Maman, ne me laisse pas m’endormir – Juliette Boudre
Témoignage poignant et magnifique d’une mère devenue orpheline de son enfant de 18 ans, ce livre est un cri d’alarme pour prévenir des dangers présentés par de nombreux médicaments addictifs. Un document à partager sans modération.
Éditeur : Éditions de l’Observatoire
Nombre de pages : 198
Parution : avril 2018 ; Prix : 16 € ; Versions ebook et poches disponibles
« SHAKOULA »
C’est le mot hébreu désignant une mère devenue orpheline. Une femme qui a perdu son enfant. Je le cherchais depuis longtemps ce mot car il n’a pas, à ma connaissance, d’équivalent dans la langue française pour exprimer cet état hors norme. Rien de très surprenant à un tel vide néanmoins tant cette disparition apparaît contre-nature.
Juliette Boudre est une Shakoula. « Maman ne me laisse pas m’endormir » constitue son témoignage, celui, poignant et terrifiant qu’elle a entrepris après le décès de son fils aîné tout juste âgé de 18 ans, Joseph, des suites d’une overdose aux anxiolytiques et opiacés. C’était un 29 décembre 2016.
J’ai lu ce livre d’une traite, le cœur serré. Je redoutais de m’y lancer depuis longtemps, sachant de quoi il en retournait. Mais un concours de circonstances m’y a engagée. D’abord un échange avec ma fille à laquelle j’avais donné un comprimé contenant de la codéine pour tenter d’enrayer des quintes de toux éreintantes et lui permettre de dormir un peu. Lorsqu’au petit matin, elle m’a dit avoir pris un deuxième comprimé pour améliorer son état et avoir été tentée d’en prendre un troisième, j’ai vu rouge et l’ai immédiatement alertée sur les dangers de ces médicaments, même si nous étions bien sûr encore loin d’une addiction. J’ai alors évoqué « Maman, ne me laisse pas m’endormir ». Ce même jour, Juliette Boudre s’est connectée à mon profil Instagram. J’en ai été saisie. Un signe ? Je le crois.
Juliette et son fils Joseph
Ce récit est absolument tragique au regard de la bienveillance émanant de l’entourage de l’enfant totalement impuissant à le sauver malgré lui, à enrayer le drame très tôt redouté, jamais occulté. Le courage dont Juliette Boudre a dû faire preuve pour reprendre ainsi la chronologie des faits, nous plonger concrètement, lecteurs, dans cette descente aux enfers de manière aussi digne, force littéralement l’admiration, d’autant que cette écriture a fait suite à des années de lutte acharnée contre l’addiction dans laquelle Joseph était tombé. Elle livre ici un témoignage qui va bien au-delà de l’émotion ressentie et qui bouscule durablement, la projection en découlant avec nos propres enfants étant inévitable.
Un témoignage déchirant donc. Joseph était un adolescent magnifique, équilibré, aimé, aimant, sensible, entouré par sa famille, en particulier ses parents, son beau-père, ses petits frères… Comme beaucoup, il a eu l’occasion de fumer des joints, jeune. Ses parents ont décidé, avec son accord, de l’éloigner de mauvaises fréquentations. Alors qu’il étudiait en Angleterre à l’âge de 14 ans, un joint sans doute très fortement dosé a occasionné une crise d’angoisse particulièrement importante. Un médecin lui a prescrit un Xanax destiné à remédier à cette crise et aux insomnies consécutives. « Je vous assure, Madame, il est mieux de dormir que de ne pas dormir » a pu dire un médecin à Juliette. Sans aucun doute mais, à quel prix ? Joseph s’est immédiatement senti soulagé après cette première prise, au point de rechercher ensuite cet état, flirter sans cesse toujours plus loin avec les limites. Non pas pour mourir, mais pour vivre plus intensément, toujours.
« Il ne sait pas qu’à force de trop vouloir vivre, on peut parfois mourir ».
L’addiction s’est ainsi installée de manière pernicieuse, définitivement. Et les mois qui ont suivi n’ont été qu’une succession de rechutes plus terribles les unes que les autres. Joseph a ainsi enchaîné les cures de désintoxication, en Angleterre, en France, en Espagne, chacune avec ses spécificités. Mais il manquait un élément essentiel à Joseph, la maturité. Il avait beau être extrêmement bien entouré, soutenu, conscient parfois, l’emprise des molécules a été la plus forte, en dépit de ses efforts décuplés et ceux de tous les siens pour sortir de cette situation.
Juliette Boudre, dont la sincérité transparaît à chaque page de ce livre, ne cache rien de ses périodes d’incompréhension, de désarroi, d’espoir, de tristesse infinie, de culpabilité. Quoi de pire que la disparition de son enfant que l’on redoutait pour avoir très vite pris conscience de la dangerosité de la situation, accompagnée du sentiment qu’on a échoué à le sauver de lui-même ? Elle ne tait rien de sa colère et de l’alternance de ces sentiments au gré de l’état de son fils. Son livre est construit comme une sorte de compte à rebours pour comprendre si tant est que cela soit possible, l’enchainement des faits. Parallèlement, l’auteur relate, chronologiquement, des épisodes de vie suivant le décès, apparaissant comme des respirations dans cette chute vertigineuse et abominable.
Si le témoignage de cette mère de famille me paraît tellement important, c’est qu’il est nécessaire : ce livre est un cri d’alarme, une mise en garde de chacun d’entre nous. En dépit des nombreuses tentatives entreprises pour le sortir de ce chaos, Joseph n’a éprouvé aucune difficulté à se procurer les produits qui l’ont empoisonné définitivement. Joseph aurait pu être mon fils. Je pourrais être Juliette. Qu’aurais-je fait à sa place ? Aurions-nous été mieux armés ? Probablement pas et ce livre constitue alors une étape essentielle, indispensable à une prise de conscience collective face à un système médical parfois défaillant auquel on accorde pourtant naturellement notre confiance.
L’auteur a parsemé son récit de données médicales éclairantes. Ainsi :
« en France, le nombre de décès par année liés aux benzodiazépines [anxiolytiques] est supérieur à l’ensemble des cinq stupéfiants illégaux de catégorie A réunis. Le dernier chiffre disponible remonte à 2013, avec 349 cas recensés. Les données sur l’impact des opïoides en matière de santé publique sont encore parcellaires (…). Au total, quelques centaines de décès chaque année seraient liés à un opïoide médicamenteux, soit plus que les overdoses d’héroïne ».
Comment ne pas être révolté par la prise en charge médicale qui fut celle de Joseph, entre les psy qui prescrivent à tout va des médicaments, ceux qui en administrent à haute dose pour mieux enrayer l’addiction, ceux qui se laissent totalement manipuler par un patient intelligent, particulièrement bien informé de tous les médicaments possibles, leur posologie et leurs effets… ? L’overdose de Joseph apparaît ainsi comme l’échec du système dans sa globalité, une faillite de la société à protéger les siens.
« Le professeur Edouard Zarifan, psychiatre, déplore le fait que ces médicaments soient “distribués aux usagers qui ne sont pas forcément tous atteints de maladie psychiatrique, n’importe quand, n’importe comment et pour n’importe quoi”. Selon lui, les responsables en France de cette surconsommation médicamenteuse sont les médecins ».
Codéine, opiacés, morphine, produit de synthèse chimique… autant de substances largement prescrites et aisément accessibles, qui circulent dans les soirées. Quelques prises suffisent malheureusement pour installer une addiction et l’overdose apparaît alors inévitable. Sans compter que les jeunes se procurent certaines drogues sans véritablement savoir de quoi il s’agit. Ainsi, Joseph pensait avoir acquis de la morphine alors qu’il a succombé une prise de Fentanyl, première cause de mortalité chez les jeunes addicts de moins de 50 ans aux États-Unis.
Depuis le décès de Joseph, et à la suite du combat mené par d’autres parents en deuil, la vente libre de codéine est interdite en France. Une loi du 12 juillet 2017 a en effet commencé à changer la donne mais il reste néanmoins aisé d’obtenir de tels médicaments, très souvent prescrits et à juste titre, pour traiter différents symptômes, souvent réels. Rien n’est donc acquis. Des adolescents continuent à tomber dans le piège de ces drogues. La prévention est alors indispensable.
Je remercie sincèrement Juliette Boudre pour la force de son témoignage, sa dignité et, au-delà, pour la qualité de son écriture qui m’a profondément touchée. Son livre est à prescrire lui, sans ordonnance et à partager sans modération.
À propos de l’auteur
Juliette Boudre, mère de trois garçons, dirige une société de joaillerie. Maman, ne me laisse pas m’endormir est son premier ouvrage.