Les Correspondants – Grand Corps Malade & Ben Mazué
« Humain, émouvant, drôle et élégant » : tels sont les mots écrits par Fabien à propos d’un concert de Ben et qui s’appliquent à merveille à cet ouvrage. Un échange épistolaire riche !
Éditeur : JC Lattès
Nombre de pages : 198
Parution : octobre 2022 ; Prix : 17 €
Voici tout juste un mois que Grand Corps Malade, Ben Mazué et Gaël Faye nous ont surpris et enchantés avec leur EP, « Ephémère ». Les deux premiers reviennent aujourd’hui en librairie avec un échange de missives initié en février 2021. 15 mois et 53 lettres plus tard, « Les Correspondants » paraissent, préfacés par le troisième.
« Humain, émouvant, drôle et élégant » : tels sont les mots écrits par Fabien à propos du concert de Ben et qui s’appliquent à merveille à cet ouvrage.
Les inconditionnels de l’un et de l’autre apprécieront d’y retrouver leurs plumes, et leurs voix en filigrane de leurs mots, avec les textes de quatre inédits (!), de (re)découvrir la manière dont chacun d’eux a débuté sa vie d’artiste. « Les carrières sont une succession de choix ou de renoncements, de doutes et de prises de risque, de rencontres et d’opportunités qui rentrent aléatoirement en collision avec la vie de famille, la santé, la météo, le tirage du loto, les relations amicales et les déceptions amoureuses » souligne Gaël Faye en ouverture du livre. Ce sont ces moments que les deux artistes partagent et donnent à connaître à leurs lecteurs.
Au-delà de de l’admiration que l’on peut éprouver pour eux, ce livre éclaire de manière passionnante ce que recouvre le processus de création. Ils nous y avaient initié avec le carnet de bord rédigé par Frédéric Perrot et illustré par Charlotte Mo accompagnant « Ephémère ». Ils vont bien plus loin, ici, profitant du temps suspendu imposé par la pandémie. Stoppés nets dans leurs tournées, contraint de renoncer à la scène – pas essentielle… – pour une période indéfinie, ils ont eu l’idée de mettre en œuvre un projet initié alors que Fabien devait partir une année en famille au Québec. COVID oblige, le voyage n’eut pas lieu mais les deux amis ne renoncèrent pas pour autant à s’écrire, se lançant dans ce projet sans trop savoir ce qu’il donnerait au final, si ce n’est le plaisir de s’envoyer des nouvelles écrites chaque semaine, ou presque, et avoir comme lecteur, pour Ben, « le meilleur remonteur de moral de France ».
En quoi un échange épistolaire s’inscrivant dans une relation amicale peut-il présenter un intérêt pour les lecteurs ? Les raisons sont multiples. D’abord parce que même si l’on comprend que les lettres sont pensées, travaillées, sélectionnées, on le perçoit totalement sincère ; et c’est touchant, par exemple lorsqu’on lit l’émotion de Ben à la découverte de l’effet que produit sur lui son premier Zénith ou la perspective de Bercy pour Fabien le 20 décembre prochain. Ou encore lorsque le premier partage sa fatigue due au rythme intense de la tournée, son appréhension des très grandes salles après les théâtres et que le second souligne la beauté et la complexité de leur métier, qui ne peut être exercé, contrairement à beaucoup d’autres, sans être habité. Ce faisant, cet échange nourrit ainsi habilement la réflexion sur ce que recouvre le métier singulier d’artiste. Autre raison d’investir ces échanges littéraires.
Ensuite parce que ces mots échangés donnent à comprendre comment ces poètes parviennent à nous émouvoir par leurs chansons en nous livrant une part d’intimité, sans pour autant se mettre totalement à nu. L’éternelle question du personnel qui touche l’universel, mais abordée de manière originale. Et leurs approches sont différentes. Pour Ben, « le poignant est trop personnel pour être raconté ailleurs que sur une scène, sur un album, ou dans un livre. C’est paradoxal, c’est vrai (…) ». Fabien reconnaît que « le poignant, ça marche. À condition que ce soit écrit et livré avec un minimum de sincérité et de subtilité ». Il poursuit « je cherche le subtil dosage entre me livrer sincèrement et ne pas trop me dévoiler, être à livre ouvert mais tout en pudeur ». À l’inverse, Ben, estime qu’un maximum de sincérité est nécessaire : « Je puise dans mes émotions celles que je peux partager, celles qui sont potentiellement sinon universelles, au moins un peu communes, et j’écris dessus, sans me soucier de ce que ça va révéler de ma vie privée, et c’est sûrement ça qui est dangereux ».
Enfin, parce qu’il ressort de ces échanges une sorte d’optimisme partagé, la capacité à faire un pas de côté pour savourer les moments présents, en dépit des accidents de parcours. Comme chacun d’entre nous, ils en ont tous deux connu. Leur échange atteste « qu’on peut se livrer sans s’épancher, qu’on peut écouter sans se plaindre, qu’on peut se raconter sans impudeur ». Et c’est un plaisir à lire ! Impossible de tourner la dernière page sans ressentir la furieuse envie d’écrire des lettres, trouver « le correspondant » idéal », et d’avoir la chance d’écouter Fabien et Ben se lire et chanter ensemble !
Prendre ce temps, tout simplement.
©️ Yann Orhan
À propos des auteurs
Grand Corps Malade est un artiste aux talents multiples autant dans la musique (sept albums et tournées triomphantes, la littérature (Patients, 2013), que le cinéma (Patients, 2017 et La vie scolaire, 2019).
Ben Mazué est auteur compositeur interprète. Il a signé quatre albums dont le dernier Paradis est certifié disque de platine, il prête également sa plume à d’autres chanteurs.