Les loyautés – Delphine de Vigan
Tout le monde ment, compose, joue de la vérité… Mais pour quelles raisons ? Et jusqu’où est-on prêt à aller dans ces mystifications ? Telles sont les questions qui animent les quatre personnages du roman de Delphine de Vigan, « Les Loyautés », deux garçons au seuil de l’adolescence, Théo et Mathis, la mère du second, Cécile, et Hélène, l’une des professeurs des enfants. Coup de cœur ❤️
Éditeur : Lattès
Nombre de pages : 208
Parution : Janvier 2018
Prix : 17 €
Versions ebook et poche disponibles
Théo a 12 ans. Et ce qu’il cache à tous est bien lourd à porter pour ses frêles épaules… Ses parents se sont séparés plusieurs années auparavant et il alterne les semaines chez l’un puis chez l’autre. Une situation somme toute assez banale. Excepté le fait que ses parents ne s’adressent plus la parole depuis longtemps, y compris à son sujet. Pire, sa mère ne supporte rien qui lui rappelle son ex-mari au point de faire totalement abstraction de ce qui se passe quand son fils n’est pas avec elle.
Théo garde donc pour lui le fait que son père a été mis à pieds des années plus tôt et que, depuis, dépressif, il se néglige et s’éteint à petit feu, abandonnant de fait son rôle de père. Théo tente bien de prendre soin de lui, du mieux qu’il peut. Mais c’est si difficile. Il a beau le rassurer à coup de « Ne t’inquiète pas, ce n’est pas grave », lui aussi est souvent tenté de baisser les bras. Alors, il boit et se réfugie dans l’expérience de l’ivresse et de la transgression, entraînant avec lui son ami, Mathis.
« Un jour, il aimerait perdre conscience, totalement. S’enfoncer dans le tissu épais de l’ivresse, se laisser recouvrir, ensevelir, pour quelques heures ou pour toujours, il sait que cela arrive ».
Mathis aussi ment, en particulier à sa mère qui, d’instinct, n’apprécie pas que son fils fréquente Théo. C’est lui qui dérobe à Cécile l’argent nécessaire pour se procurer la boisson. « C’est très facile de mentir » dit-il.
Mais quand ce qui relevait du défi se transforme en obsession pour Théo, Mathis n’est plus aussi enthousiaste…
Cécile, la mère de Mathis, a commencé à dissimuler quand elle a épousé William. Issue d’un milieu modeste, elle a, à la demande de son mari, abandonné sa manière de parler au profit d’une plus « distinguée », changé de manière d’être, pour devenir sa complice dans les dîners mondains de petits arrangements avec la vérité. Jusqu’au jour où elle découvre que William dissimule bien plus qu’elle n’imaginait…
Hélène enfin, est la seule à percevoir immédiatement que Théo ne va pas bien : rien de concret mais un instinct ne laissant place à aucun doute et qui entre en résonance avec sa propre histoire. Elle qui a tenté d’oublier son passé s’y confronte brutalement au contact de Théo.
Si ces quatre personnages partagent le fait de dissimuler la vérité, ils se retrouvent également dans les combats menés avec leurs propres loyautés :
« Ce sont des liens invisibles qui nous attachent aux autres (…), ce sont des promesses que nous avons murmurées et dont nous ignorons l’écho, des fidélités silencieuses (…). Ce sont les lois de l’enfance qui sommeillent à l’intérieur de nos corps, les valeurs au nom desquelles nous nous tenons droits, les fondements qui nous permettent de résister, les principes illisibles qui nous rongent et nous enferment. Nos ailes et nos carcans ».
Tous se débattent pour sauver les apparences, se protéger ainsi que leurs proches, par loyauté envers eux ou envers l’enfant qu’ils ont pu être. Delphine de Vigan montre parfaitement dans ce roman les conflits de loyautés diverses auxquels nous sommes tous confrontés et à quel point ils peuvent nous mettre en danger.
D’une écriture dense et nerveuse, dans un roman très court à l’issue dérangeante, elle suggère ces faisceaux de loyautés plus qu’elle ne les explique, soulignant la difficulté à composer avec chacun d’entre eux. Des sentiments nobles à l’origine mais qui se révèlent parfois absurdes et dangereux. Et un livre poignant qui touche en plein cœur : rien de plus terrible que d’assister à la chute d’un enfant qui souffre et que l’on voit sombrer, impuissants.
©️Jean-François Robert
À propos de l’auteur
Delphine de Vigan est romancière, scénariste et réalisatrice. Elle a publié une dizaine de romans, dont D’après une histoire vraie, prix Renaudot et prix Goncourt des lycéens 2015.