Changer l’eau des fleurs – Valérie Perrin
Coup de cœur pour ce roman riche en émotions aux personnages insolites et attachants ! Un hymne à la nature, aux choses simples et essentielles, au temps qui passe, à la recherche d’une harmonie teintée de cannelle, de vanille, de poudre d’amandes et de fleur d’oranger.
Éditeur : Albin Michel
Nombre de pages : 560
Parution : Février 2018
Prix : 22,50 €
Version ebook disponible
« Changer l’eau des fleurs » : un acte anodin, une injonction simple comme pour mieux s’ancrer dans une réalité qui nous échappe. Des mots à la résonance poétique, évoquant un rythme lent et doux qui contraste violemment avec l’existence de Violette.
Elle aussi a « changé l’eau des fleurs » plusieurs fois dans sa vie, avant de trouver un répit certain dans un cimetière. Non pour un repos éternel mais pour le garder. Tel est son métier : veiller sur les sépultures des défunts, entretenir ce « jardin des âmes » aux milles couleurs et senteurs, y accueillir les visiteurs, être l’oreille attentive et compatissante de leurs histoires, partager leur intimité et les accompagner à des moments forts de leurs vies. Comme Renée, la charismatique concierge de « L’élégance du hérisson » de Muriel Barbery, Violette, cette femme résiliente, sait absolument tout des occupants de ce carré d’éternité : leur vie, leurs relations familiales et (extra)conjugales, allant jusqu’à consigner le déroulé de leurs obsèques, les présents, les absents, la météo, les discours… au cas où un proche souhaiterait un jour s’y référer.
Violette porte le nom de sa couleur lors sa naissance : née sous X, elle ne doit d’être en vie que pour s’être réchauffée sur un radiateur… Une vie âpre, ballotée de foyers en familles d’accueil, jusqu’au coup de foudre pour un beau jeune homme, Philippe Toussaint, avec lequel elle conçoit rapidement un enfant, Léonine. D’abord garde-barrière, Violette devient quelques années plus tard garde-cimetière à Brancion-en-Chalons, en Bourgogne. Mais un jour, peu de temps après s’être installée, son mari disparaît sans explication. Le roman débute 19 ans plus tard, lorsque que frappe à sa porte un homme, Julien Seul, dont la mère, Irène, vient de décéder et a exprimé comme dernière volonté de reposer auprès de Gabriel Prudent enterré là, une personne absolument inconnue de Julien…
Ce sont donc les histoires imbriquées de Violette Toussaint, d’Irène et de Gabriel que conte Valérie Perrin à la manière d’un film, avec ses flash backs, ses arrêts sur image, sa bande originale, ses rôles secondaires et non moins importants, ses clins d’œil cinématographiques à Claude Lelouch – son conjoint – ou encore à Clint Eastwood, et même à Éric Dupond-Moretti ! Elle esquisse ainsi par petites touches le portrait de plusieurs personnages et, en particulier, d’une femme qui promet d’habiter longtemps les lecteurs de ce très joli roman, pour plusieurs raisons.
Eric Dupond-Moretti (dont Gabriel Prudent est fortement inspiré) et Francis Huster dans « Chacun sa vie » de Claude Lelouch, 2017.
D’abord, le côté décalé de Violette, cette femme aux deux penderies, celle d’été et celle d’hiver, qui n’ont des saisons que le nom et dans lesquelles elle pioche en fonction des circonstances, soit pour les autres, soit pour elle, à l’image de sa maison où la pièce principale, totalement neutre et destinée à recevoir ses visiteurs, contraste avec sa chambre et sa salle-de-bain, si féminines aux odeurs poudrées de rose. Cette femme qui a aussi appris à lire seule, grâce à une émission de radio et dont le livre de chevet est « L’œuvre de Dieu, la part du Diable » de John Irving.
Ensuite au regard de l’activité peu commune à laquelle s’adonne Violette, veiller sur un cimetière… Jusqu’à cette lecture, je n’imaginais même pas que ce métier puisse encore exister. Et pourtant, il a tout son sens. Peut-être que s’il était mieux connu et apprécié, certains – et moi la première – seraient davantage enclins à aller visiter la dernière demeure de leurs proches. En cela, le roman de Valérie Perrin est une réelle réussite !
Le rapport que nous entretenons avec nos défunts est des plus personnels, entre ceux qui affectionnent les cimetières en en faisant même le but de promenade pour aller visiter les pierres tombales de personnes célèbres, les autres que ces lieux indiffèrent, ou qui s’y rendent par devoir moral et, enfin, ceux qui les fuient purement et simplement, tentant de tenir à distance, la matérialisation de l’absence des êtres chers… Si « Changer l’eau des fleurs » parle ainsi plus facilement aux premiers, il pourrait bien parvenir à démystifier ce lieu pour les autres, le rendre même accueillant et réconfortant. La question du deuil qui imprime tout ce livre y est traitée avec subtilité et infiniment d’humanité par Valérie Perrin.
Autre ressort du livre qui m’a emportée, l’amour qui meut chacun de ses personnages et que l’auteur s’attache à décortiquer. À commencer par Violette elle-même qui enchaîne depuis sa plus tendre enfance les coups du sort et qui chaque fois, se relève, ayant trouvé un apaisement dans cet endroit si insolite.
« Comme je n’ai jamais eu le goût du malheur, j’ai décidé que ça ne durerait pas. Le malheur, il faut bien que ça s’arrête un jour ».
Les personnages de Gabriel et Irène sont eux aussi bien sûr très forts, dans leur amour contrarié évoquant le mythique « Sur la route de Madison ». Des destins transcendés par le plus fort des sentiments qui anime tous les acteurs de cette histoire, d’autant plus touchants qu’ils sont imparfaits, chacun n’étant ni tout à fait blanc ni tout à fait noir.
« Sur la route de Madison », 1995.
De et avec Clint Eastwood, Meryl Streep
Enfin, il est un autre aspect du livre, majeur, qui m’a littéralement bouleversée mais que je ne saurais évoquer ici sans déflorer la si jolie fiction imaginée par Valérie Perrin. Ce n’est pourtant pas l’envie qui manque tant il y a à dire à ce sujet et sur la manière si forte et si pertinente dont l’auteur s’en est emparée. Les larmes, même si je les ai devinées à un moment, n’ont pas manqué de couler. Je dirais juste que « Changer l’eau des fleurs » est un hymne à la nature, aux choses simples et si essentielles, au temps qui passe, celui des floraisons, à la recherche d’une harmonie entre l’homme et le monde qui l’environne imprégnée d’odeurs de cannelle, de vanille et de tabac, et au goût de lait de soja aromatisé à la poudre d’amandes et à la fleur d’oranger.
©Valentin Lauvergne
À propos de l’auteur
Photographe, scénariste et écrivain, Valérie Perrin a publié un premier roman, « Les oubliés du dimanche » (Albin Michel, 2015), plusieurs fois primé.
« Changer l’eau des fleurs » a reçu le Prix de la Maison de la Presse 2018 présidé pour cette édition par Michel Bussi.
Valérie Perrin se livre au Off des auteurs :
Et pour conclure, à l’image du livre, quelques mots mis en musique : « La vie devant soi », Vincent Delerm – FNAC Saint-Lazare – 8 octobre 2016
Quelques pages en extrait du livre….