Avec toi je ne crains rien – Alexandre Duyck

 

 

Août 1942. Louise et Joseph partent pour une  randonnée dans le massif des Diablerets dont ils ne reviennent pas. 75 ans plus tard, leurs corps réapparaissent. Alexandre Duyck évoque avec délicatesse et émotion leur histoire d’amour et les effets de leur disparition sur leurs enfants devenus orphelins.

 

Éditeur : Actes Sud ; Nombre de pages : 208 ; Parution : Avril 2024

« La montagne est une ogresse, une avaleuse d’enfants, elle se moque des frontières et des lois, elle s’impose, prend ses aises, séduit, elle appelle, elle attire, arrache, tue, ensevelit, écrase​ » écrit Alexandre Duyck. Et parfois, elle rend, de plus en plus souvent, à la faveur de la fonte des glaciers due au réchauffement climatique.

C’est ce qu’elle fit un jour de 2017 : deux corps refirent ainsi surface 75 ans après leur disparition, ceux de Louise et Joseph Héritier. L’auteur nous raconte leur histoire qui, d’amour, vira à la tragédie.

Nés dans des vallées différentes des Alpes suisses, leur rapprochement surprit leur entourage. Pourtant, Louise suivit Joseph venu la chercher sans l’ombre d’une hésitation. Une audace réciproque peu comprise à l’époque et un couple qui rapidement, suscita les ragots des villageois jalousant leur bonheur évident. Lui cordonnier, toujours prêt à rendre service et elle, institutrice respectée, filèrent néanmoins le parfait amour durant 13 années entourés de leurs quatre enfants. Jusqu’à un jour d’août 1942 où Louise exigea d’accompagner son mari dans les Alpages lors de son échappée annuelle en solitaire s’étendant sur deux journées, 3000 mètres de dénivelé et traversant le glacier des Diablerets. Elle qui n’avait jamais entrepris une telle ascension n’en a pourtant pas démordu. Désarçonné par sa demande, Joseph finit par céder. Confiant la garde de leurs enfants à leur ainée, Louise, âgée de 12 ans, ils entreprirent donc cette randonnée de tous les dangers un jour d’été. Ils n’en revinrent jamais vivants.

Cette histoire repose en réalité sur celle des époux Francine et Marcelin Dumoulin à laquelle Alexandre Duyck, par ailleurs grand reporter, avait consacré une enquête en 2017 pour M, le magazine du Monde lorsque leurs corps avaient été libérés du glacier de Tsanfleuron. Il avait alors rencontré plusieurs descendants du couple et s’inspire ici de ses échanges pour bâtir son très beau roman. De ce fait divers, il tire un livre touchant et trouve les mots justes et sensibles pour évoquer ce drame familial dont les répercussions demeurent vives sur plusieurs générations.

Francine et Marcelin Dumoulin

Au-delà du fait divers, c’est le portrait d’une époque que dresse l’auteur : la vie dans le Valais au début des années 40, une région « hors du monde », épargnée par la guerre grondant pourtant à ses portes. A travers ses personnages, il parvient à retranscrire la manière dont ce village fonctionnait au rythme des saisons, une sorte de grande famille où l’entraide était de mise mais où aussi les jalousies allaient bon train, de pair avec les rumeurs tout aussi odieuses que farfelues. Lorsque Louise et Joseph décident de s’aventurer dans les sommets, certains gardent un œil sur les petits, tandis que d’autres ne peuvent s’empêcher de les envier. Et quand leur retour vivants s’avère définitivement compromis, des décisions relatives à la garde des enfants doivent être rapidement prises. Aucune mesure de protection sociale de l’enfance n’existait à l’époque et la fratrie est donc divisée : chaque enfant placé dans l’urgence au sein de familles pas forcément en mesure de les accueillir.

Alexandre Duyck montre parfaitement comment, même devenus adultes, à leur tour parents et même grands-parents, ils sont demeurés toute leur vie durant des orphelins. Brutalement privés des leurs dans leur tendre enfance, sans explication, sans corps, en proie aux rumeurs les plus sordides selon lesquelles Louise et Joseph, endettés, les auraient abandonnés pour fuir leurs créanciers, ils n’ont pu faire leur deuil et ont toujours conservé l’espoir d’obtenir un jour une explication. Certains sont morts à leur tour, hantés toute leur vie par cette disparition inexpliquée. La découverte des corps du couple disparu 75 ans plus tard fut une délivrance pour les enfants encore vivants et tous leurs descendants, affectés eux aussi par ce drame familial. Et « Avec toi je ne crains rien » constitue un très bel hommage d’Alexandre Duyck à ce couple, une trace indélébile de leur existence et un roman marquant pour les lecteurs.

© Nicolas Jaillard

À propos de l’auteur

 

Alexandre Duyck est grand reporter. Il travaille notamment pour M le magazine du Monde. Il a publié deux romans, Augustin (Lattès, 2018) et Un effondrement (Lattès, 2020). Et par ailleurs trois documents dont De la rue au monastère (Bayard, 2018).

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