Ceci n’est pas un fait divers – Philippe Besson
« Papa vient de tuer maman », Léa, 13 ans. Ce roman est l’enquête du frère ainé de Léa cherchant à comprendre les raisons qui ont poussé son père à ce féminicide et qui tente, avec sa petite sœur, de survivre. Une lecture utile.
Éditeur : Julliard ; Nombre de pages : 208 ; Parution : Janvier 2023 ;
Prix : 20 € / Version ebook disponible
J’évoquais il y a peu dans une discussion le livre de Sarah Barukh « 125 et des milliers » à paraître le 8 mars 2023 (Harper et Collins France) et, à ma grande surprise, mon interlocutrice, qui m’apparaissait pourtant comme quelqu’un d’averti, est littéralement tombée des nues lorsque je lui ai dit qu’en France, une femme mourait tous les 2,5 jours des suites de violences conjugales et toutes les deux semaines en Suisse en 2021. Si de tels actes ne lui étaient pas étrangers, elle n’imaginait pourtant pas que le nombre de décès était si élevé… Je réalisais ainsi que la connaissance de ce fait de société n’allait finalement pas de soi en dépit de tout ce que l’on peut entendre ou voir autour de nous ou dans les media. Face à ce fléau social, si éloigné de la catégorie réductrice des crimes passionnels à laquelle on l’a longtemps cantonné, toute initiative est bienvenue : témoignages, essais, reportages, films, posts choc tels ceux d’Andrea Bescond… et romans.
Philippe Besson est parti d’un témoignage pour son dernier livre, très réussi. Un peu à la manière de « Chanson douce » de Leila Slimani qui débute par cette phrase inoubliable, « Le bébé est mort », celui de Philippe Besson s’ouvre sur les paroles glaçantes de Léa, 13 ans, joignant son frère aîné au téléphone, celui-ci ayant quitté le foyer familial depuis quelques années : « Papa vient de tuer maman ». Derrière cette phrase, un drame s’est joué et plusieurs vies se sont brisées. Lorsqu’une femme décède en effet des coups portés par son conjoint, il ne s’agit pas seulement d’une statistique, d’un encart dans un journal local dans la rubrique des faits divers. Ce sont non pas une mais plusieurs personnes qui voient leurs destinées totalement bouleversées.
Et c’est ici l’un des aspects les plus intéressants du livre de Philippe Besson, adoptant le point de vue de l’une des victimes du drame, celui du fils âgé de 19 ans au moment des faits. Narrateur de l’histoire, celui-ci va mener son enquête afin de comprendre comment le drame a pu se produire. Passés l’état de sidération, le chagrin incommensurable, la colère, viennent la culpabilité et la question abominable « comment n’ai-je rien vu ? ». Pourtant, les signes de la catastrophe à venir étaient bien présents. Le drame qu’a mis en scène l’auteur est assez « classique » : un couple se forme, un premier enfant voit le jour alors que le couple n’était pas forcément très solide, puis un deuxième. La femme travaille, le mari aussi et devient au fil du temps, d’une jalousie maladive. Sa femme, c’est sa chose. Alors, quand celle-ci montre des velléités d’indépendance, il explose. De quelle manière surmonter ce drame pour les enfants ? Léa a été le témoin direct, a recueilli les dernières paroles de sa mère agonisant. Pourtant, elle se trouve aux prises d’un conflit de loyauté terrible, auquel échappe son frère plus éloigné de la cellule familiale.
J’ai aimé dans ce livre la figure du grand-père paternel qui, même dévasté, met son propre chagrin de côté pour prendre en charge ses petits-enfants et tenter de les maintenir en vie. J’ai apprécié aussi la manière dont l’auteur a montré la réalité factuelle de cette situation, nous plongeant au plus près des enfants, de la commission de l’acte, à la possibilité de revenir sur les lieux du drame des mois plus tard dans une scène hallucinante, en passant par les interrogatoires de la police, les mains-courantes demeurées sans suite, la question de l’autorité parentale que le parent criminel conserve (la question est en ce moment en discussion au Parlement…).
La fiction a elle aussi un rôle à jouer pour peut-être toucher davantage de personnes et éveiller les consciences.
À propos de l’auteur
Auteur de premier plan, Philippe Besson a publié aux éditions Julliard une vingtaine de romans, dont Son frère, adapté au cinéma par Patrice Chéreau, L’Arrière-saison (Grand Prix RTL-Lire), « Arrête avec tes mensonges » (prix Maison de la Presse), Le Dernier Enfant et Paris-Briançon.