Nuits d’été à Brooklyn – Colombe Schneck
« On ne parle pas des choses qui fâchent » écrit souvent Colombe Schneck dans ses romans. Pourtant, elle ne semble qu’écrire sur cela et, une fois encore, elle aborde dans son dernier livre un sujet brûlant. Roman d’amour sur fond d’émeutes raciales aux États-Unis, « Nuits d’été à Brooklyn » est une réussite !
Éditeur : Stock
Nombre de pages : 304 ; Parution : Février 2020
Prix : 20 € ; Version ebook disponible
Esther a 24 ans quand elle arrive aux États-Unis l’été 1991. Jeune fille juive ayant grandi dans le 6e arrondissement de Paris, ambitieuse et volontaire, elle débute un stage de journalisme avec le correspondant du Monde à New-York. Elle rencontre alors pour un entretien Frédérick, afro-américain de 41 ans, professeur de littérature à la célèbre NYU et spécialiste de Flaubert – « Gustave’s friend » comme le décrit The New Yorker avec son portrait par Richard Avedon – et le coup de foudre est immédiat ! Un amour passionnel auxquels ne résistent ni un mariage, ni les différences d’âge, de couleurs de peaux, de nationalités ou de religion… Tous les ingrédients d’une jolie comédie romantique sont ici réunis et le titre du livre et sa superbe couverture y participent aussi. Et pourtant…
Cette relation s’inscrit dans un contexte politique très particulier, celui d’émeutes qui se réellement sont produites durant trois jours dans un quartier de Brooklyn appelé Crown Heights. C’est là que cohabitaient apparemment en bonne entente depuis des années une communauté juive orthodoxe – des Loubavitchs – avec une autre composée essentiellement d’Afro-Américains d’origine caribéenne jusqu’à ce que survienne un malheureux accident : un convoi transportant un rabbin dont la dernière voiture, distanciée, veut rattraper les autres, vitesse, écart de route et c’est le choc. Deux enfants noirs qui jouaient sur le trottoir devant chez eux sont percutés. L’un n’y survit pas et immédiatement. En représailles, un étudiant juif est tué le soir même et le quartier s’embrase littéralement sans que la police n’intervienne.
©️Colombe Schneck. Le 770 Eastern Parkway à Crown Heights abrite depuis 1940 la synagogue et la yeshiva loubavitch devant laquelle les émeutes de 1991 ont commencé.
Colombe Schneck est journaliste et aurait pu choisir de réaliser un documentaire pour raconter les événements de Crown Heights qui ont bien eu lieu. Elle aurait également pu écrire un livre plus intimiste comme elle l’a toujours fait, évoquant sa famille, ses amours, ses origines… Elle a néanmoins opté ici pour une fiction : si les ressemblances avec Esther existent, Colombe n’y raconte pas sa propre histoire. Une manière peut-être de saisir au plus près une réalité dérangeante : des communautés différentes, cohabitant, mais « deux paquebots dans la nuit qui s’ignorent ». Unies paradoxalement par le même sentiment de peur de l’autre, il suffit d’un événement pour qu’elles s’affrontent violemment.
« Pourquoi ne pouvons-nous pas nous aimer les uns les autres ? »
interroge Frédérick, question sous-tendant tout le roman et qui demeure éminemment d’actualité. Phrase que Colombe Schneck a empruntée à Appiah, philosophe et spécialiste des questions identitaires : « Why, don’t we people, can we get along » ? Huit années de présidence par Obama n’y auront d’ailleurs rien changé.
Si la construction du livre peut désarçonner le lecteur, partant de l’accident, pour ensuite revenir quelques semaines avant lors de la rencontre entre Esther et Frédérick, naviguant alors entre les périodes et même 25 ans plus tard lorsqu’Esther revient à New-York sur les traces de son amour, c’est précisément pour parvenir à mieux saisir la relation qui unit les deux personnages. Une histoire d’amour qui aurait pu durer mais qui, confrontée à la brutalité d’un environnement social et politique, dévie irrémédiablement.
Beaucoup d’aspects de ce livre m’ont séduite, à commencer par l’écriture de Colombe Schneck ainsi que son traitement original d’un épisode historique dont j’ignorais jusqu’alors l’existence. Quelques passages très drôles, aussi surprenant que cela puisse paraître dans un tel roman ! Je commencerais par une réflexion sur le métier de journaliste qui, à la veille d’interviewer Colombe, m’a donné matière à réfléchir : « Esther ne saisit pas qu’une interview comprend des questions courtes et des réponses plus longues, ce n’est pas un débat ». Tellement vrai !! J’ai aussi beaucoup aimé sa façon de croquer le milieu littéraire, ces cocktails un peu snobs qui respirent le vécu ! Mais le passage le plus drôle demeure sans doute celui du « maîtrise du date » où Esther se fait expliquer les règles de séduction aux États-Unis, s’apparentant davantage à la négociation d’un contrat qu’à un jeu de non-dits pour mieux se découvrir.
Pour enrichir cette lecture, je vous recommande la superbe mini-série « Unorthodox » à voir sur Netflix et, surtout, les réseaux sociaux de Colombe.
Son livre étant paru juste avant le confinement, elle a eu l’idée originale de poster des photos du New-York de l’époque, éclairant différemment le roman.
À écouter aussi son interview sur l’excellent podcast littéraire 3petitspoints réalisé à l’occasion de son précédent roman où elle évoque d’ailleurs l’écriture de celui-ci.
Enfin, à voir l’entretien que Colombe Schneck m’a accordé dans le cadre d’ « Un endroit où aller ».
© Francesca Mantovani
À propos de l’auteur
Colombe Schneck est née en 1966 et a débuté sa carrière comme journaliste en travaillant notamment avec Daniel Schneidermann dans l’émission « Arrêt sur Images », puis sur Canal +. Elle e a aussi participé à plusieurs émissions sur France Inter comme présentatrice, productrice et a réalisé des documentaires. Parallèlement à cette brillante carrière, elle est devenue romancière. Plusieurs de ses livres ont été récompensés : L’Increvable Monsieur Schneck (Stock) Prix Murat 2007 ; Val de Grâce (Stock) Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro 2009 ; Une femme célèbre (Stock) prix Anna de Noailles de l’Académie française 2011 ; Les guerres de mon père (Stock) Prix Marcel Pagnol 2018. Nuits d’été à Brooklyn est son douzième livre.