Une nuit après nous – Delphine Arbo Pariente
Immense coup de cœur pour ce roman, le premier de Delphine Arbo Pariente avec lequel elle réalise une entrée remarquable en littérature. Elle signe ici un petit bijou à l’image de ceux qu’elle crée depuis longtemps et m’a littéralement subjuguée avec cette histoire, portée par une merveilleuse écriture.
Éditeur : Gallimard
Nombre de pages : 256 ; Parution : août 2021
Prix : 19 € ; Version ebook disponible
Mère de trois enfants de deux pères différents, architecte d’intérieur, Mona est une femme accomplie de 46 ans. Elle mène depuis 12 ans une vie parisienne tranquille auprès de Paul, son mari, aimant et attentif. Lors d’un cours de Taï Chi, elle rencontre Vincent… Ces quelques mots pourraient laisser penser à une simple romance, une histoire d’adultère peut-être… mais détrompez-vous, il n’en est absolument rien ! Nous en sommes mêmes à des années-lumière ! Avec « Une nuit après nous », Delphine Arbo Pariente signe un premier roman somptueux, au style lumineux, où une femme se libère à la faveur d’une rencontre sentimentale. En confiance, elle va consentir à déposer les armes, décider de laisser remonter à la surface la petite fille qu’elle avait été jusqu’à l’âge de 11 ans et qu’elle a, jusqu’alors, tenté de tenir à distance et même d’oublier. Avec l’écriture comme instrument de libération.
« Je semblais forte comme un roc, j’étais fragile comme une nèfle, à cause de ce jour culminant, j’avais 11 ans, qui aurait pu imaginer, mais ça on verra plus tard. Les choses auraient continué comme avant si je n’avais pas rencontré Vincent pour me revenir ».
À l’heure où les petites filles de son âge coulaient des jours paisibles, vacant à leurs activités enfantines, Mona volait. Initiée par ses parents et souhaitant à tout prix plaire à son père afin de désamorcer une colère toujours latente, elle multipliait les larcins en tous genres, se restaurant et remplissant ses poches tous les samedis au supermarché. Rien que de très banal pensait-elle jusqu’à être prise la main dans le sac et que la honte la submerge. Une vie en réalité marquée par la pauvreté, le délaissement, la solitude, la violence psychique et physique, jusqu’à l’indicible lors de la naissance de son frère. Une vie que Mona s’était appliquée à oublier.
« J’ignore comment j’ai fait jusqu’à présent pour tenir l’enfant à distance, lui faire conjuguer le silence, se taire à tous les temps. Aujourd’hui, je sais qu’oublier est impossible ».
À Vincent, Mona raconte enfin cette petite fille. Elle lui parle de ses parents dont le mariage fut arrangé, tous deux arrivés de Tunisie en France dans les années 60’, déracinés et perdus, l’un sombrant dans l’indifférence et l’autre dans la violence. Auprès de lui, elle parvient à verbaliser l’humiliation vécue, la honte et la souffrance. À la manière d’un révélateur, Vincent est celui auprès duquel elle s’autorise à se souvenir.
Mona pour être libre – pensait-elle – avait mis un couvercle sur sa mémoire. « J’ai braqué ma mémoire avec le canon de ma liberté ». C’est grâce à une rencontre avec une personne ignorant tout d’elle qu’elle accepte de laisser remonter son passé à la surface, de souffrir de ses souvenirs. Mais le prix de cette délivrance, de cette liberté réelle, est celui-ci : s’accepter, avec ses traumatismes, les dire pour mieux les maîtriser.
Et les écrire. « J’écris parce que j’ai cessé de croire que je pouvais laisser cette histoire hors de moi, grandir n’a pas suffi. ». Et quelle écriture ! Delphine Arbo Pariente est une véritable orfèvre. Usant de mots justes, de métaphores empruntant souvent à la poésie, elle fait mouche et touche en plein cœur, au point de souhaiter relire de nombreux passages afin d’en savourer pleinement toutes les nuances.
« Je me demande si le pire était mon corps humilié ou ce qu’il est resté des empreintes de la honte. Toute mon enfance, j’ai eu froid, j’ai eu faim, j’ai baissé les yeux. J’ai volé des gommes, des stylos, des cendriers, j’ai rempli mon corps de chips, de croûtes de fromage, de poissons déchiquetés qu’on jette aux chats de gouttière, aux chiens errants, pour un mot d’amour. J’ai dormi sur des banquettes de R5, dans des halls d’immeubles, sur des plages sans rien pour me couvrir. Ce qu’il a abandonné en moi, c’est la pérennité d’une impuissance à croire que je pouvais être aimée pour ce que je suis.
Paul m’a épargné de crever dans des bras ordinaires mais ce qui me manque me manquera toujours, aucune ligne, aucune liaison et l’amour même, rien ne me rendra ce que je n’ai pas reçu, l’amour d’un père. Ce qu’il me reste de sa brutalité, c’est celle que je m’inflige ».
D’une plume délicate et élégante, sans aucun doute à son image, elle parvient à nous faire chavirer, et suscite l’envie soudaine et irrésistible de serrer contre son cœur la petite fille qu’elle était tout au long de la lecture de son livre.
©️ F. Mantovani
À propos de l’auteur
Delphine Arbo Pariente est une écrivaine française. Elle est la fondatrice et directrice artistique de la marque de bijouterie parisienne intitulée Nouvel Amour. Son premier roman intitulé « Une nuit après nous » est publié aux éditions Gallimard en 2021.