Entretien avec Les Cowboys Fringants
Pour qui n’a jamais assisté à un concert des Cowboys fringants, célèbre groupe de rock québécois, difficile d’expliquer ce troublant mélange qui nous transporte à chaque fois. Un enthousiasme incroyable, une joie communicative et un public addict – toutes générations confondues – conquis par la générosité de ces artistes qui vous embarquent dans une poésie engagée, teintée parfois de folie, toujours profondément humaine.
Retour sur un concert du 4 avril 2017 à Genève pour lequel le chanteur du groupe, Karl, m’avait accordé une interview.
Après une première partie très enlevée par le chanteur Vincent Vallières, les Cowboys ont une nouvelle fois su ravir le public de l’Arena de Genève en enchaînant pas moins de 22 de leurs chansons nouvelles et plus anciennes sur une musique folk rock interprétée à merveille, notamment par Marie-Annick Lépine. Multi instrumentiste, celle-ci passe du violon à la mandoline, sans oublier l’accordéon ainsi qu’un peu de flûte, des claviers…
Subjugués, les spectateurs, enfants compris, chantent, applaudissent et sont même parfois invités à monter sur scène créant ainsi un joyeux bazar. Tout le groupe semble prendre beaucoup de plaisir, en particulier le bassiste, Jérôme Dupras qui aura en plus de la musique, grandement animé le concert, distribuant bières et chiens « balloons » à des spectateurs heureux. En chef d’orchestre de ce concert, le chanteur Karl Tremblay enchaîne chacune des « toons » de sa voix puissante et bienveillante pour un public qu’il apprécie. Il a eu la gentillesse de répondre à quelques questions avant le concert, pour L’Apostrophée.
Julie Vasa. Vous fêtez les 20 ans du groupe cette année : quel regard portez-vous sur ces deux décennies de scène, de folie et de bonheur partagés ?
Karl Tremblay. Même de ce côté-ci de l’Océan, c’est fou! On n’y croyait pas quand on a commencé à jouer : c’était pour le plaisir, pour faire un peu rire nos amis à l’époque. Vingt ans plus tard, on se retrouve à voyager et à présenter notre musique un peu partout dans la francophonie. Nous sommes extrêmement contents de la courbe de notre progression puisque même au Québec, de plus en plus de jeunes reviennent nous voir. Ça fait tellement longtemps qu’on existe que ceux qui ont grandi avec nous ont des enfants de 19-20 ans qui viennent à nos spectacles. On est très heureux de cette nouvelle génération de fans. On essaye de faire des spectacles accessibles, rigolos pour tout le monde et je pense qu’on réussit bien !
J.V. Vous venez régulièrement en Suisse. Comment trouvez-vous notre public ?
K.T. On adore venir ici. Depuis 2008, on vient tous les deux ans au Festival de Pully. On a déjà joué à l’Arena de Genève, à Lausanne… On a dû venir une dizaine de fois et vraiment, on adore. On a même des amis en Suisse. Le public est très intense, chante avec nous. Ca s’amuse… c’est beaucoup de plaisir partagé.
J.V. Ce public est-il très différent de celui du Québec ?
K.T. Pas du tout. Le fan des Cowboys est identique partout dans le monde : ce sont des gens qui viennent chanter, danser avec nous. Certains pensent que dans les concerts les gens sont plutôt attentifs aux textes et viennent davantage pour écouter les paroles. Mais nous, dans nos spectacles, les gens participent. On se fait même un devoir de les faire participer, je demande régulièrement aux gens de chanter avec nous : « Allez, on veut vous entendre ! ».
J.V. Vous aviez organisé à la sortie d’Octobre et à l’occasion de vos premiers concerts avec cet album un concours pour permettre à vos fans de vous rejoindre sur scène avec l’hilarante chanson « Marine marchande ». Allez-vous faire monter des fans sur scène ce soir ?
K.T. Oui, c’est prévu ! Les gens nous envoient des petites demandes par Facebook. Marie-Annick s’occupe de ça, elle trie… Elle était pourtant la moins technologique du groupe mais elle a décidé de répondre aux fans. Pas toujours facile quand on a 175 000 fans sur la page, ça peut faire beaucoup de demandes ! Parfois, on nous sollicite pour chanter certains titres, alors on les répète. C’est une nouvelle manière d’être en communication avec notre public.
J.V. Votre répertoire, très riche, alterne entre chansons engagées pour l’environnement, ou l’indépendance du Québec… et des chansons plus douces, parfois même mélancoliques où vous nous racontez des histoires émouvantes et aussi d’autres textes qu’on imagine avoir été écrits pour être chantés sur scène… Quels sont les thèmes qui vous inspirent le plus aujourd’hui ?
K.T. C’est sûr qu’avec neuf albums, plus de 130 chansons, on a parlé de beaucoup de choses! JF [Jean-François Pauzé], le principal compositeur, s’inspire pas mal de ce qu’il remarque, de la société et aussi de personnages, de petites histoires… ça, il y en aura toujours. Pour la société, on fait très attention à ne pas tomber dans la redondance. On ne pourrait pas nécessairement refaire une chanson comme « En berne ». Mais, sur le dernier disque, on trouve quand même quelques chansons sociales. On observe des choses qui se passent au Québec et plus généralement, on voit comme un écroulement de toutes les classes politiques sur la planète: il y a moyen de carburer un peu là-dessus ! Ce sont des thèmes inspirants, parfois même fâchants, frustrants… Du coup, on se dit qu’il est possible d’aller sur ce registre et libérer une pulsion pour tout le monde. Ça fait du bien de se fâcher un peu contre les « bouffons qui nous gouvernent » comme on le dit dans l’une de nos chansons !
J.V. Vous avez créé une fondation pour l’environnement. Pourriez-vous nous en dire quelques mots et ce qui a motivé votre démarche ?
K.T. La devise de la fondation, c’est « La musique au service de l’environnement ». On a des chansons qui dénoncent des choses et tant qu’à revendiquer, on a décidé de passer de la parole aux actes. Depuis 2006, on prend un dollar, un euro, ou un franc suisse par billet pour les remettre à des organismes. Au Québec, on a travaillé sur de gros projets super intéressants qui nous ont permis de protéger des territoires. Presque un million d’arbres ont été plantés en 10 ans ! Autre gros projet qui vient d’être finalisé: pour les 375 ans de Montréal, on voulait planter 375 000 arbres et nous sommes rendus à 425 000! Jérôme, notre bassiste, qui est président de la Fondation et la tête pensante de tout cela puisqu’il est docteur en environnement et en géographie, a développé un outil en partenariat avec la fondation David Suzuki qui permet de mettre les meilleures essences d’arbres ensemble pour éviter qu’au bout de deux ans, un arbre meurt. Les gens qui ont acheté des arbres peuvent les voir grandir.
J.V. Un emploi du temps très rempli entre les chansons et la fondation, quelle énergie !
K.T. C’est vrai que les Cowboys nous occupent bien mais en même temps, en parallèle, on aime faire d’autres choses. La fondation en fait partie. Marie-Annick aussi a sorti un magnifique album pour enfants et travaille même à un petit spectacle. De mon côté, j’ai lancé mon petit studio de jeux vidéo et on a sorti une première application disponible partout, qui s’appelle « Gauche-droite : Le Manoir ». C’est un jeu de mémoire et j’en ai besoin !
J.V. Votre tournée vous permet-elle de penser à un prochain album ?
K.T. Honnêtement, ça dépend. Parfois, il y a des moments inspirants mais souvent, c’est quand on arrête les tournées qu’on recommence à composer. JF, lui, il s’installe dans son petit chalet et il compose. On échange ensuite. Une tournée, c’est plus ludique.
J.V. Vous vous produisez beaucoup et donnez énormément à votre public. Quel est votre recette pour dégager autant d’énergie et tenir le rythme ?
K.T. Nous sommes sur scène une à deux fois par semaine au Québec. C’est beaucoup mais ça nous laisse cinq jours de congé pour être avec nos enfants. C’est devenu plus compliqué avec des enfants en bas âge, surtout quand on vient en Europe plusieurs jours. Mais ça fait partie du métier. Les gens sont tellement heureux qu’on aime venir faire un coucou à nos amis européens ! Les spectacles sont fun. Les conditions sont vraiment plaisantes aussi. C’est donc la moindre des choses qu’au moins une fois par année, on vienne faire un petit tour. Je sais qu’on nous reproche de ne pas aller partout, beaucoup de gens en Belgique sont fâchés parce qu’on n’y passe pas, pareil dans le nord de la France. Mais tu sais, on doit concentrer nos visites et on reviendra !