Le Mal-épris – Bénédicte Soymier

Un premier roman qui évoque brillamment le phénomène des violences faites aux femmes sous une forme originale : celle où est donnée à entendre la voix de l’homme violent.

Éditeur : Calmann-Lévy

Nombre de pages : 336

Parution : Janvier 2021

Prix : 18,50 €

Version ebook disponible

Bénédicte Soymier a eu la gentillesse de m’accorder un entretien : c’est ici !

Tout est-il écrit et peut-on nourrir l’espoir d’échapper à son destin ? Né dans la violence, un homme se laissera-t-il nécessairement gagner par la fureur ? Une femme particulièrement vulnérable sera-elle forcément abusée ?

Telles sont les questions auxquelles Bénédicte Soymier tente d’apporter des réponses dans un premier roman tenu de bout en bout qui évoque le phénomène des violences faites aux femmes sous une forme originale : celle où est donnée à entendre la voix de l’homme violent. Mais attention, l’auteure prévient le lecteur en préambule : mieux comprendre ne signifie en aucun cas excuser. Et c’est là où le roman fait mouche : par une analyse psychologique particulièrement fine de l’état d’esprit de son personnage principal Paul, on accède à la mise en place implacable du mécanisme de la violence : un savant cocktail composé de séquelles de l’enfance, d’envies réprimées, de frustrations, exacerbées par un physique peu avantageux, de railleries tant dans sa vie personnelle que professionnelle, d’échecs amoureux renouvelés, et de faux espoirs.

L’histoire est cousue de fil blanc, comme le souligne l’auteure elle-même, mais l’enjeu du livre n’est pas là. Le portrait dressé de Paul est peu reluisant : « Paul n’est pas beau. Petit, maigre, le cheveu terne et ras, il présente un physique ingrat que n’arrangent pas des tenues démodées… ». Ses seuls attraits : des yeux bleu-gris, dont il joue habilement, et son appartement, petit havre de paix… Tout commence à dérailler lorsque s’installe dans son immeuble, Mylène, sur laquelle Paul va jeter son dévolu. Malgré elle, et davantage par faiblesse et manque de courage, elle ne l’éconduit pas immédiatement et entretient une ambiguïté malsaine. Une pitié qui va nourrir une obsession de plus en plus envahissante, jusqu’à ce que Paul, totalement frustré de ne pas parvenir à ses fins avec elle, jette son dévolu sur sa nouvelle collègue, Angélique.

 

Elle aussi a tous les traits de la victime parfaite : mère célibataire qui se débat pour joindre les deux bouts, elle bénéficie d’un physique attrayant mis en valeur par des tenues affriolantes. Bienveillante, elle a multiplié les relations bancales, avec une nette tendance à attirer les chiens errants pour lesquels elle ne peut résister à l’envie de les aider. C’est donc tout naturellement qu’elle tombe dans les mailles du filet tendu par Paul, s’illusionnant d’une belle histoire d’amour alors que l’engrenage de l’emprise est en route, inéluctablement. L’un et l’autre ne sont pourtant pas sots. Conscient de s’inscrire dans un triste schéma familial, sensibilisé par sa sœur à la cause des femmes battues, Paul s’aveugle, se méprend, se laisse dévorer par une aigreur qui n’a d’égal que l’eczéma qui lui recouvre le corps. Il pourrait avoir envie d’en finir mais non, il veut vivre, à tout prix, et attend que le mal s’en aille. Quant à Angélique, clairvoyante, elle ne cesse néanmoins de se bercer d’illusions et veut croire à une vie meilleure et un homme enfin épris d’elle, pour ce qu’elle est.

Avec « Le mal-épris », Bénédicte Soymier décrit de manière impeccable l’enfermement de ses personnages. Elle use pour ce faire, d’une écriture concise, parfois glaçante, surtout lorsque la violence se manifeste. Elle déploie une analyse extra fine de leurs modes de pensée au service de la mise en musique la naissance et l’épanouissement d’une relation vouée à s’effondrer.

 

« Ça lui ronge les tripes et le cerveau, plus fort que sa volonté – une hargne qui l’habite, une violence qui déferle tel un vent d’orage, puissante et incontrôlable. Il voudrait lâcher mais ne pense qu’à frapper. ».

Elle montre aussi à quel point chacun des personnages de l’histoire lutte contre son apparence et souhaite à tout prix être vu tel qu’il est, au-delà de l’image qu’il renvoie. Paul doit ainsi « se battre, prouver qu’il a de la valeur, qu’il est sensible et humain derrière les apparences » tandis qu’Angélique, sous les yeux de Paul, regrette : « un regard comme tant d’autres, qui convoite et insulte ». Et supplie : « Regarde-moi dans les yeux, au-delà de mes courbes et de ma chair, regarde-moi derrière ce que tu vois ».

S’il était écrit que la relation entre Paul et Angélique était vouée à l’échec, rien n’était certain quant à la possibilité pour chacun des personnages de se sauver et s’élever, individuellement. Bénédicte Soymier parvient à maintenir le suspense jusqu’au bout. Chapeau ! Si vous suiviez depuis longtemps comme moi avec bonheur la blogueuse littéraire @au.fil.des.livres, il vous faudra désormais porter attention à ses prochains romans, prometteurs !

 

 

©️ Jeff Marion

À propos de l’auteur

 

Infirmière, Bénédicte Soymier travaille dans le Doubs. Passionnée de littérature, elle partage ses nombreuses lectures sur son blog Au fil des livres. Le Mal-épris est son premier roman.

Le site de Bénédicte Soymier : Au fil des livres

Quelques pages en extrait du livre….

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