DE ROCK STAR À TUEUR, LE CAS CANTAT

 

📺 De rockstar à tueur, le cas Cantat, coréalisée par Anne-Sophie Jahn, Nicolas Lartigue, Zoé de Bussière et Karine Dusfour , 3X40’, Netflix 🇫🇷

Pourquoi faudrait-il regarder ce documentaire ?

Cette affaire, c’est l’histoire d’un féminicide commis par un homme violent que la société dans son ensemble a longtemps « excusé » en raison de son grand talent et de sa qualité d’artiste reconnu, faisant preuve d’une mansuétude sans égale pour ce type d’homicides qualifiés à tort de « crimes passionnels ». De ce fait divers impliquant des célébrités, on avait le sentiment d’en savoir déjà beaucoup. Alors, quel intérêt présente un document supplémentaire ?

Première raison : mesurer la façon dont la société se saisit désormais des violences faites aux femmes. Depuis le décès de Marie Trintignant à la suite des blessures infligées par son partenaire en juillet 2003, leur appréhension a évolué mais le chemin à parcourir est encore long et rien n’est définitivement acquis. Aujourd’hui en France, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint. Elles sont bien plus nombreuses si l’on compte les cas de suicides forcés que la loi considère désormais comme des féminicides mais pas les statistiques. En Suisse, 12 féminicides étaient enregistrés début avril 2025 (source RTS).

L’une des forces de cette mini-série est aussi de revenir sur le traitement médiatique de l’affaire il y a 22 ans et sur sa perception publique. On mesure alors à quel point la prise de conscience du phénomène des violences conjugales et du féminicide a été tardive. Le narratif de l’époque n’apparaît définitivement plus tenable. Il a d’abord été question dans cette affaire d’un accident – une mauvaise chute sur un radiateur – puis, à la suite du rapport d’autopsie mettant en évidence 19 coups portés avec une violence inouïe, d’un crime passionnel.

Le chanteur aurait tué par amour, provoqué par une crise d’hystérie de la victime, cette femme présentée par la défense du criminel comme étant de mœurs légères (4 enfants nés de 4 pères différents ; il faut notamment entendre le journaliste et critique littéraire Arnaud Viviant à ce sujet…). Lio était alors bien seule à soutenir qu’on ne tue pas par amour.

Autre aspect intéressant de ce documentaire : l’image qu’il donne de B. Cantat. Sont diffusés des extraits de son audition juste après les faits à Vilnius. Il faut le voir mentir avec une arrogance, un aplomb, une assurances incroyables… Un charisme si puissant que malgré tout, certains restent sous le charme. S’il a tué de ses mains sa compagne et incité une autre au suicide – Krisztina Rady, sur laquelle la série apporte un éclairage nouveau –, il vient également tout juste de publier un album grâce une opération de crowdfunding et se produit toujours en public, fort du soutien de nombreux fans, d’artistes, écrivains… Ne pas oublier qui il est.

En 2003, Noir Désir était au sommet de sa gloire : un groupe au succès phénoménal, rassemblant des milliers de spectateurs conquis, dont je faisais partie, et une manne commerciale certaine, d’où la réaction du directeur du label, distinguant clairement l’homme de l’artiste. Plus facile assurément… Peut-on réellement porter des regards différents sur une œuvre et son créateur ? A mes yeux, cela est d’autant moins justifiable que des actes illégaux qui plus est criminels ont été commis. Certains avancent qu’il a purgé sa peine, qu’il a naturellement droit à une seconde chance et que sa liberté d’expression doit être préservée. Sans aucun doute, mais dans la limite pour moi d’une certaine décence qui justifierait sa sortie de la sphère publique.

Richard Kolinka, père de l’un des enfants de Marie Trintignant, dit dans le documentaire : « Ce que j’aurais aimé, c’est qu’on n’entende plus du tout parler de ce mec ». Un vœu émis aussi par Samuel Benchetrit dans son magnifique « La nuit avec ma femme » (Plon/julliard) où il évoquait la souffrance de son fils dont Marie était aussi la mère, lorsque la une des Inrocks affichait le meurtrier sur toutes les colonnes Morris de Paris. Un documentaire clairement réussi et, pour aller plus loin, on peut lire l’ouvrage réalisé par Sarah Baruck « 125 et des milliers » (Harper collins), en particulier Amelie Quintana qui reprend et commente la lettre de Nadine Trintignant à sa fille. Ainsi que le portrait de Krisztina Rady par Julie Madar.

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