Avec toutes mes sympathies – Olivia de Lamberterie

Vous est-il déjà arrivé de pressentir qu’un livre va vous chavirer sans même l’avoir encore commencé ? Un auteur, une couverture, un titre … C’est l’ « effet Olivia » ! Un livre qui m’a tenue de la première page à la dernière, porté par une plume sensible et percutante à la fois.

 

Éditeur : Stock

Nombre de pages : 256

Parution : août 2018

Prix : 18,50 €

Versions ebook et audio disponibles

Vous est-il déjà arrivé de pressentir qu’un livre va vous chavirer sans même l’avoir encore commencé ? Un auteur, une couverture, un titre… et le lire, le reposer pour récupérer, le terminer le cœur serré, sans même être capable d’écrire le moindre mot à son propos tant les émotions ont été fortes ? C’est l’ « effet Olivia » ! Un effet que j’avais laissé passer à sa sortie en repoussant une chronique à plus tard. Jusqu’à une écoute, absolument exceptionnelle parmi tous les livres audio que j’affectionne par ailleurs, celle du livre lu par son auteur elle-même, qui m’a littéralement emportée.

Il faut dire qu’il ne s’agit pas de n’importe quel livre, pas un roman, mais un récit, celui d’une vie, celle d’Alexandre, le frère d’Olivia qui, le 14 octobre 2015, a décidé de mettre fin à ses jours en sautant du pont Jacques Cartier à Montréal. Un pont que j’admirais jusqu’alors et que je ne pourrai désormais plus jamais ni regarder ni emprunter comme auparavant. Si la voix est familière à nos oreilles de lecteurs passionnés, pour l’entendre régulièrement à la radio ou à travers un écran, elle se trouve ici magnifiée par les émotions, et on l’imagine aisément tant cette disparition a été foudroyante pour l’auteur amputée de son confident le plus cher.

Alexandre de Lamberterie par Marc Montplaisir pour Infopresse

 

Beaucoup de jolies choses ont pu être dites et écrites sur ce livre et plutôt que de revenir ici sur son contenu, je vais essayer d’exprimer en quoi il m’a émue et pourquoi il me semble que sa lecture est essentielle.

Je souhaiterais, pour commencer, répondre d’emblée à celles et ceux, que j’ai pu entendre et qui estiment, parfois sans même l’avoir ouvert, que le récit manquerait de pudeur, s’interrogent sur ce besoin d’écrire à propos de la disparition d’un être cher tout en incarnant une élégance discrète, un certain art de vivre… À mes yeux, lorsqu’une histoire aussi intime et personnelle soit elle, touche les lecteurs (au point d’être récompensée par un prestigieux prix littéraire, le Renaudot), et en cela, rejoint une dimension universelle, alors elle vaut vraiment la peine d’être écrite et d’être lue. Bien sûr, le deuil est lui aussi universel – rien d’original à cela – affectant chacun d’entre nous plus ou moins tôt. Mais en faire un récit qui parle à beaucoup, dans un pays où le suicide demeure un sujet tabou en dépit du nombre – un par heure – n’est pas offert à tout le monde.

Les raisons de mon enthousiasme sont multiples et la première d’entre elles tient au message véhiculé par le livre, une sorte de mantra qui n’est pas sans rappeler celui d’Anne-Dauphine Julliand dans son magnifique et bouleversant « Deux petits pas sur le sable mouillé » (2010, Les Arènes), « ajouter de la vie aux jours quand on ne peut ajouter des jours à la vie » : « on inventera une nouvelle façon d’être tristes. On sera joyeusement défaits ». C’est ce qui a guidé Olivia lorsqu’accablée, et dans une sorte de fulgurance, elle répond à son petit garçon qui lui demande si on va quand même fêter Noël quelques jours après le décès de son oncle, les obsèques, et les attentats du 13 novembre. Elle qui dit voir plutôt le verre à moitié vide qu’à moitié plein parvient toutefois avec cette devise à adopter un mode de vie résolument positif, essentiel en ces périodes agitées, emplies de doutes, pour elle et pour tous ceux qui l’entourent.

Vincent Delerme reprend L’Amour en fuite d’AlaIn Souchon, une mélodie qui a pu porter Olivia.

C’est la personnalité d’Olivia qui se trouve ainsi dévoilée par petites touches ici à travers son récit. On la savait, pour la suivre depuis longtemps, intelligente, fine, juste et jamais méprisante dans ses critiques littéraires… ; on la découvre femme, mère, fille, sœur, belle-sœur, belle-mère, amie, au milieu des siens, avec ses fragilités qu’elle ne dissimule aucunement, ses larmes qui coulent à flot alors qu’elle parvient, par je ne sais pas quel miracle, à parler de son livre depuis sa parution sans en verser aucune (en tout état de cause pour les fois où j’ai pu assister à ses interventions…), sa reconnaissance envers certains, sa colère envers d’autres, ses propres moments de mélancolie domptés grâce à des thérapies. J’ai été particulièrement sensible à sa manière d’évoquer chacun de ses proches, famille et amis, avec tant d’amour et de bienveillance, sa force à toutes épreuves. Son humour également affleurant tout en long du récit et l’allégeant très certainement dans un contexte lourd dont on connait dès le départ l’issue fatale.

Autre aspect de sa personnalité auquel tous les amateurs de littérature ne peuvent qu’être sensibles, sa description corrosive du milieu littéraire dans lequel elle évolue. À commencer par les mails de sollicitations en tous genres qu’elle reçoit, à mourir de rire ! Ou encore sa manière de décoder les messages des éditeurs lui proposant des lectures !

Encore quelque chose qui m’a plu dans ce livre, et qui contribue à saisir davantage la personnalité d’Olivia, les références littéraires égrenées tout du long du récit, qui le parsèment comme elles parsèment très certainement la vie d’Olivia. Un auteur pour chaque situation, un livre qu’elle pioche dans sa bibliothèque que l’on imagine bien fournie pour une question qu’elle se pose…

« La lecture est l’endroit où je me sens à ma place. Lire répare les vivants et réveille les morts. Lire permet non de fuir la réalité, comme beaucoup le pensent, mais d’y puiser une vérité. L’essentiel pour moi est qu’un texte sonne juste, que je puisse y discerner une voix, une folie ; je n’aime pas les histoires pour les histoires, encore moins les gens qui s’en racontent. Je n’ai pas besoin d’être divertie, mes proches s’en chargent, je me fiche d’apprendre. J’aime être déstabilisée, voir avec d’autres yeux. »

Olivia de Lamberterie et son éditeur, Manuel Carcassonne

Société de lecture de Genève – 13 novembre 2018

« Avec toutes mes sympathies » et l’introspection qu’il induit présentent également pour le lecteur l’intérêt de comprendre comment un processus de création littéraire peut se mettre en place chez un auteur. On pressent que l’envie d’écrire, pour celle qui a passé sa vie dans les livres, les publications d’articles, de chroniques… était latente. Sollicitée par des éditeurs, elle n’avait jamais sauté le pas. Il aura fallu un déclencheur. La mort de son frère l’aura été, d’autant plus quand elle découvre, quelques jours après sa disparition, au hasard de pérégrinations sur les réseaux dont elle n’est pourtant pas adepte, d’anciens messages d’Alexandre lui demandant d’écrire leur histoire. Et c’est une manière positive également de voir la vie. De ce malheur est né quelque chose de beau. Une écriture qui n’a pas été simple. Elle en parle d’ailleurs très bien et je pense notamment à la scène de la dernière conversation entre Alexandre et Olivia, à Montréal, dans un hôpital psychiatrique, absolument bouleversante et cette dernière étreinte, terrifiante.

Outre ce qui touche à la personne même d’Olivia, elle invite dans ce livre à une réflexion indispensable relative à la mort, et au fait d’avoir le droit de choisir de mourir comme on le souhaite, sujet ô combien d’actualité avec l’horreur que recèle l’affaire Vincent Lambert, cet homme dans l’impossibilité d’exprimer quoi que ce soit, de manière irréversible, depuis dix ans après un accident de la circulation, et dont la famille se déchire devant les tribunaux au sujet de son maintien en vie. A-t-on le droit d’empêcher quelqu’un de choisir la manière dont il va mourir ? En a-t-on réellement les moyens en réalité ? L’expérience de l’auteur avec son frère témoigne précisément du contraire.

Alors, la question se pose de savoir si, dans cette famille, il existe un gène du suicide. Cette question, Olivia se l’est légitimement posée au regard du nombre d’hommes s’y étant suicidé, tout comme son frère se l’est posée, tout comme moi. La vérité est insupportable, on ne sait pas. Si le diagnostic a pu finalement être posé pour Alexandre malheureusement quelques jour avant son passage à l’acte – une dysthymie – les remèdes sont pour le moment inconnus. Alors, en attendant les progrès de la médecine en ce domaine, on fait comme on peut, on rassure, on colmate, on repousse l’échéance, en ayant recours à des magnétiseurs pour les uns ou des kynésiothérapeutes pour d’autres. On échoue, parfois, à empêcher le pire.

Ce livre est issu d’une quête. « Où est tu ? » se demandait Olivia après la mort de son frère. En partant à sa recherche, elle a dressé de lui un formidable portrait et esquissé les contours d’une relation unique, qu’on jalouserait presque tant celle-ci apparaît vertueuse et lumineuse. Et elle l’a (re)trouvé : « Tu es en nous ».

La photo qu’Alexandre a envoyée à Olivia quelques jours avant de passer à l’acte, la dernière, tous deux semblables, à Port-Grimaud.

Une quête qui l’a conduite sur les chemins de l’écriture :

« J’écris pour imprimer sur une page blanche son sourire lumineux et son dernier cri. Pour dire ce crime dont il est à la fois la victime et le coupable. À moins que nous ne soyons tous coupables, nous qui n’avons pas su l’empêcher, ou tous victimes, nous qui ne vivrons plus qu’à demi (…). Je prends conscience, pour la première fois, que s’inscrivent des mots que je n’imaginais pas penser, que j’ignorais avoir en moi. Aujourd’hui, c’est troublant, j’ai vécu pour la première fois ce que des écrivains me racontent depuis quinze ans : que tout à coup, l’écriture les dépasse, que les phrases jaillissent d’on ne sait plus où, les personnages se mettent à vivre tout seuls et font ce qu’ils veulent. Et bien, tout est vrai, le livre s’écrit tout seul ».

Comment qualifier le fait de parvenir à transcender sa douleur pour en faire une œuvre douée de vertus apaisantes pour ses lecteurs : tout simplement de la littérature. Et nul doute qu’avec ce livre, une auteur s’est révélée. Comme me l’a d’ailleurs rappelé une primo romancière qui m’est chère, beaucoup de romanciers commencent par des récits autofictionnels. Rien d’étonnant alors qu’Olivia se soit enfin lancée dans l’écriture d’un livre en débutant par celui-ci. Un livre à la construction originale qui m’a tenue de la première page à la dernière porté par une plume sensible et percutante à la fois.

Aussi difficile que celui puisse être de « faire décoller quelqu’un de sous un pont » comme lui a dit Alix de Saint-André, elle y est magnifiquement parvenue, rendant à son frère son caractère flamboyant, « pour que la vie gagne ».

À propos de l’auteur

Olivia de Lamberterie est journaliste à Elle, chef de la rubrique Livres, chroniqueuse littéraire à « Télématin » sur France 2, au « Masque et la plume » sur France Inter et correspondante pour Radio Canada.

Quelques pages en extrait du livre….

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