de la désindustrialisation sur la classe ouvrière française. Ont suivi « Rose Royal » et « Connemara ».

 

 

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