Récits de certains faits – Yasmina Reza
Yasmina Reza pose son regard d’écrivaine sur des scènes de crimes ou issues de la vie quotidienne et souligne une même difficulté d’habiter le monde pour certains.
Éditeur : Flammarion
Nombre de pages : 240
Parution : Septembre 2024
Cinquante-quatre textes, souvent courts, composent le nouvel ouvrage de Yasmina Reza où elle entremêle « les récits de certains faits » : des brèves issues de scènes de la vie quotidienne ou se déroulant dans l’enceinte de tribunaux et cours d’assises. Au-delà de ces instantanés, ce recueil conduit à s’interroger sur les distinctions et les points de rapprochement des pratiques des écrivains et des journalistes, plus particulièrement des chroniqueurs judiciaires, et c’est passionnant !
Comme d’autres écrivains, Yasmina Reza prend des notes : des écrits destinés non pas à être publiés tels quels mais plutôt à nourrir de futurs ouvrages. C’est à l’occasion du procès Viguier en 2009 qu’elle commence à arpenter les salles d’audience, de Paris à Nice en passant par Dijon, Toulouse ou encore Genève, des procès ordinaires ou sensationnels. Ici et là, elle saisit des paroles, des attitudes et réalise à l’occasion d’un texte rédigé pour le journal Libération lors du procès de Jonathann Daval pour l’assassinat de sa femme, que ces textes épars, auxquels peuvent être adjoints d’autres nés en dehors des enceintes judiciaires, présentent un intérêt littéraire certain.
Le meurtre d’un mari, une femme qui a servi d’appât pour tuer un rival jalousé, des couples âgés photographiés de dos à Venise, un agent qui a vieilli, un fils qui rend hommage à son père lors de ses obsèques, une femme de ménage exorcisée, une grand-mère tentant d’endormir sa petite-fille, une femme désespérée tentant de mettre fin à ses jours et ceux de sa fille… autant de scènes entrelacées à d’autres où l’on croise Jean-Luc Morandini, Tariq Ramadan Nicolas Sarkozy (auquel elle avait d’ailleurs consacré « L’Aube le soir ou la nuit » après avoir suivi sa campagne), Fabienne Kabou, Hubert Caouissin… Des histoires de féminicide et infanticide, de harcèlement ou trafic d’influence, d’empoisonnement…
Yasmina pose son regard et raconte, de son point de vue d’écrivaine, ce qu’elle retient des scènes observées. La difficulté d’habiter le monde pour certaines personnes est ce qu’elle tente de saisir, que cet individu commette un acte légalement répréhensible ou pas.
Ecrivain et journaliste : deux professions de plumes qui tendent à se rejoindre. Plusieurs auteurs ont ainsi publié, outre des romans, de nombreux articles : Antoine Blondin, Colette, Jack London… A l’inverse, certains journalistes s’essaient aux romans, le prix Interallié ayant d’ailleurs été historiquement attribué par des journalistes à un pair pour avoir publié un roman. Nombreux aussi sont les écrivains qui, sans nécessairement emprunter l’habit de journaliste, s’intéressent à ce que l’on appelle communément les faits divers et la manière dont la justice les saisit. Yasmina Reza n’est pas la première : on pense bien sûr à Truman Capote, Joseph Kessel, Simone de Beauvoir, Jean Giono, Philippe Jaenada, Régis Jauffet, Emmanuel Carrère…
Mais là où le chroniqueur judiciaire a l’obligation de rendre compte des faits et informer le public du déroulé d’un procès, faisant souvent œuvre de pédagogie, l’écrivain est bien plus libre puisqu’il n’a aucun compte à rendre : à lui de mettre en lumière la personne ou l’élément qui l’intéresse. L’idée n’est pas de rechercher la vérité, de documenter un procès mais de retranscrire la perception d’une certaine réalité. Ainsi, pour Yasmina Reza, la littérature s’apparente à un art, celui d’écrire. L’écrivain « s’efforce d’exprimer sa vision, son tempérament, sa façon à lui de voir le monde sans aucun souci d’objectivité (…) La vérité de la création littéraire est une vérité entre soi et soi. Elle concerne la justesse des situations, des sentiments, des paroles que vous voulez mettre en mouvement, elle n’a rien à voir avec la recherche d’une vérité édifiante » (NRF n° 658, Entretien avec Yasmina Reza).
Et dans son livre, Yasmina Reza use parfaitement de sa liberté, ne donnant que rarement le verdict d’un procès et s’écartant nettement de certains compte-rendus de justice comme dans les affaires Sarkozy ou Daval. Yasmina Reza ne se positionne jamais dans le « judiciairement correct » comme a pu le souligner Olivia Gesbert dans une rencontre lors du Livre sur la place à Nancy.
©️ Pascal Victor-Artcomart
À propos de l’auteure
Romancière et dramaturge de renommée mondiale, Yasmina Reza a publié chez Flammarion L’Aube le soir ou la nuit, Comment vous racontez la partie, Heureux les heureux (prix littéraire Le Monde 2013), Bella Figura, Babylone (prix Renaudot 2016), Anne-Marie la Beauté (Flammarion, 2020) et en janvier 2021, Serge. Elle a reçu le prix mondial Cino Del Duca 2024 pour l’ensemble de son oeuvre.