Le ciel ouvert – Nicolas Mathieu
Livre tout à la fois brûlant et délicat d’où surgit une sorte d’autoportrait d’un homme fragile et sincère aux prises du temps. Magnifique !
Éditeur : Actes Sud
Nombre de pages : 128
Parution : Février 2024
« Je vais te dire, en réalité la littérature ne peut rien. Là-dessus, tout le monde nous ment ». A commencer peut-être par l’auteur de ces mots qui initient son recueil « Le ciel ouvert » tant les siens parviennent à donner ici merveilleusement corps à des amours et des absences et parler à chacun d’entre nous.
Si certains écrivains semblent être parfois tentés de vivre des histoires pour nourrir une inspiration littéraire, la démarche de Nicolas Mathieu s’en démarque très nettement et s’inscrit à l’opposé : épris d’une femme qui n’était pas libre, il a régulièrement posté sur les réseaux des billets enflammés, souvent illustrés par de somptueux portraits de Romy Schneider. Les uns après les autres, ils ont ainsi révélé, « à ciel ouvert », son histoire d’amour condamnée jusqu’alors à la clandestinité. Exhumés d’Instagram, ils sont sélectionnés, repris et ordonnés dans ce livre pour en faire un texte intense et poétique.
Source : compte Instagram de Nicolas Mathieu
Sorte de « correspondance » follement romantique des temps modernes où seule une voix se fait entendre puisque d’elle, « mère, amante, cheffe », on ignore les réponses éventuelles, ses billets permettent à l’auteur de laisser une empreinte et, surtout, offrir à ses lecteurs, de plus en plus nombreux au fil des publications, « le spectacle d’une relation enviable ». Une joie exprimée avec passion, teintée d’une profonde mélancolie due à l’éloignement et à l’indisponibilité de l’être aimé, ainsi qu’à la prémonition de son issue, inéluctable.
« Je t’attends, ruminant sans fin cette si belle douleur, ce sort infernal qui est de ne vivre que pour t’aimer ».
Des écrits qui expriment également le manque viscéral, le désir insatiable, la souffrance et la tristesse, sur fond de lassitude liée à des déplacements professionnels intenses et à une notoriété sans doute parfois pesante mais, au final, un apaisement semble-t-il.
« A l’orée des grands incendies, nous aurons au moins eu ça, la bière, le sel et la pénombre d’une chambre où l’on marche pieds nus, nos veilles aux yeux plissés et le petit matin à trente-deux degrés déjà, les draps qui claquent dans le vent dehors, et le bleu de la mer, nos engueulades et la catastrophe de tes reins. C’est assez de souvenirs pour dix romans et nos deux vies. ».
Au-delà de l’absence de la femme aimée, ce recueil en évoque d’autres, en particulier celle d’un fils après la séparation de ses parents. Des mots touchants pour dire encore le manque, mais aussi la profonde tendresse d’un père qui voit son enfant grandir et qui, « greffier des temps révolus », observe et note pour leur fabriquer des souvenirs.
« Tant de choses sont arrivées depuis toi. Tu es un monde dans le monde. Tu es ma fatigue et mon sang, l’odeur de ma joie, l’axe autour duquel tournent les heures. Tu es loin, et toujours là. ».
On ressort chavirés de la lecture de ce livre tout à la fois brûlant et délicat, composé de textes magnifiés par les très beaux dessins colorés d’Aline Zalco, écrits desquels surgit une sorte d’autoportrait d’un homme fragile et sincère aux prises du temps. C’est magnifique et bouleversant. Aussi intimes que ces billets puissent être, ils parviennent à exprimer ce que le lecteur peut lui aussi ressentir à différents moments de sa vie. De la très grande littérature.
©️ Joël Saget
À propos de l’auteur
Nicolas Mathieu est né en 1978 dans les Vosges. Il réalise un mémoire universitaire de maîtrise en arts du spectacle à l’Université de Metz intitulé « Terrence Malick : portrait d’un cinéaste en philosophe », sous la direction de Jean-Marc Leveratto. Après des études d’histoire et de cinéma, il s’installe à Paris où il exerce toutes sortes d’activités : journaliste pour un site d’information en ligne, rédacteur dans une agence de reporting (2008).
Son premier roman, « Aux animaux la guerre » (2014), remporte différents prix. En 2018, il obtient le prix Goncourt pour son deuxième roman, « Leurs enfants après eux », le récit politique d’une jeunesse qui doit trouver sa voie dans un monde qui meurt. Cette œuvre évoque les conséquences de la désindustrialisation sur la classe ouvrière française. Ont suivi « Rose Royal » et « Connemara ».