Les Envolés – Etienne Kern
Qui sont ces Envolés ? Des âmes perdues, des génies, des fous, des êtres hyper sensibles ? Etienne Kern les évoque dans ce premier roman puissant : magnifique !
Éditeur : Gallimard
Nombre de pages : 160
Parution : août 2021
Prix : 16 € / Version ebook disponible
Un homme se tient au bord de la plateforme du premier étage de la Tour Eiffel, hésite, prend son temps, observe le sol et s’élance. Il est l’inventeur d’un costume parachute censé se déployer dans les airs au moment de l’envol. Il n’en sera rien. L’homme s’écrase et meurt. Nous sommes en février 1912. Son nom est Franz Reichelt.
Franz Reichelt quelques minutes avant son dernier saut.
Qui était-il ? D’où venait-il ? De quelle manière cette idée a-t-elle germé en lui ? Comment expliquer ce geste de « folie » ? Telles sont les questions auxquelles s’est attaché Étienne Kern. Si l’histoire ne retient de ce tailleur autrichien établi dans le Paris d’avant-guerre que le fait divers, le primo-romancier lui redonne corps ici, s’interrogeant sur sa motivation.
Ce faisant, son livre m’a fait penser à la démarche suivie par Yvan Jablonka dans « Laetitia ou la fin des hommes » où l’auteur s’était intéressé à restituer l’histoire de cette jeune fille pour qu’elle ne soit plus réduite uniquement à son statut de victime dans l’ « affaire T.M. » du nom de son bourreau.
Étienne Kern livre ainsi un magnifique hommage à l’homme qui s’envola du premier étage de la Tour Eiffel, afin qu’il reste de lui autre chose que son funeste destin. Et on est saisi à la lecture de ce court roman par la justesse avec laquelle l’auteur s’empare de la vie de son héros. On a beau connaître la chute de l’histoire, on se prend à rêver avec Franz que oui, tout est possible : on s’enthousiasme, on tombe amoureux, on déchante, on espère… une palette de vives émotions au service d’une histoire s’inscrivant dans un Paris où l’on se réjouit de déambuler avec les personnages du livre à une époque marquée par les débuts de l’aviation.
Davantage encore à mon sens que la passion de Franz si bien restituée dans Les Envolés, c’est ce que l’auteur nous dit de lui qui m’a profondément marquée.
« Tu étais tout ce qui m’obsède. Le souvenir de ces corps qui chutent. L’évidence de cette quatre vingt-deuxième seconde qu’il faudra bien vivre un jour. Cette vérité si troublante : l’expérience du vertige n’est pas la peur de tomber mais le désir de sauter.
Tu étais ces cauchemars qui me hantent depuis l’enfance : le sol qui s’ouvre, une plaque de neige qui glisse, une barrière qui lâche et m’entraîne avec elle ou m’arrache ceux que j’aime ».
Ayant découvert par hasard la scène filmée du saut de Franz Reichelt, obsédé par ces images d’archives, Etienne Kern réalise que cet acte matérialise un drame familial : la chute et le décès de son grand-père. Coïncidence ? L’une de ses amies proches à laquelle le livre est dédié disparaît à son tour dans des conditions faisant écho à cet événement.
Dès lors, se succèdent tour à tour les chapitres où l’auteur raconte l’histoire de ce « tailleur volant » et ceux où il s’adresse à lui, le tutoyant, pour mieux se livrer intimement. L’émotion s’infiltre page après page, délicatement, à la découverte de ces « envolés » plus ou moins conscients de leur acte, et des traces qu’ils laissent dans les esprits de ceux qui les ont aimés.
On ressort de cette lecture riche d’avoir découvert l’histoire d’un inventeur passionné et, surtout, un talentueux et prometteur auteur, auréolé du Goncourt du premier roman.
Etienne Kern participera avec une centaine d’autres écrivains au Festival du LÀC les 1er et 2 octobre prochains et je m’en réjouis !
©️ Francesca Mantovani
À propos de l’auteur
Né en 1983, Etienne Kern vit et enseigne à Lyon. Il est l’auteur de plusieurs essais littéraires remarqués, parmi lesquels Une histoire des haines d’écrivains (Flammarion, 2009, avec Anne Boquel son épouse) et Le tu et le vous : L’art français de compliquer les choses (Flammarion, 2020).