Célestine du Bac – Tatiana de Rosnay

Rue du Bac, un porche… C’est son territoire. Un quartier huppé de Paris, aux habitants privilégiés. Tous passent régulièrement à côté d’elle mais ne la voient pas. Pire, ils détournent le plus souvent les yeux, embarrassés par cette misère crasse et cette odeur écœurante, indisposés par cette femme aux allures de sorcière.

« Après vingt ans de galères, de déboires, je suis devenue titine du bac, libre, libre comme le vent, et écoutez, vous qui passez là avec vos sacs remplis de bouffe, avec vos bagues aux doigts et vos perles au cou, vous qui bouffez, à votre faim et dormez dans un lit tous les soirs, vous qui avez une petite vie bien proprette, vous qui pétez de trouille devant vos patrons, moi j’ai pas d’impôts à payer, je vote pas, je cotise pas, je suis même pas chômeuse, j’emmerde personne, j’ai plu de numéro de sécu, je dois rien à personne, le pays avance sans moi, je suis à part, je suis d’une autre espèce, d’une espèce libre qui se fout des contraintes, mais cette liberté-là elle se paie, et ça, je l’apprends tous les jours. »

Pourtant, un jeune homme s’arrête et pose son regard empathique sur cette femme sans âge abimée par la vie. Pourquoi ? Sans doute une forme de marginalité qui les réunit. Martin Dujeu a 18 ans. Grand blond aux pieds palmés, totalement myope, il vit seul avec son père depuis le décès de sa mère dans un accident d’avion alors qu’il était tout petit. D’elle, il ne sait pratiquement rien : pas de souvenirs, pas de tombe où se recueillir puisque le corps n’a pu être retrouvé, et une communication très difficile avec son père, Victor, qui ne le comprend pas. Martin est un garçon un peu perdu, en échec scolaire, se raccrochant à son ami Oscar, à son chien « Germinal » et à Zola pour lequel il nourrit une passion sans bornes, caressant le doux rêve de devenir écrivain.

Célestine du Bac, du nom de la rue où se trouve le porche qui l’abrite, boit, beaucoup, et écrit aussi. Peu commun pour une SDF ! Intrigué par ces feuilles noircies et ému par la situation de cette femme en détresse, Martin tente de l’apprivoiser. S’il se heurte d’abord à un mur, il ne tarde pas à établir avec elle le contact et nait alors une amitié singulière entre eux : deux solitudes réunies qui vont parvenir à se donner le meilleur l’une à l’autre.

Une fois encore, la magie a opéré. Si j’ai lu la plupart des romans de Tatiana de Rosnay, « Célestine du bac » fait indéniablement partie de mes préférés. Pourtant, sa publication a été rocambolesque : refusé initialement par un éditeur qui l’avait trouvé, à l’époque, inclassable, ce manuscrit a atterri dans un carton au fond d’une cave. Trente années de confinement pour finalement, à la faveur d’un déménagement, être redécouvert. Quelle chance pour nous, lecteurs ! On y retrouve tout ce que j’aime chez cet auteur : des émotions vives, un Paris qu’elle affectionne et qu’elle évoque si bien au fil de ses livres et, surtout, des personnages hauts en couleurs… Il n’était pourtant pas évident de faire d’une marginale l’héroïne d’un roman. Tatiana de Rosnay y parvient et, ce faisant, donne à entendre la voix de ceux qui en sont de fait dépourvus.

Si je n’ai pu retenir mes larmes lors de certains passages, « Célestine du Bac » apparaît néanmoins comme un roman lumineux où l’amitié entre deux êtres que rien ne prédestinait à se rencontrer leur permet de trouver, enfin, leur voie/voix.

À propos de l’auteur

Franco-anglaise, Tatiana de Rosnay est l’auteur de plusieurs romans, dont Elle s’appelait Sarah, best-seller international vendu à plus de sept millions d’exemplaires et adapté au cinéma par Gilles Paquet-Brenner. Grâce notamment au succès de Boomerang et de Rose, elle est l’auteur français le plus lu en Europe et aux États-Unis. Elle vit à Paris avec sa famille.

Le site de Tatiana de Rosnay : www.tatianaderosnay.com