Laurent Garcin, « La pomme » Acr. sur papier, 54x46cm, 1991
Mes fragiles – Jérôme Garcin
Tout à la fois tendre, doux et poignant, « Mes fragiles » est le nouveau récit par lequel l’écrivain et journaliste Jérôme Garcin complète son œuvre autobiographique. Coup de cœur !
Éditeur : Gallimard
Nombre de pages : 112
Parution : janvier 2023
Prix : 14 € / Version ebook disponible
S’il avait jusqu’à présent fait des courtes vies la matière de ses ouvrages, Jérôme Garcin s’intéresse avec son nouveau livre à des destinées plus longues, dans leurs derniers moments, poursuivant les hommages rendus à tous ses proches s’étant éteints. Évoquant la disparition récente de son frère cadet Laurent à l’âge de 54 ans suivant tout juste six mois plus tard celle de sa mère, il livre un récit extrêmement touchant, d’une beauté saisissante, qui résonnera sans aucun doute chez beaucoup de ses lecteurs.
De son écriture toujours aussi élégante et sensible, il revient ainsi sur les fins de vies des siens et sur sa peine amplifiée par deux phénomènes : la COVID qui aura eu raison de son frère, et l’anomalie génétique qui touche sa famille dont il a décidé de cacher l’existence à sa mère afin de ne pas accabler davantage cette femme dont la vie, tout comme la sienne, fut profondément bouleversée par les décès accidentels de son fils Olivier alors âgé de 6 ans – frère jumeau de l’auteur – et de son mari quelques années après des suites d’une chute de cheval. Il dresse d’elle un portrait tout en nuances à l’image des toiles qu’elle peignait, portée par sa foi, « une vocation au bonheur » chevillée au corps jusqu’au moment ultime. Et une préoccupation qui ne la quitta jamais à propos de son autre fils, Laurent, peintre lui aussi, et atteint d’une maladie génétique à l’origine de sa singularité.
À son propos, l’auteur fait le récit des derniers jours, aux allures de journal de guerre. Une fin de vie particulièrement éprouvante que l’auteur a tenu à raconter, en raison principalement de la comorbidité dont souffrait son frère : le syndrome de l’X fragile, deuxième cause de déficience mentale après la trisomie 21 et se manifestant par une multitude de symptomes ; une maladie héréditaire découverte en 1991, s’aggravant à chaque transmission, qu’aucun médicament ne peut encore guérir et qu’il convient donc, à défaut, de prévenir autant que possible. Observant les troubles dont était affecté Laurent, un médecin a encouragé Jérôme Garcin et les autres membres de sa famille à faire des tests qui malheureusement, s’avérèrent positifs. Si lui-même est porteur sain, il a vraisemblablement transmis son chromosome X fragile à sa fille, qui l’a à son tour, communiqué à la sienne. Une source de culpabilité abyssale pour l’auteur :
« J’ai beau me répéter que je n’y suis pour rien, je me sens responsable d’avoir propagé ce dont j’ignorais avoir hérité. Et d’ombrer ma petite-fille adorée, ce grand soleil ».
Au-delà de ce profond sentiment de culpabilité, ce qui touche dans l’écriture de Jérôme Garcin, c’est la tendresse et l’amour pour les siens qui irradient et impriment chaque ligne. Ainsi, à propos de sa femme :
« Anne-Marie, mon aimée, ma promesse et ma force, sans laquelle je n’aurais jamais supporté tout ce qui m’accablait, sans laquelle je n’aurais pas su faire front, sans laquelle je serais redevenu un jumeau désemparé ».
Une manière pour lui de laisser des traces mais aussi de permettre à ceux qui sont partis de demeurer encore, d’une certaine manière, « vivants ».
« Je ne crois pas au Dieu tout-puissant, au grand ordonnateur, au grand régulateur (…) Mais plus le temps passe et plus je crois à la présence des morts. Ils sont là. Leur âme demeure, plane et s’obstine ».
« Mes fragiles » donne ainsi l’occasion à l’auteur d’une réflexion sur les croyances particulièrement intéressante pour celui dont un enfant a choisi de se convertir à une autre religion, également sur la condition des aidants, d’une sincérité remarquable et sur la notion de fragilité, dans toutes les acceptions du terme…
Un magnifique hommage, à sa mère et à son frère :
« Maintenant, et pour toujours, Laurent est comme les autres. En mieux ».
À lire ou relire, l’entretien que Jérôme Garcin avait eu la gentillesse de m’accorder lors de la parution de son livre précédent « Le dernier hiver du Cid », des mots inspirants et un échange qui m’a marquée à plus d’un titre.
LP © Frédéric Dugit
À propos de l’auteur
Jérôme Garcin, né le 4 octobre 1956 à Paris, est un journaliste et écrivain français. Il dirige le service culturel du Nouvel Observateur, produit et anime l’émission Le Masque et la Plume sur France Inter, et est membre du comité de lecture de la Comédie-Française.
Il a notamment reçu le prix Médicis essai en 1994 pour « Pour Jean Prévost », le Grand prix de littérature Henri-Gal de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre en 2013, le Prix des romancières 2014 pour « Bleus horizons », le Prix du Parisien magazine pour « Le Voyant » ou encore le Prix des Deux Magots 2020 pour « Le dernier hiver du Cid ».