En vérité, Alice – Tiffany Tavernier

Une femme sous l’emprise d’un homme violent. C’est le sujet du nouveau roman de Tiffany Tavernier où est esquissé le portrait d’Alice perdue dans une relation toxique. « Encore ? » pourrait-on être tentés de dire face à cette thématique « tendance »… Oui mais, au-delà de la mécanique de l’emprise analysée avec justesse, il l’aborde de manière originale, à plus d’un titre.

D’abord parce qu’il adopte son point de vue sous emprise. Pas rétrospectivement, pas lorsque consciente de la violence, elle cherche à s’en défaire. Au contraire, Alice idéalise totalement son conjoint et entretient depuis 5 ans le feu de cet amour qu’elle imagine formidable, dans un déni glaçant. A 29 ans, elle revient s’installer à Paris après s’être coupée de tous les siens. Schéma malheureusement classique qu’elle ignore, acharnée à vouloir « sauver » celui qu’elle imagine profondément malheureux. Dénigrée, sans cesse humiliée, elle se retrouve sommée de trouver un emploi : un cauchemar pour celle que tout effraie hormis son bourreau. Ses déambulations la conduisent dans une église où elle découvre par hasard une petite annonce pour un poste inattendu, et c’est une deuxième originalité de ce livre : athée et ignorant tout de la chose religieuse, elle obtient pourtant le poste d’assistante pour le promotorat de la cause des saints.

L’auteure entremêle ainsi habilement le cheminement d’Alice aux destins de différents candidats à la sainteté dont les parcours lumineux vont peu à peu l’extirper de sa torpeur. Ne devient pas saint qui veut : la procédure est longue et complexe et Alice, initiée par quelques âmes charitables, va peu à peu ouvrir les yeux sur son sort, non sans difficulté, en instruisant ces dossiers complexes. Deux pas en avant, un en arrière, Alice bute sans cesse et résiste. Réaliste, le roman souligne parfaitement ses atermoiements. Comme dans « L’ami », ce nouveau roman de Tiffany Tavernier met en œuvre les forces du bien et du mal qui s’affrontent en nuances à travers des personnages aux prises avec leurs démons.

Enfin, autre point notable, le parallélisme établi par l’auteur entre l’état d’Alice et le syndrome de résignation affectant des enfants traumatisés qui, pour se protéger, se mettent inconsciemment en retrait du monde et sombrent dans un coma profond pouvant durer plusieurs mois. Ce phénomène m’avait particulièrement émue à travers deux films,  Réveil sur mars  de Dea Gjinovci et Des vies en suspens  de Kristine Samuelson et John Haptas.