Contre nature – Cathy Galliègue

À travers le portrait de trois femmes ayant vécu et commis l’indicible, Cathy Galliègue explore de quelle manière l’écrit peut permettre d’accéder à une forme de résilience. Puissant !

Éditeur : Seuil

Nombre de pages : 272

Parution : octobre 2020

Prix : 18 €

Version ebook disponible

« Résilience : Capacité d’un individu à supporter psychiquement les épreuves de la vie. Capacité qui lui permet de rebondir, de prendre un nouveau départ après un traumatisme ».

Une définition qu’assène Leïla aux femmes participant avec elle à l’atelier d’écriture se tenant au sein d’une prison où elle purge sa peine. La résilience qu’elle évoque ainsi est celle de Vernon Subutex, héros de la série de romans de Virginie Despentes et lecture commune du groupe dans lequel elle a encouragé deux de ses co-détenues, Pascale et Vanessa, à la rejoindre.

Mais ont-elles toutes les trois la capacité d’accéder à une telle résilience ? Si leurs personnalités et leurs parcours les ayant conduites à se rencontrer en prison sont différents, elles partagent néanmoins un profil identique : celui d’être des femmes, victimes, auxquelles les proches et la société ont tourné le dos et qui, à un moment, ont basculé en commettant l’irréparable.

« Nous sommes sans doute de la même sorte, de la même espèce : celles qui se sont toujours tues et qui un jour ont tué » confie l’une d’entre elles. 

« Une mère meurtrière et menteuse, [une chose] contre nature » : ainsi se décrit Pascale, la plus troublante des trois héroïnes du nouveau roman de Cathy Galliègue. Condamnée pour avoir supprimé la vie qu’elle venait pourtant de donner à huit nouveaux nés, elle est résignée à faire profil bas, une attitude difficile à tenir compte tenu du crime odieux qu’elle a commis et de sa corpulence hors-norme. Un corps démesuré, littéralement engraissé par sa mère dès son plus jeune âge pour la rassasier et qu’elle lui fiche la paix. « Le gras, c’est du luxe et ça tient au corps disait-elle, et avec ça dans le ventre, elle nous fout la paix, la tiote »

Dominique Cottrez, la femme ayant inspiré le personnage de Pascale

Pascale se noie dans son corps trop grand pour elle depuis toujours, un corps qui n’a pas refroidi un mari insipide et qu’une sage-femme, à la naissance de son premier enfant, lui a violemment reproché, la culpabilisant de manière inouïe.

C’est aussi par son corps bafoué que Vanessa a sombré. Des parents totalement largués et un corps qui a tourné durant une année dans la cave délabrée d’un immeuble de banlieue que la jeune fille de 16 ans a carapacé comme elle l’a pu, se scarifiant pour se supporter, jusqu’à trouver une échappatoire.

Leïla a également dû composer pendant longtemps – 24 longues années – avec un corps et un esprit sous emprise.

Karine Michenet Meynard « aime bien tracer les contours des mots ». 

Ses portraits de Pascale, Leïla et Vanessa ©c_est_ma_kam

Dans le récit de ces vies brisées, pas de jugement de la part de Cathy Galliègue qui parvient subtilement, en adoptant la forme de roman choral, à donner enfin à entendre les voix de ces trois femmes. Réunies dans un atelier d’écriture et invitées à s’exprimer pour faire le vrai récit de leurs vies, elles vont enfin déposer leurs tourments et entre en voie de guérison. « Je n’ai pas souvenance » répétait Pascale à l’envi au cours de son procès quand elle était interrogée sur les faits… Le milieu carcéral et l’incitation à l’écrit vont lui permettre de trouver un certain apaisement.

« On va leur donner ce qu’aucun tribunal ne nous a extirpé. On va dire ce que nous sommes les seules à savoir de nos vies intimes, cachées, honteuses. Et après ça, on sera un petit peu réparées, pas neuves, mais en meilleur état. On va t’aider, on va s’aider à le faire ! ».

Après « La nuit, je mens » et « Et boire ma vie jusqu’à l’oubli » que j’avais adorés, Cathy Galliègue confirme son grand talent de conteuse au style ciselé et léché. Entière et engagée, elle nous embarque au cœur de réalités troublantes à travers le portrait de femmes aux psychologies fouillées. D’une écriture puissante, elle bouscule et interroge. « Contre nature » : un livre qui, une fois refermé, pourrait bien inviter le lecteur à prendre un stylo, une feuille de papier et écrire, peut-être pour se réparer, un peu, pour s’aider, certainement.

 

©Francesco Gattoni

À propos de l’auteur

Après une carrière dans l’industrie pharmaceutique en Suisse, Cathy Galliègue est partie vivre en Guyane, où elle a animé pendant une saison une émission quotidienne littéraire sur la chaîne Guyane 1re et où elle se consacre désormais à l’écriture. Elle dirige y dirige le Labo des histoires. « Contre nature » est son troisème roman, après  « La nuit, je mens » (Albin Michel, 2017) et « Et boire ma vie jusqu’à l’oubli » (Emmanuelle Collas 2018).

Quelques pages en extrait du livre….

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